Quelle vie trépidante dans ce pays ! De délai en date butoir et de sursis en ultimatum, avec des échéances à chaque articulation. Il en va ainsi pour le politique, l’économique et le politique qui détermine l’économique. Ainsi de suite.
Le Liban est confronté, depuis le 3 septembre
2004, à un problème crucial de
“délais”. D’abord le délai, onusien, de la
résolution 1559, qui court théoriquement à 30
jours. Dans le langage des organisations internationales,
notamment celles d’inspiration
américaine, ce sont généralement les 100
premiers jours suivant le lancement de tout
projet (en l’occurrence le projet de reconduction
du mandat Lahoud) qui sont considérés
comme décisifs.
Dans la situation actuelle du Liban, cette
notion de délais se situe vraisemblablement
dans une marge allant de 6 mois (élections
législatives) à… 3 ans, donc jusqu’à la fin du
mandat Lahoud. Dans cette valse de délais,
quel que soit le “momentum” adopté, il est sûr
que le facteur temps pèse plus que jamais sur
le sort du pays.
L’ÉNIGME 1559
Avant d’aborder l’éventail des alternatives, il
faudrait simuler les effets économiques qui
pourraient découler de l’imbroglio politique
impliqué par la résolution 1559.
Politiquement, l’opinion générale tend à considérer
ce 3 septembre comme un faux pas,
une gaffe. Qui a ouvert la voie à l’internationalisation
du dossier libanais, avec son volet
syrien, et autres camps palestiniens armés et
milice du Hezbollah. C’est dire que les objectifs
visés par les décideurs internationaux
n’ont jamais été aussi maximalistes.
Les effets économiques qui résulteraient
potentiellement de la résolution 1559 sont
repérables à divers égards. En tête de liste
figurent les craintes sur les engagements pris
par la communauté internationale lors de la
conférence Paris II. Qui a constitué le moteur
de la stabilité économique et financière au
Liban ; une stabilité qui se maintient jusqu’à
nouvel ordre. Le grave problème qui se pose
ici est le suivant : la France, qui a joué un rôle
de pilier dans le montage politique et technique
de la conférence Paris II face aux pressions
du FMI et des instances américaines,
n’est plus censée remplir ce rôle après l’adoption
de la résolution 1559.
Il est vrai que l’essentiel de l’enveloppe financière
promise a déjà été acheminé vers le
Liban : environ 2,6 milliards $ sur 3,1 milliards
prévus. N’empêche qu’une somme supplémentaire
affectée initialement au financement
de projets du gouvernement (1,3 milliard $) ne
s’est pas encore concrétisée. De plus, les
engagements extérieurs ne se limitent pas au
volet financier, mais concernent également
l’assistance technique, les modalités d’exécution
du partenariat euro-méditerranéen et
même les conditions d’adhésion du Liban à
l’OMC. Alors que le doute plane désormais sur
l’ensemble de ces dossiers, il serait illusoire,
dans la nouvelle donne, d’envisager la tenue
d’une conférence Paris III pour sortir le Liban
de son abîme financier.
Dans la conjoncture politique actuelle, la porte
reste ouverte à toutes sortes d’initiatives –
américaines et/ou européennes – visant à resserrer
l’étau sur le duo Syrie-Liban. Le spectre
des “sanctions” constitue manifestement une
épée de Damoclès pour les deux pays. Au
terme du délai des 30 jours stipulé par la résolution
1559, les pressions américaines – et
internationales – iront probablement crescendo.
Envisageons des scénarios quelque peu
désagréables : quelles pourraient être, par
exemple, les répercussions d’une éventuelle
décision américaine de “réguler” les transactions
entre les banques américaines et libanaises
? Ou les effets engendrés par une
demande américaine de geler les comptes
bancaires au Liban de personnes morales ou
physiques libanaises et syriennes ? Ou encore
les retombées des influences américaines
sur les notations du risque souverain libanais
par les agences internationales ?
Ce genre de simulation doit être pris en compte
par nos responsables. Car dans un pays
comme le Liban, où l’essentiel des circuits
économiques est fortement dépendant de l’extérieur
(importations, exportations, transactions
bancaires, transferts de capitaux, investissements
directs étrangers, mouvement touristique…),
l’internationalisation de son avenir
politique risque d’envenimer les choses.
À UN MOMENT D’ÉCLAIRCIE
La situation actuelle de l’économie réelle
?
Les effets économiques qui résulteraient potentiellement
de la résolution 1559 de l’ONU sont repérables à divers
égards. En tête de liste figurent les craintes sur les engagements
pris par la communauté internationale lors de la
conférence Paris II. grammes de privatisation et de titrisation,
l’ajournement perpétuel des réformes et
la débâcle au niveau des politiques
sociales continuent à peser lourdement
sur la sphère économique.
PLAN DE SALUT : REBELOTE
En fait, la marge de manoeuvre des Libanais –
gouvernement, classe politique, monde des
affaires confondues – se rétrécit. Tout plan de
sauvetage national devrait immanquablement
respecter le facteur temps et donc obéir à la
logique des délais.
Dans les quelques mois à venir, un tel plan
devrait asseoir progressivement les piliers des
réformes à divers niveaux :
• Politiquement, assurer une réconciliation
nationale, une réforme de la loi électorale, le
lancement sérieux de la décentralisation, la
restructuration de l’Administration et la correction
du dossier des rapports libano-syriens.
L’objectif essentiel est de pouvoir convaincre
les Libanais – naturellement sceptiques – qu’il
existe un projet national de changement,
concerté, efficace et viable.
• Mettre à jour le programme d’ajustement
financier, préparé en 1999 par le gouvernement
Hoss, mais repris dans certaines de
ses grandes lignes par les gouvernements
suivants. Et donner la priorité, à cet égard,
à la réforme des politiques de dépenses
publiques qui constituent la pierre angulaire
de l’effort national, visant à circonscrire la
crise des finances publiques. Cette priorité
s’explique par le fait que les efforts
déployés jusqu’à maintenant ont finalement
abouti à augmenter considérablement la
ponction fiscale. Ceci ne doit toutefois pas
freiner la poursuite des réformes au niveau
fiscal en vue d’une plus grande égalité.
• Élaborer sérieusement des politiques sectorielles,
éventuellement dans le cadre du plan
quinquennal sus-mentionné, en mettant en
relief la carte des avantages comparatifs dont
le Liban est doté. Et utiliser en même temps
les politiques d’encadrement et de crédit subventionné
comme stimulant pour mieux cibler
ces spécialisations-niches. Les gains de productivité
et de valeur ajoutée doivent figurer
en tête de liste des critères à prendre en
considération. Dans cette perspective, des
approches plus modérées doivent être
adoptées vis-à-vis des conditions d’adhésion
du Liban aux projets d’intégration
internationale et régionale.
• Respecter les directives du “Schéma directeur
des territoires libanais” (CDR 2004) en
matière d’urbanisation, de construction, de
développement, de localisation des activités
économiques, de l’utilisation des ressources,
etc. Ce schéma, élaboré suite à 2 ans de travail
par des dizaines de chercheurs, tente de
rationaliser l’utilisation des ressources du
pays d’ici à 2030.
• Redéfinir le rôle de l’État dans la sphère
sociale. L’idée essentielle est que l’État
dépense relativement trop d’argent dans ce
domaine, mais sans grand impact. Il faut
donc remplacer les interventions chaotiques,
doublées, isolées et caduques par
un plan mieux ciblé et plus efficace. Dans
cette perspective, la réforme des secteurs
d’enseignement et de santé, la mise en
cours du projet de pension de retraite, la
redéfinition du salaire minimum, la libéralisation
de l’activité municipale devraient
constituer les éléments moteurs du plan de
développement en question.
La concrétisation de ces éléments n’est-elle
pas un rêve ? Aurait-on besoin d’une “révolution
française” à la libanaise ?
n’est toutefois pas aussi sombre. Les principaux
indicateurs économiques des 3 premiers
trimestres de 2004 confirment l’amélioration
enregistrée en 2003, même si elle n’a pas été
ressentie sur le plan social.
• Au niveau de certains secteurs-clés de
l’économie, la relance se maintient, voire s’accentue,
comme c’est le cas dans l’immobilier,
les exportations industrielles, l’activité touristique,
les télécoms. L’investissement est de
plus en plus financé par des programmes de
crédit développés par Kafalat, la BDL, la BEI et
par des investisseurs arabes qui tendent à
“relocaliser” leurs affaires vers la région, et
vers le Liban.
• Au niveau des finances publiques, des progrès
ont été enregistrés en 2004 sous l’effet
conjugué de la baisse, quoique timide, des
taux d’intérêt, de la tendance à la hausse des
recettes et du tassement des dépenses
publiques. Au terme des 9 premiers mois de
2004, le taux de déficit public semble s’aligner
sur les prévisions du projet de budget 2004,
contrairement à l’année 2003. Mais cet assainissement
semble découler des effets engendrés
par la conférence Paris II plutôt que par
des politiques de réforme.
• Au niveau des équilibres extérieurs, on
note un déficit plus limité de la balance
courante, un excédent persistant de la
balance des paiements et la consolidation
des réserves de la BDL.
Malheureusement, l’amélioration de ces indicateurs
reste conjoncturelle. Et l’on est encore
loin d’un renversement de tendance décisif
au niveau de l’ensemble de l’économie en
général, et de l’économie publique en particulier.
D’autant plus que cette amélioration est
essentiellement concentrée dans des îlots qui
n’engendrent pas des effets d’entraînement
en faveur des PME. Par ailleurs, le gel des pro-
Débat public – à ne pas manquer
À l’occasion de son 75e anniversaire
organise une table ronde ouverte à tous sur le thème :
“Le Liban dans 10 ans“
• Comment sera-t-il ?
• Comment doit-il être ?
Un panel d’économistes et d’acteurs économiques de premier plan animeront le débat, dont : MM. Bernard Fattal,
Kamal Hamdan, Toufic Gaspard et Yehya Hakim. L’assistance aura également l’occasion d’y intervenir directement
La table ronde aura lieu le mardi 26 octobre à 17h00 au Biel, dans le cadre du Salon Lire en français.