Prenons Sannine ou d’autres projets d’envergure : s’il doit y avoir à chaque fois une polémique juridico-politique aussi ostentatoire, on aura vite fait de dissuader les investisseurs directs étrangers. Le point sur les controverses afin de faire avancer le débat – et l’achever au plus tôt.
à travers un prête-nom dans le but de
contourner cette loi.
Dans le projet Sannine, nous étions, en
principe, face à un actionnariat purement
libanais : la société qui acquiert les terrains
est détenue par deux personnes physiques
libanaises et une société, as-Salam
Holding. Celle-ci est détenue par deux
autres personnes physiques libanaises et
une autre société, GFIC Holding, détenue
également par des Libanais. Bref, toute la
filière était formellement libano-libanaise.
Cependant, on a eu recours pour le financement
de l’opération à l’émission de titres
financiers, des GDR (voir encadré), destinés à
être souscrits par des investisseurs étrangers.
De là est née la crainte de voir la propriété des
terrains, par le truchement de ces GDR, se
transférer entre les mains d’actionnaires non
libanais. Le ministre Fouad Siniora a alors
émis des réserves et a proposé qu’une autorisation
soit donnée par décret pris en Conseil
des ministres. Ce qui n’a pas eu lieu.
Le débat juridique qui s’en est suivi a mis en
exergue deux opinions distinctes que nous
allons synthétiser ci-dessous.
• Une étude de l’Institution de l’arbitrage
préparée par les juristes Auguste Bakhos,
Joseph Chaoul, Abdel Salam Chéaib, Élias
Gaspar et Ghaleb Mahmassani a conclu à la
nécessité d’obtenir une autorisation préalable
du Conseil des ministres, puis de promulguer
une loi réglementant les GDR afin
que leur régime soit conforme avec la loi
sur la propriété des étrangers.
Selon cette étude, la “sévérité” de la loi dans
ses définitions et ses sanctions prouve que le
Les GDR (Global Deposit Receipts) ou
“Certificats de dépôts globaux” sont des
instruments financiers utilisés par les
sociétés de nombre de pays pour trouver
des financements sur les marchés
internationaux.
La société en quête de financement
désigne dans ce cas une banque pour
émettre les GDR et les placer auprès des
investisseurs étrangers. Ces GDR sont
rattachés aux actions de la société qui
sont appelées “actions sous-jacentes” ;
et de ce fait, ils confèrent à leurs porteurs
le droit de percevoir les dividendes
dégagés par ces actions sous-jacentes.
Le droit de vote ainsi que les autres
droits rattachés à l’action sous-jacente
restent souvent la propriété de l’actionnaire
principal, selon ce qui a été prévu
dans le contrat de dépôt.
GDR : mode d’emploi
législateur libanais a voulu que le propriétaire
des terrains soit réellement libanais et non
seulement en apparence.
Or, selon l’étude, la société GFIC Holding,
actionnaire principal de as-Salam Holding, va
céder les droits économiques rattachés à ses
actions à la banque suisse Private Bank EFG
chargée d’émettre les GDR, quitte à conserver
les autres droits tels que le droit de vote, le
droit d’assister aux assemblées générales…
Dans ce cas, GFIC Holding ne peut plus être
considérée comme un actionnaire à part
entière puisqu’elle a été dépouillée d’une
partie de ses droits fondamentaux, les droits
économiques (de bénéfices…). Donc l’actionnaire
libanais n’est plus qu’un “homme
de paille” servant de façade pour la légalité
apparente de l’acquisition.
De plus, le montage donne le droit aux porteurs
des GDR, avec une majorité de 75 %,
de décider la dissolution de la société. Or,
selon le code de commerce libanais, seuls
les actionnaires d’une société peuvent en
décider la dissolution.
Finalement, l’étude souligne que le montage
octroie aux porteurs de GDR des actions dans
une autre société, “Sannine Zénith Lebanon
SAL”, qui bénéficie du droit exclusif de
gestion, d’exploitation et de promotion du
projet sur 10 ans, donnant ainsi aux porteurs
de GDR un droit de décision pour la
gestion et l’exploitation du projet.
• Dans une autre étude adressée au
Commerce du Levant, Me Ghassan Souaiby,
avocat à la Cour et chargé de cours à l’USJ,
rappelle que les bailleurs de fonds d’une
société donnée sont, soit des actionnaires, soit
des créanciers. Mais puisque, dans le cas présent,
les porteurs de GDR ne sont pas des
créanciers de la société ; ce sont alors de
Selon la nouvelle loi immobilière adoptée
en 2001, aucun étranger, personne
physique ou morale, ne peut posséder
des biens-fonds au Liban qu’après
avoir obtenu une autorisation en Conseil
des ministres, si la superficie à acquérir
dépasse 3 000 m2 sur l’ensemble du territoire.
Sont considérées comme personnes
morales libanaises, au sens de cette loi, les
sociétés dont toutes les actions ou les parts
sont possédées par des Libanais, et dont
les statuts interdisent la cession de la
moindre action ou part à un étranger.
Mais que se passe-t-il alors si un étranger
parvient quand même, par un moyen
détourné, à s’approprier un terrain ? Là
aussi, la loi est on ne peut plus stricte : tout
acte fait en violation de cette loi est nul,
“d’une nullité absolue” ; en plus, ses
auteurs et complices sont passibles de prison
et de fortes amendes. La même peine
est encourue si l’acte de vente est effectué
Les contre foncier est supposé considérer uniquement
l’identité et la nationalité des personnes voulant
enregistrer les biens-fonds. Et lorsqu’il
s’est interrogé sur les porteurs des GDR, il a
en fait outrepassé ses prérogatives.
• Rendue après l’enregistrement des terrains
au registre foncier, l’opinion de la
Commission de législation et des avis du
ministère de la Justice a confirmé, elle
aussi, la légalité de l’opération. La commission
a estimé que le système GDR pourrait
être assimilé à une “Convention de croupier”
(prévue à l’article 871 du code des
obligations et des contrats). En termes plus
clairs, c’est un accord que peut faire l’associé
d’une société avec un tiers (extérieur
à la société) afin de partager avec lui les
bénéfices et les pertes de sa participation,
mais qui n’établit aucun lien entre la société
et ce tiers, et ne confère pas à ce dernier
la qualité d’associé.
L’opinion considère donc que les porteurs de
GDR ont simplement un droit individuel, celui
de percevoir les dividendes des actions, plus
un droit collectif, celui de dissoudre la société
à une majorité de 75 % dans le but de se
faire payer du produit de la liquidation des
biens de la société. Mais tout ceci ne leur
confère pas la qualité d’actionnaires.
Maintenant, une action judiciaire en annulation
de la vente peut toujours être intentée
par toute personne ayant intérêt pour
agir devant les tribunaux, si elle a des
doutes sur la légalité de l’opération. Cette
action se prescrit en principe au bout de 10
ans, mais la question n’est pas tranchée ;
une partie de la doctrine libanaise considère
que cette action est imprescriptible, et
peut donc avoir lieu à tout moment.
Les effets de l’annulation, si tel est le jugement
du tribunal, seront rétroactifs, dans le
sens où l’acte sera considéré comme
n’ayant jamais existé, et la situation initiale
doit être rétablie, de sorte que le prix de
vente doit être restitué et le bien rendu à
son propriétaire initial.
Dans le cas de la société as-Salam Holding,
le montage a prévu qu’en cas de dissolution
de la société, les porteurs de GDR ne
recevront que le résultat financier de la
vente des biens de la société et non les
biens-fonds eux-mêmes. D’ailleurs, dans le
cas où le montage ne le prévoit pas, cette
précaution a déjà été prise par l’article 13
de la loi sur la propriété des étrangers. Et si,
par hypothèse, un porteur étranger de GDR
se voit attribuer un bien-fonds, il serait dans
l’incapacité de l’enregistrer en son nom.
Le député Salah Honein a voulu boucler
l’arsenal juridique en soumettant un projet
de loi dans lequel il suggère notamment
que soit consacré le droit pour tout actionnaire
dans une société anonyme d’émettre
des titres rattachés à ses actions (tels que
les GDR) et donnant le droit à leurs porteurs
d’en percevoir les dividendes.
Le porteur des titres peut à tout moment
les échanger contre des actions, mais en
respectant les lois sur la propriété des
étrangers.
En cas de dissolution ou liquidation de la
société, le porteur de titres n’aura pas droit
au partage des biens de la société. Et,
enfin, les titres seront conservés auprès de
la société Midclear, qui en assure la transparence
et la gestion.
Pour la suite des opérations de ce genre, si le
débat n’est pas complètement clos, il serait
plus judicieux pour les investisseurs de
recourir à des mécanismes plus classiques
de financement : soit de simples prêts portant
un taux d’intérêt fixe, soit encore des titres de
créances indexés aux revenus, qui présentent
en plus l’avantage d’être conformes à la
Shari’a et à la bancarisation islamique. Ce qui
les met dans tous les cas à l’abri d’une potentielle
violation des lois impératives.
(*) Avocate à la Cour.
vrais actionnaires. Et les GDR font partie
intégrante du capital de la société qui les
émet, ce qui implique que la société émettrice
doit être soumise au seuil maximal
d’acquisition foncière non libanaise.
Selon Me Souaiby, même si les actionnaires
libanais conservent le droit de vote,
ceci ne suffit pas à conférer la nationalité
libanaise à la société. Pour lui, déjà la subdivision
des actions en actions à droit de
vote et actions à droits économiques est
contraire au principe d’égalité entre les
actionnaires, posé par le code de commerce,
et une distinction superflue que la loi
sur la propriété des étrangers n’a pas faite,
puisqu’elle a simplement disposé que
«toutes les actions de la société doivent
être détenues par des Libanais».
Pour Me Souaiby, «l’actionnaire libanais
porteur de ces actions devient ainsi une
pure façade ayant pour unique fonction de
permettre aux investisseurs étrangers de
déjouer les dispositions de la loi et de
bénéficier, seuls, de tous les droits rattachés
aux actions sous-jacentes».
• L’étude de Me Hassan el-Rifaï, éminent
spécialiste en droit administratif, a affirmé
la conformité de l’opération quant à la loi
sur la propriété des étrangers.
Selon lui, les textes réglementant le registre
foncier et la loi sur la propriété des étrangers
obligent le conservateur du registre foncier à
vérifier les documents qui lui sont présentés
et la conformité du dossier avec les lois en
vigueur. Après vérification, il est tenu d’effectuer
l’enregistrement dans un délai rapide
et ne peut pas opposer son refus, sinon il
est passible de poursuites pénales.
Selon Me Rifai, le conservateur du registre
Dans le projet Sannine, nous étions, en principe, face à un actionnariat purement libanais. Cependant, on a eu recours
pour le financement de l’opération à l’émission de titres financiers, des GDR.
C
Les pour
Le recours en annulation
En cas de dissolution
Un projet de loi
Ouverture