On croyait que le pays n’avait plus besoin d’hôpitaux – en plus des 150 qui peinent déjà à rentrer dans leurs frais. Apparemment, c’est faux. Du moins c’est ce que pensent les initiateurs de 3 établissements d’envergure, à 50 millions $ pièce. Mais regardons d’abord de plus près leur business plan.
Domaine d’excellence reconnue, la
médecine libanaise sera-t-elle un des
moteurs de notre renaissance ? La multiplication
récente des centres hospitaliers le
laisse penser, et confirme l’existence d’un
besoin – et d’un marché. A priori. Reste à survivre
dans un environnement où la Sécurité
sociale peine à payer, où la pression des assureurs
se fait grandissante et où, sur le plan
régional, à part la Jordanie très active dans ce
domaine, Dubaï s’attelle à la construction
d’une Health City liée à des noms comme
Mayo Clinics ou Harvard Medical Institute. À
chacun sa recette, sa vision… Et la plupart
voient grand.
«BESOIN D’UN AUTRE GENRE
D’HÔPITAUX»
Pour deux nouveaux intervenants sur le marché
hospitalier, l’histoire est celle d’émigrés
qui rêvent d’apporter leur contribution à leur
pays, non seulement par leur science mais
aussi en mettant au point des structures nouvelles.
«Le Liban n’a pas besoin d’un nouvel
hôpital, mais d’un autre genre d’hôpitaux»,
affirme le Dr Mounes Kalaawi, directeur général
de Clemenceau Medical Center (CMS),
hôpital généraliste, qui devrait ouvrir ses
se déplacer d’un
service à un autre.
La prise de décision
n’est plus l’apanage
d’un médecin unique, mais
celle d’un collège, argument importé de pratiques
occidentales, et qui est supposé être
bien rassurant pour le patient.
CRÉNEAUX FÉMININS
La femme semble être un créneau porteur
en tout cas. La Clinique du Levant (Sin el-
Fil), qui a démarré certains de ses services il
y a quelques mois, est à l’origine dédiée à la
gynécologie, car ses fondateurs, Drs Edgar
Haddad et Antoine Maalouf, sont deux gynécologues
bien connus. Mais la Clinique est
devenue généraliste par pragmatisme, pour
couvrir d’autres besoins. Pour cette première
phase de démarrage, elle génère encore
75 % de son activité par la femme : gynécologie
(y compris fécondation in vitro, génétique…),
cancer du sein… mais aussi chirurgie
plastique.
De son côté, l’hôpital de jour à Saïfi Consulting
Clinics cible notamment la chirurgie plastique
aux côtés des opérations bénignes telles que
portes en décembre
2005 et qui se présente
comme un établissement
accrédité par le
célèbre John Hopkins.
Un autre projet de grande
envergure a déjà
lancé certains services,
mais l’inauguration officielle
est prévue pour
avril 2005. Il s’agit du
Middle East Institute of
Health (MEIH) : 200 lits, 40 000 m2 nets de
surface construite à Bsalim (Metn) dans un
environnement calme, vert, vue sur mer, le
tout pour accueillir des patients ayant besoin
de thérapies plus ou moins longues. Le centre
est principalement positionné sur l’oncologie
(cancers), «pas uniquement dans le sens où
on l’entend communément au Liban – de la
chimiothérapie», précise le Dr Walid
Salamoun, qui est, avec le Dr Henri Azar, l’initiateur
du projet. Pour eux, il s’agit plutôt d’un
centre global, articulé autour d’organes bien
spécifiques : le foie, le
sein, les poumons,
etc. Ainsi, par
exemple, une
aile est dédiée à
la femme où
elle peut consulter,
faire une
mammographie,
une densimétrie
osseuse… jusqu’à
l’intervention
chirurgicale
dans un périmètre
bien défini,
sans devoir
Les
investissements
ne sont pas
minces :
60 millions $
pour le CMC
À la Clinique
du Levant,
les médecins ont
la possibilité d’être
actionnaires
de la “société
foncière” chambres VIP, plus chères mais bénéficiant
d’un confort supérieur à celui des premières
classes. De même au MEIH, des chambres
attenantes aux chambres des patients sont
prévues pour accueillir la famille.
À LA RECHERCHE
DES FORMULES GAGNANTES
Alors, s’il n’existe pas une grande marge de
manoeuvre sur les tarifs, les volumes – et la
différenciation – seront-ils suffisants pour
permettre la rentabilisation de ces investissements
lourds ? Le Dr Salamoun cite le
concept de “globalité des soins”, incluant
même le support psychologique et social, y
compris peut-être des cours de yoga ou
autre discipline contribuant au bien-être
mental. Il met en avant aussi l’équipement,
pas nécessairement plus cher mais nouveau,
tel que ce petit appareil qui permet d’opérer
une tumeur au sein, de la façon «la moins
destructrice possible». Au MEIH, il est prévu
aussi de pratiquer des transplantations du
pancréas, du foie, de la moelle épinière ou
encore les îlots de langerhans pour les diabétiques.
De même, l’établissement est en
discussion avec une équipe médicale pour
créer une division d’oncologie pédiatrique.
À ceux qui affirment qu’un tel hôpital spécialisé
n’a pas de place au Liban, le Dr
Salamoun oppose que personne
ne l’a déjà fait pour savoir quelle
est la demande exacte à ce
niveau, et il donne l’exemple du
Eye & Ear Hospital, autre hôpital
spécialisé ouvert il y a quelques
années à Naccache. Mais, pour un
chirurgien établi depuis peu au
pays, les 2 cas ne sont pas comparables
: «Comment se spécialiser
en oncologie, alors que la plupart
des médecins au Liban ne
révèlent même pas encore aux
patients qu’ils sont atteints d’un
cancer ? ». Cependant, une loi
vient de sortir pour imposer un
minimum de transparence médicale.
De plus, au Liban, l’on suit
encore la personne du médecin ;
l’idée de s’en remettre à un
“centre de soins” n’est pas dans
les moeurs. Mais du côté du
MEIH, le Dr Salamoun confirme
le potentiel du marché spécialisé
: le business plan a été
construit sur l’hypothèse que
l’Institut attirerait à terme 20 %
des patients libanais dans le
domaine de la cancérologie
(selon sa définition assez large
citée ci-haut).
l’appendicite. Cette petite clinique du centreville
s’adresse cependant en premier au
patient non hospitalisé (outside patient).
Le MEIH, quant à lui, met en place un centre
d’obésité qui comprend, entre autres, l’endocrinologie,
la diététique, la chirurgie. Le
Clemenceau nourrit des ambitions similaires
avec le projet de développer ultérieurement
une division spécialisée en oncologie.
Heureusement donc que la zone de “chalandise”
des deux hôpitaux n’est pas la même.
La Clinique du Levant, elle, prévoit, entre
autres, un centre de remise en forme et un
spa médicalisés, activités à marges élevées,
un département de médecine du sport... Par
ailleurs, pour cet hôpital, comme pour
d’autres probablement, la décision d’ouvrir
tel ou tel autre département ne correspond
pas forcément à l’identification d’un
besoin ; elle est plutôt guidée par la spécialisation
des médecins qui rejoignent
l’équipe, et par conséquent de la clientèle
qu’ils peuvent amener. Et la chirurgie plastique
est bien évidemment au rendez-vous,
pour servir, entre autres, une clientèle des
pays du Golfe, qui recherche la discrétion
pour ce type d’intervention.
Mais les patients visés en premier lieu
restent, d’après le discours officiel, les
résidents locaux. Et même si le MEIH
compte bien promouvoir ses services
dans la région arabe, son business
plan a été construit sur la base des
seuls patients libanais, selon le Dr
Salamoun. Le tourisme médical, renforcé
par l’effet-11-septembre, ne
serait que la cerise sur le gâteau. Un
gâteau qui pourrait bien gonfler, vu la
différence dans le coût entre
l’Occident et le Liban. Il serait de dix
fois moindre au Liban qu’aux États-
Unis par exemple.
Pourtant, les investissements entrepris
au Liban ne sont pas minces : 60
millions $ pour le Clemenceau et
l’équivalent, à terme, pour le Middle
East. On aurait alors tendance à penser
que les tarifs pratiqués devraient
s’envoler. Mais tous signalent que
leurs tarifs sont en ligne avec ceux
des grands établissements de la capitale.
Ceci étant dit, la Clinique du
Levant met en avant son service hôtelier,
plus développé que dans les
grands hôpitaux, avec, par exemple,
une chambre plus vaste et plus
confortable que la moyenne du secteur,
et aux mêmes tarifs moyens du
marché. Elle propose aussi des
Établissement Actionnariat
Clemenceau Medical Center Maher et Amir Abu Ghazaleh, Dr Mounes Kalaawi,
Dr Zuhair Alami…
Clinique du Levant Dr Edgar Haddad, Dr Antoine Maalouf…
Middle East Institute of Health Dr Walid Salamoun, Dr Henri Azar,
Massaad Massaad, Joseph Flouty, Paul Kebbe,
Romanos Saab, Khawla Rizk, Edmond Saadeh,
Jack Khayat, Joseph Abou Dib
Consulting Clinics Dr Fayez Takieddine, Dr Abou Habib,
al-Walid ben Talal…
Petit panorama
L’essor de la chirurgie plastique Pour accumuler les arguments, le
Clemenceau indique par exemple que les chirurgiens
à Beyrouth pourront suivre en direct
par téléconférence une intervention qui se
déroule à John Hopkins à Baltimore ; de
même ils pourront facilement consulter leurs
confrères américains. La Clinique du Levant a
des accords de téléconférence et d’échange
de résidents avec Strasbourg et Clermont-
Ferrand. La qualité des soins tient également
au corps médical : le MEIH s’est attelé à recruter
ses médecins auprès de la diaspora libanaise,
selon le Dr Salamoun. Qui indique que
plus des deux tiers des médecins sont des
Libanais qui rentrent principalement des
États-Unis, mais aussi de France et 20 d’entre
eux sont déjà là. Le CMC a également pioché
dans le vivier des expatriés. Ce qui n’est pas le
cas de la Clinique du Levant, qui fonctionne
essentiellement avec des médecins «qui ont
déjà fait leurs preuves sur place», selon le
directeur Antoine Choueiri.
Le service est aussi mentionné par tous les
nouveaux acteurs comme un facteur-clé de
succès. Le “Customer Care” bat son plein,
surtout que c’est le point faible de beaucoup
d’hôpitaux renommés dans le pays : l’attention
du personnel paramédical, la convivialité,
le confort, l’intimité, la personnalisation,
et la rapidité du service – les patients arabes
n’aiment pas faire la queue pour les radios
ou les laboratoires.
MODÈLES ÉCONOMIQUES VARIÉS
Le schéma économique est en tout cas une
condition de la réussite d’un projet d’hôpital,
selon le Dr Salamoun. Qui a mis au point un
système évolué de “pool” où les revenus
des médecins sont groupés et redistribués
entre tous. L’objectif étant que même si une
spécialité ne génère pas immédiatement un
niveau substantiel de revenus, elle puisse
perdurer sans que la qualité en soit atteinte.
À la Clinique du Levant, le principe est différent
: les médecins ont la possibilité, mais
pas l’obligation, d’être actionnaires de la
“société foncière”, propriétaire du bâtiment
et des équipements. Les praticiens réguliers
sont en revanche actionnaires de la “société
médicale”, qui est d’ailleurs encore ouverte à
ceux qui le souhaitent. La direction est flexible
sur la mise de départ du médecin qui souhaite
investir dans la Clinique, car elle a
conscience que «les jeunes médecins n’ont
pas forcément la possibilité de débourser plusieurs
dizaines de milliers de dollars pour pouvoir
intégrer l’établissement». Faire partie de
la “société médicale” n’est donc pas onéreux.
Alors que les chiffres évoqués se situent
autour de 100 000 à 200 000 $ l’action pour
les médecins actionnaires de la “société foncière”.
Les deux fondateurs, le Dr Edgar
Haddad et le Dr Antoine Maalouf, ont déjà mis
à eux seuls une dizaine de millions de dollars.
LA GESTION DE LA RENTABILITÉ
Le concept et le modèle économique ne
suffisent cependant pas, à eux seuls, à
déterminer la rentabilité d’un hôpital. Et le
discours est le même dans la communauté
spécialisée : «Les hôpitaux sont généralement
rentables ; lorsqu’ils ne le sont pas,
c’est une question de mauvaise gestion».
Une taille optimale ? Les nouveaux arrivants
comptent entre 100 et 200 lits. Ce
chiffre – de la taille – ne semble pas leur
poser de problème particulier face aux 300-
400 lits des grands hôpitaux. «Au contraire,
disent-ils, on fonctionne avec une taille
humaine». Pas de problème de gestion
financière non plus lorsqu’ils ne sont pas
sous la coupe de créanciers ou d’actionnaires
pressés de récupérer leur mise de
départ. Tant CMC que MEIH se distinguent
par l’absence de recours aux banques. Ce
qui n’est pas le cas de la Clinique du Levant,
soutenue, mais seulement dans sa phase
finale “postconstruction”, par un crédit de 6
millions $ de la Bank of Beirut.
MEIH est principalement financé par des
expatriés libanais du Brésil, du Golfe et des
États-Unis. Qui ne sont pas pressés pour avoir
une rentabilité à court terme ; en tout cas, le
retour sur investissement pour des hôpitaux
de cette nature est typiquement de 7 à 8 ans
selon nos différents interlocuteurs. De même,
le CMC est financé, selon le Dr Kalaawi, par
des particuliers libanais fortunés. Des sources
dans le milieu médical avaient fait allusion à
un actionnariat saoudien, démenties par le Dr
Kalaawi, qui n’a pas voulu cependant dévoiler
le nom des actionnaires, excepté celui connu
de l’homme d’affaires Maher Abou Ghazaleh.
Quant à Consulting Clinics, elle fonctionne en
partenariat avec un groupe saoudien, financé
à 40 % par al-Walid ben Talal. Il faut noter
cependant que pour tous les nouveaux intervenants
sur le marché, une partie des besoins
est financée par le crédit fournisseur sur les
équipements, par l’étalage de l’investissement
dans le temps et par le cash-flow de
l’activité. C’est le modèle classique d’ailleurs
des hôpitaux “communautaires” du pays, qui,
eux, n’ont pas à se soucier de la pression d’un
quelconque actionnariat.
À l’instar de ces hommes
d’affaires avisés, les pouvoirs
publics et d’autres
acteurs privés ont pris
conscience des enjeux
du marché de la santé et
ont fait appel aux services
d’un bureau dédié,
K&M International, pour
promouvoir le Liban
comme destination médicale
et conclure des
accords avec les hôpitaux
de la région.
Mais pourquoi ne pas attirer
aussi un tourisme
médical occidental ?
L’exemple de l’Inde est
parlant. Au Royaume-
Uni, les patients doivent
attendre de longs mois
avant de pouvoir être
admis dans les hôpitaux
du National Health
Service (NHS), et dans le
privé une prothèse de la
hanche coûte l’équivalent
de 18 000 $, alors que le
coût global d’une telle
hospitalisation en Inde,
avec le séjour, ne dépasse
pas les 6 000 $.
Ainsi, l’Inde a attiré
l’an dernier quelque
150 000 touristes médicaux.
Certains hôpitaux
indiens pensent même
lancer une télémédecine
qui permette aux médecins
de famille en
Angleterre ou ailleurs de
consulter des spécialistes
en Inde et d’y référer
leurs patients. De
même, l’Afrique du Sud
propose des packages
chirurgie/safari. La société
dédiée, “Surgeon and
Safari”, compte déjà un
millier d’opérations par
an. Au niveau régional, la
menace de Dubaï
comme pôle de tourisme
médical est fictive, selon
l’avis de plusieurs médecins
interrogés : les
Arabes ont une grande
confiance dans la compétence
libanaise, à laquelle
s’y ajoutent l’hospitalité
et un bon climat. Et les
médecins libanais qui
réussissent se trouvent
au Liban, ou expatriés à
l’Ouest, mais pas à
Dubaï…
Le tourisme hospitalier
Le MEIH,
c’est 200 lits,
40 000 m2 nets
de surface
construite
à Bsalim