“Hub”, un anglicisme entré dans le jargon des professionnels, même francophones. Et un concept monosyllabique qui peut être source de bénéfices substantiels. Mais notre aéroport est-il déjà cette “plaque tournante” tellement convoitée ?

«Pourtant, cela n’est pas encore suffisant. Il est vrai
qu’avant 1975,
l’aéroport était un
point de rencontre
et peut le redevenir,
assure Hamdi
Chaouk. Mais pour
l’instant, il ne se
positionne qu’en
tant que hub de
passage rapide, et
cela ne constitue
qu’un aspect de la
question. C’est
pour cela que nous avons ouvert un terminal
spécifique pour les charters».
L’ÉQUILIBRE IDÉAL
Néanmoins, Dubaï conserve pour l’instant
le trophée du hub le plus important
de la région, 50 % de ses voyageurs
étant en transit direct, contre à peine
5 % pour l’AIB. Reste à savoir si une
augmentation de cette proportion est
souhaitable, car un important taux de
transit peut signifier une moindre quantité
de touristes qui s’arrêtent bel et bien
dans le pays. «Tout dépend de la stratégie
des compagnies d’aviation,
remarque Nizar Khoury. Vendent-elles le
Liban en tant que destination finale ou
préfèrent-elles d’autres pays ?».
L’idéal serait un développement tous azimuts,
avec une proportion de 60 % de visiteurs-
touristes propres et 40 % de “transitaires”.
Car le développement de l’AIB sous
forme de hub aurait des conséquences
Fort de sa nature cosmopolite et sa
situation géographique, entre
Occident et Orient, le Liban touristique
a toujours nourri des fantasmes de
plaque tournante régionale. Dans cette imagerie,
l’aéroport de Beyrouth aurait donc
pour vocation de jouer le rôle de “hub”
régional de transit, avec tous les avantages
économiques qui en découleraient. Mais le
conditionnel est toujours de mise…
Selon Hamdi Chaouk, directeur général de
l’Aviation civile, un hub se définit selon
quatre caractéristiques précises :
1) Un important nombre de voyageurs dans
le pays lui-même.
2) La capacité de l’aéroport à recevoir un
flux significatif de passagers en transit
venant de régions différentes.
3) Sa capacité à servir les passagers mais
aussi à gérer un important volume de cargo,
et à se relier à d’autres aéroports de fret.
4) Sa capacité à assurer de multiples activités
(charter, business, tourisme...) sur
différentes destinations.
Dans ces conditions, où en est l’AIB dans
cette histoire de hub ?
«L’AIB est déjà un lieu de transit important,
entre l’Europe, l’Afrique et le Golfe,
souligne Nizar Khoury, chef du département
commercial de la MEA. De plus, il
dispose de toutes les infrastructures
adéquates : il peut accueillir 6 millions
de passagers et en reçoit déjà 3 millions
; il est l’un des meilleurs de la
région en termes d’efficience et de facilité
d’accès (10 minutes pour rejoindre le
centre-ville). Le duty-free se développe
à grande vitesse, et n’est supplanté que
par celui de Dubaï au niveau de la taille,
tout en étant moins cher».
économiques très positives. «Les études de
la IATA ont montré que pour chaque million
de passagers supplémentaires, 4 000 nouveaux
emplois sont créés dans les secteurs
du transport et du tourisme, note Hamdi
Chaouk. De plus, les revenus de l’AIB augmenteraient.
De toute façon, nous ne
devons pas entrer en compétition avec
Dubaï à ce niveau, car les deux pays sont
complémentaires : le Liban est un lien avec
l’Europe, et Dubaï avec l’Asie. Sans compter
qu’un développement basé sur les
grands mouvements internationaux est risqué,
car – comme nous avons pu le
constater récemment – les flux peuvent se
modifier ou se bloquer très vite».
La tendance va donc dans ce sens, en
dépit d’une certaine timidité des transporteurs
liée à l’insécurité régionale.
Ainsi, la levée de l’embargo américain et
la mise en place d’un trafic régulier avec
l’Europe de l’Est et l’Afrique constitueraient
le détonateur d’une véritable
croissance pour l’AIB. L’INCONNUE CHARTER
Certains y croient dur comme fer,
d’autres sont plus réticents dans le
contexte actuel ; il n’empêche qu’organiser
des vols charter à partir du Liban se
fait de plus en plus, mais à un rythme
assez lent. Car qui dit charter dit package
: selon la définition légale libanaise,
toute compagnie proposant un vol charter
doit aussi assurer un séjour. Une singularité
juridique purement locale. «En
Europe, on ne fait même plus de différence
entre un vol charter et un vol régulier,
alors qu’ici, la législation est archaïque,
regrette Hamdi Chaouk. Si de nombreux
charters demandent à être présents à
Beyrouth depuis l’ouverture du ciel, c’est
qu’il existe une demande. Mais selon une
ancienne loi, un charter doit obligatoirement
travailler avec un tour-opérateur. De
plus, le gouvernement a officiellement
limité la capacité des charters libanais à
opérer sur les routes que la MEA ne dessert
pas. Ce n’est pas du tout ainsi que le
secteur est réglementé dans les pays à
économie de marché. C’est d’autant plus
anormal que cela crée une injustice, les
charters étrangers pouvant, eux, opérer
sur ces lignes. Le gouvernement veut
protéger la MEA, mais cela ne pourra pas
durer longtemps».
Le son de cloche est
radicalement différent
à la MEA, où – évidemment
– on considère ces
restrictions comme parfaitement
normales. «Cette
régulation vise à protéger les compagnies
aériennes d’une concurrence déloyale,
mais aussi les clients, souligne Nizar
Khoury. Car les compagnies de charters ne
sont pas enregistrées à la IATA. Par
ailleurs, les charters libanais n’ont pas suffisamment
de moyens pour disposer
d’avions. Les agences libanaises qui proposent
des vols charters louent les avions
de sociétés étrangères, égyptiennes et
turques surtout».
Ce qui mérite une explication plus
détaillée. «Dès que le ciel ouvert a été
déclaré, de nombreuses compagnies
étrangères et locales ont tout de suite
pensé pouvoir opérer au Liban, explique
Hamdi Chaouk. Mais déclarer le ciel
ouvert signifie briser les barrières pour
un développement économique, et non
laisser tout faire. Partout dans le monde,
la condition de sécurité doit être respectée
sans compromis possible. Une inspection
a donc lieu en 5 étapes, et il faut
6 à 8 mois pour obtenir la certification
(AOC)». Pour l’instant, 5 compagnies
libanaises ont obtenu leur AOC : Menajet
(un seul avion de ligne), Bsat el-Rih
(2 avions pour VIP), Asas (2 avions pour
VIP), Executive (1 avion pour VIP) et la
MEA bien sûr.
Sur le terrain, tout cela complique bien
sûr la vie des voyagistes. «Pour organiser
un voyage, il faut prendre en compte plusieurs
critères : la destination, le nombre
de places, l’hôtel et le tout à des prix raisonnables,
explique Élie Nakhal, PDG de
l’agence du même nom. D’où la nécessité
d’avoir nos propres avions, affrétés
pour des destinations précises à des
horaires adaptés». Nakhal a donc passé
un accord avec Menajet. Une option envisageable
pour les grands tour-opérateurs
mais plus difficilement abordable pour
d’autres professionnels. Les frais d’un
charter non rempli sont en fait beaucoup
plus importants que des places sur une
ligne régulière, car il faut dans ce cas
payer 1 aller-retour, alors que les voyagistes
ne peuvent généralement remplir
l’avion que pour un seul trajet.
Devant une perplexité généralisée chez les
différents acteurs du tourisme, ces données
sont donc appelées à changer, tôt ou
tard. La question demeure de savoir si ce
sera assez tôt, ou tard.