Notre miel est bon, sauvage et bien apprécié à l’étranger. Dommage qu’il soit si cher à produire, presque élitiste. Même nos abeilles sont italiennes…
Le miel n’est pas un produit unique. À la
limite, il est toujours différent, selon les
régions, la saison et les fleurs. Notre
pays, riche en végétations, est connu pour
trois variétés essentielles de cette substance
sucrée. Il y a d’abord, par ordre de fréquence,
le “miel noir” du Mont-Liban, appelé
aussi miellat, qui est le miel de sapin, de
chêne et de cèdre. Sa production est optimale
au début de l’été. À la fin de l’été, c’est
le miel de montagne, issu des fleurs sauvages
du Nord, qui est disponible. Et au printemps,
on trouve le miel des fleurs d’orangers
du Sud. Mais pour toutes ces variétés,
le prix reste élevé : un kilo est vendu entre
20 000 et 30 000 LL. D’où un problème de
commercialisation face au miel étranger,
d’origines française, espagnole, américaine,
allemande, grecque et même saoudienne,
vendu entre 14 000 et 20 000 LL le kilo.
Nos apiculteurs justifient le prix par les coûts
élevés de production, de mise en bocal et de
commercialisation : «La cire, la technique, les
médicaments et même les abeilles sont
importés», précise Afif Chédid, promoteur de
la marque “Jebalna”. Les apiculteurs privilégient
en fait les abeilles étrangères, surtout
italiennes, car il semble que la libanaise est
peu productive et très agressive, alors que
l’italienne est plus grosse, plus productive,
plus résistante aux maladies. Donc, des
mini-ruches en plastique contenant 6 abeilles
et une reine sont importées à 12 $ l’unité. Les
éleveurs doivent encore avoir recours à la
cire importée à 8 $ le kilo, disponible dans
des boîtes de 5 kilos. Ce qui fera 5 ruches (à
raison de 1 kilo par ruche).
AUCUNE CONDITION PRÉALABLE
Pour s’informer, des sites Internet* et une
association internationale appelée Api-
directives ont été fixées par Libnor, l’organisme
des normes au Liban, en partenariat
avec les ministères de l’Économie, de
l’Agriculture, de la Santé et le syndicat des
apiculteurs. Cependant, pour exercer cette
profession, aucune condition n’est encore
exigée ; il suffit de figurer sur le fichier du
ministère de l’Agriculture.
Mais la commercialisation est plus compliquée
que la simple opération de distribution
dans les points de vente par un mini-van. Par
exemple, pour être présent sur les étalages
des meilleurs supermarchés, il faut prévoir
15 à 20 % des recettes à reverser au point de
vente, plus 350 $ par semaine pour le stand,
et parfois 20 $ par jour pour une belle promotrice.
Cette dernière dépense, apparemment
superflue, devient indispensable en raison
du prix élevé de notre miel par rapport à
des marques allemandes telles que Lagnese
Mondia offrent aux
apiculteurs une
mise à jour sur les
nouvelles techniques,
les problèmes
encourus
et les expériences
d’apiculteurs actifs
dans le monde
entier. Chaque
deux ans, les
membres d’Api-
Mondia se réunissent
dans un pays
différent. Pour être
membre, il faut
payer 400 $ par
an, auxquels on
ajoute les frais de voyage pour participer
aux séminaires et workshops. Mais cette
source d’infos, et de contacts, est importante
pour l’apiculteur industriel, qui a rarement
accès à des revues spécialisées.
Enfin, toujours au niveau des dépenses, les
ruches sont installées dans un champ que
l’apiculteur loue en général pour une
somme mensuelle autour de 200 $ pour
une exploitation moyenne.
Une fois le miel produit, il faut penser au
packaging ; mais la plupart des producteurs
de miel préfèrent confier la mise en
bocal à des sociétés spécialisées. C’est le
choix de Afif Chédid : «Un apiculteur
sérieux ne peut allier production avec
commercialisation, et réussir». Ceci dit, le
packaging de notre miel local est tout
simple : un bocal en verre transparent de
500 grammes ou d’un kilo, où figurent
éventuellement le nom de l’apiculteur, son
adresse, le poids du produit, les dates de
production et d’expiration, le lieu de production
et le lieu de la mise en bocal. Ces
L’abeille italienne
est plus grosse, plus productive,
plus résistante aux maladies à l’exportation, elle dépasse rarement les
20 tonnes par an.
Avocat de formation, Afif Chédid a grandi
parmi les abeilles. Cet héritage de famille se
transforme rapidement en vocation, puis en
passion, suite à un voyage en Yougoslavie
dans les années 80, où il apprend les secrets
du métier. En quelques années, le nombre de
ses ruches passe de 50 à plusieurs centaines.
Il soutient qu’un apiculteur «qui n’a
pas de problème n’est pas un apiculteur».
Car la culture du miel est tributaire à la fois
du temps, de la pluie, de l’humidité et de la
nature. Les conditions météorologiques
empêchent souvent les abeilles de quitter la
ruche pour butiner fleurs et plantes. De plus,
les incendies qui ravagent nos forêts ont
lourdement affecté notre couverture botanique.
Et l’on continue à couper arbres et
herbes à des fins industrielles, malgré l’interdiction,
tout théorique, du ministère de
l’Agriculture. «Le budget du ministère consacré
aux apiculteurs est minime», avoue
Husnié Hammoud, experte en apiculture
auprès du ministère de l’Agriculture.
SI TOUS LES APICULTEURS…
D’un autre côté, les abeilles sont menacées
à la fois par les frelons, les virus, les maladies,
les pesticides et les engrais. Pour remédier
aux maladies par exemple, des médicaments
(comme l’Apivar ou l’Apiguard) sont
importés sous forme de plaques et déposés
dans la ruche. Cette pratique est indispensable
trois fois par an, à raison de 6 plaquettes
par ruche à 2-3 $/pièce. Les pesticides
utilisés dans les champs représentent
une autre menace. Car, avec les engrais, ils
asphyxient les abeilles et laissent des résidus
dans le miel, ce qui nuit à sa qualité. Les apiculteurs
ont bien élevé leur voix, ce qui a
amené le ministère de l’Agriculture à prendre
des résolutions : interdiction de pulvériser
des pesticides durant la période de floraison
ou quand les abeilles sortent butiner.
«Malheureusement, ces directives ne sont
pas consciencieusement appliquées»,
regrette Husnié Hammoud. Qui rappelle au
passage que bien de produits chimiques pulvérisés
par nos agriculteurs ne sont même
pas utiles, et certains sont même nuisibles.
L’apiculture requiert donc beaucoup de
patience, de connaissances et d’expérience.
Afif Chédid est affirmatif : «Si tous les apiculteurs
unissaient leurs efforts, notre produit
serait plus présent au Liban et à l’étranger».
Selon le ministère de l’Agriculture, on compte
au Liban près de 4 000 apiculteurs, en
moyenne, qui maintiennent chacun entre 3
et 1 200 ruches, le record de 1 200 ruches
étant détenu par Sami Abboud, à Zahlé.
L’apiculture devient vraiment rentable à partir
de 150 ruches, donnant du miel à un coût
brut de 7 $ par kilo. Le Mont-Liban regroupe
la plus grande concentration d’apiculteurs, et
compte pour 35 % de la production, suivi de
près par le Nord. Exemple, Beit el-Faks est
une région au Akkar où pratiquement tous
les habitants sont des apiculteurs.
Le nombre total des ruches varie entre
120 000 et 130 000 pour une récolte de
1 200 tonnes en moyenne, à raison de 10
kg par ruche. Ces chiffres sont évidemment
approximatifs et variables d’une
année à l’autre, car tributaires de l’environnement
et des caprices climatiques.
Mais c’est en tout cas de la haute qualité,
d’après Husnié Hammoud : «Une campagne
de communication s’impose pour
promouvoir notre miel au Liban et à
l’étranger». Il reste donc beaucoup à faire,
mais les apiculteurs, passionnés par leurs
activités, ne baissent pas les bras.
(*) Sites Internet utiles : • www.nhb.org : traite des
dernières études et recherches sur le marché international
du miel. • www.suebee.com : informations sur
les abeilles et sur les activités de l’association internationale
Sioux. • www.kohala.net/bees : les produits
dérivés du miel et les problèmes des apiculteurs relatifs
à la culture et à la production du miel.
C
ou grecques comme Attiki. En réalité, peu de
marques libanaises, comme Haroun,
Kaddoum ou Jabal el-Cheikh entre autres,
sont présentes dans les supermarchés. La
plupart des éleveurs d’abeilles privilégient la
vente à domicile à des particuliers ou dans
des échoppes sur les routes de montagne –
mais tentent de s’ouvrir aussi aux marchés
extérieurs lorsque la quantité produite justifie
l’effort. Car notre substance sucrée est perçue
à l’étranger comme un produit exotique
de grande qualité.
CAPRICES CLIMATIQUES
Le miel importé, quoique soumis à une taxe
de 7 500 LL par kilo, demeure plus abordable
que le miel local. Encore que des
importateurs tentent parfois de faire introduire
la marchandise sous l’intitulé douanier
“fructose” beaucoup moins taxé. Les
apiculteurs craignent toutefois que cette
mesure protectrice ne soit abrogée à
terme, ce qui aura pratiquement pour
résultat une disparition du secteur, car le
consommateur, ne voyant pas toujours une
différence avec le miel importé, privilégie
ce dernier, nettement moins cher. Ceci dit,
l’importation reste indispensable, car la
production locale n’est pas suffisante. Elle
atteint une moyenne de 1 200-1 400
tonnes, ce qui laisse de la place à une
importation de 500 tonnes pour combler
une consommation de 1 800 tonnes. Quant
On compte au Liban
près de 4 000 apiculteurs
qui maintiennent chacun
entre 3 et 1 200 ruches
•• La propolis, substance
récoltée des bourgeons
d’arbres, est un véritable
désinfectant naturel. Elle
protège la ruche des
microbes, sert à y boucher
les fissures et à sceller les
rayons de cire. Vendu à 4 $
le kilo, on l’emploie en
médecine pour les cas d’encombrement
respiratoire ou
de maux de gorge.
• La gelée royale, à 7 $ le kilo, est
sécrétée par les glandes pharyngiennes
des jeunes abeilles. Elle aussi
est employée en médecine pour
accroître la résistance biologique. À
part ses effets aphrodisiaques – qui
restent à prouver.
• Le pollen, enfin, est disponible
entre 4 et 8 $ le gramme. Il est récolté
par l’abeille à l’aide de ses pattes
postérieures sous forme d’une pelote
par patte. C’est un complément alimentaire
naturel, vendu en pharmacie
en Europe. Ce n’est pas encore le
cas au Liban.
Trois produits dérivés
du miel