…Ou de la manière de remercier un tiers pour un service sollicité et illégal. Ce qui suit n’est pas un appel à la corruption ; bien au contraire, il s’agit de déjouer ses pièges lorsque vous êtes confronté à une telle pratique.
Vous connaissez sans doute l’histoire
que raconte un officiel de la Banque
mondiale qui visite un ancien
ministre européen dans sa maison de campagne.
Lui demandant comment il a pu
financer une pareille demeure, il s’entend
répondre : Te souviens-tu de l’autoroute
que tu as empruntée pour arriver chez
moi ? Eh bien, c’est grâce à ma commission
de 10 %.
Visitant un ministre en Afrique qui le reçoit
dans sa ferme de 20 hectares avec une superbe
maison, il lui pose la même question. La
réplique est similaire : Te souviens-tu de l’autoroute
que tu as empruntée pour venir chez
moi ? Il lui dit : Quelle autoroute ? Le ministre
lui montre alors son château : La voici !
De toutes les leçons que l’on apprend à l’université,
aucun sujet ni aucun chapitre n’enseignent
à l’étudiant quoi que ce soit sur les
pots-de-vin. Alors que la presse cite souvent
des cas de malversations dans les pays en
voie de développement, et même dans des
nations hautement développées. Les
exemples les plus faciles à comprendre sont
ceux liés aux marchés publics, notamment
les travaux de construction. Les entreprises
trouvent toujours moyen de contourner les
lois ; autrement, elles perdraient toute chance
de se voir attribuer un grand projet !
Travaux pratiques : les entreprises peuvent
soumettre des offres aux adjudications avec
des prix trop bas afin d’obtenir le contrat, tout
en espérant, avec préméditation malicieuse
ou idiotement, faire appel lors de l’exécution
à des révisions de prix et/ou à des modifications
des travaux. Ces “Change Orders” leur
permettent alors de gonfler la facture finale
grâce aux nouvelles prestations dont les prix
sont bien sûr exagérés car ils ne sont plus
soumis à la concurrence. On a bien vu au
Liban dans les années 90 des tronçons d’auartificiellement
surestimées, ou sous-estimées,
et adapter son prix en fonction, pour
obtenir le contrat.
En 1977, le président des États-Unis, Jimmy
Carter, avait initié une loi qui ne permettait
plus aux entreprises américaines travaillant
à l’étranger de soudoyer un agent de l’État
concerné pour obtenir un contrat. Sans cette
contrainte, elles auraient pu – en soudoyant
– concurrencer les sociétés européennes qui
n’étaient pas soumises à des législations
aussi strictes. Cependant, depuis la naissance
de l’Europe unie, des législations similaires
sont en principe applicables.
Parfois, pour contourner cette obligation et
se couvrir du fait de tels abus, certaines
entreprises internationales signent des
contrats de sous-traitance fictifs ou pour un
montant démesuré avec une société appartenant
à l’agent local. Les compagnies qui
espèrent obtenir un contrat en participant à
un appel d’offres doivent en tout cas prendre
en compte un facteur variable de commission
illégale, ou ce que d’autres appellent
toroute qui ont été emportés à 25 millions $
et dont le coût final a atteint 40 millions. Ces
prestations sont parfois agréées d’avance,
de connivence avec l’architecte, le manager
du projet ou l’agent de l’État, moyennant une
répartition des gains supplémentaires
engendrés par ces modifications.
ITINÉRAIRES CLASSIQUES
D’autres méthodes mettent en avant des
pots-de-vin offerts par l’entrepreneur au
bureau de contrôle, ou à un de ses ingénieurs,
pour fermer l’oeil sur l’utilisation de matériaux
de moindre qualité, ou quantité. On cite également
souvent les cas de connivence entre 2
ou plusieurs soumissionnaires pour répartir
les bénéfices, exagérés, quelle que soit l’identité
du gagnant. Un autre scénario plus
sophistiqué suit le schéma suivant lorsque
l’offre doit être basée sur des quantités précises
incluses dans le cahier des charges :
dans ce cas, suite à des fuites, un entrepreneur
peut savoir que de telles quantités sont
Illustration Nevine Mattar tirée du livre “Business Wisdom – Handbook and Guide for Civil Engineers and Architects”. des frais de “Relations publiques”.
Il est par exemple assez habituel dans certains
pays d’Afrique lors de la visite d’un officiel,
que le planton, ou même la secrétaire,
demande en un français peu châtié: “Tu as un
petit cadeau pour moi ?”. Bien entendu, il ne
s’agit dans ces cas que d’un vêtement ou d’un
parfum. Cependant, cela laisse prévoir ce qui
se passe dans ces pays. Et il est bien convenu
que les hauts officiels ont des ambitions
d’une autre envergure. Il est quasiment
impossible de traiter des affaires dans les
pays du tiers-monde sans graisser la patte,
d’une façon ou d’une autre, à un membre de
l’administration publique. Mais il ne faut pas
édulcorer le système, c’est bien un pot-de-vin.
La législation américaine couvre aussi bien la
corruption par des agents étrangers au pays,
que les sociétés “subsidiaires” de compagnies
américaines à l’étranger. Un premier
cas a été jugé lorsque le président néerlandais
de Saybolt North America Inc., une succursale
d’une compagnie pétrolière des Pays-Bas,
avait payé un pot-de-vin de 50 000 $ pour
l’obtention d’un bail sur la rive du canal de
Panama. Mais ceci reste quand même rare,
vu que les preuves sont souvent absentes.
Un professeur de droit, de nationalité suisse,
qui travaille pour l’OCDE sur le sujet des
pots-de-vin dans les affaires internationales,
a été récemment cité lorsqu’il indiquait
que, pour progresser dans le bon
sens, il faudrait développer de nouvelles
techniques d’investigation et en particulier
en ce qui concerne la collecte d’évidences
à l’étranger, hors du pays du contrat.
DIFFICILES ÉVALUATIONS
Les problèmes d’éthique et de professionnalisme
posent des dilemmes pour certains
métiers libéraux et en particulier pour les
ingénieurs. Les valeurs culturelles sont très
variables d’un pays à un autre, et cette
relativité est un aspect important que l’on
ne peut estimer sauf si l’on a l’expérience
d’une approche globale.
Certaines références comparatives, publiées
annuellement, indiquent que l’indice le plus
élevé de corruption ou “perception de la corruption”
est constaté dans la majeure partie
des pays d’Afrique, du Moyen-Orient et
de l’Extrême-Orient. En Europe, l’indice
démarre avec 5,5/10 pour l’Italie, pour arriver
à la Finlande avec la meilleure note
(10). Le Liban est à la 97e place, selon la
version 2004 de cet indice préparé et
publié par Transparency International.
Jak Jabes, un conseiller auprès de la Banque
Asiatique de Développement, a estimé, voilà
deux ans, que la corruption dans la région du
Sud-Est Pacifique est évaluée à 1/6e du PNB.
Mais pour lui, d’autres coûts parallèles sont
plus difficiles à évaluer, et plus sérieux,
incluant l’érosion du droit, de la confiance et
de la stabilité politique.
De toutes les grandes compagnies pétrolières,
Shell est donnée comme exemple de
vertu dans son traitement anticorruption. En
l’an 2000, la compagnie annonçait qu’elle
était “a no bribe, fair competition business”.
Ceci est assez rare dans ce domaine des
affaires. Certaines compagnies ont rapporté
qu’elles défendent à leurs employés d’accepter
des pots-de-vin, mais qu’elles leur
permettent d’en donner. Lorsque des allégations
de corruption sont soulevées à l’encontre
d’une entreprise, un mur de silence
s’élève alors pour protéger ses employés, et
on réagit tout comme une famille solidaire.
D’un autre côté, les compagnies américaines
demandent souvent à leur ambassade dans
un pays désigné de les appuyer auprès des
autorités dudit pays pour l’obtention d’un
contrat. Le représentant américain est supposé
accepter, mais à condition que la compagnie
en question signe d’abord un formulaire
appelé “Advocacy of Non-Bribery”.
Graduellement, de plus en plus de pays resserrent
donc leur contrôle de la corruption, en
passant des lois plus contraignantes et des
pénalités importantes. On ressent depuis une
décennie une globalisation de lois bien plus
strictes. Des maires, des ministres, des
Premiers ministres et des présidents
même, qui étaient jadis intouchables, ne le
sont plus. Mais ceci n’est pas valable pour
tous pays…
(*) Ce texte est adapté par Élie Antoine Sehnaoui,
auteur du livre intitulé : “Business Wisdom –
Handbook and Guide for Civil Engineers and
Architects”. Édité par Athena Press en Grande-
Bretagne. L’auteur a mené des projets importants
dans un grand nombre de pays.
Une construction peut en cacher une autre
Illustration originale de Gabriel Ferneiné.