Les bons procédés sont ici des opérations commerciales ; pas très sentimental. Mais la pratique du troc, millénaire s’il en est, a trouvé aujourd’hui une application plus moderne. Tout en favorisant accessoirement les bons procédés, les vrais.

permet tout à la fois d’acheter à prix
réduit, au coût de revient, d’améliorer
l’état de sa trésorerie, de se dessaisir
de stocks excédentaires, de faire tourner
un appareil productif sous-utilisé
ou d’acquérir une nouvelle base de
clientèle. Le rêve ? Non, plutôt une
bouffée d’oxygène pour les entreprises
en baisse d’activité – qui restent toutefois
soumises à la dure loi du marché
et de ses besoins : une page de
publicité dans un grand quotidien, ou
une police d’assurance tous risques,
trouvera par exemple plus facilement
preneur qu’un conteneur d’ours en
peluche ! Quoique…
En réseau
pour les échanges
«Je ne connais aucune entreprise dont
les produits n’intéressent personne»,
affirme toutefois Salim Haddad, directeur
général de BarterCard au Liban,
société spécialisée, comme son nom
l’indique, dans la gestion d’opérations
de troc. Ceci dit, différents obstacles
peuvent se présenter à l’échange de
marchandises :
• Travail de prospection important
avant de trouver un partenaire.
• Difficulté d’entrer en contact avec le
véritable décisionnaire en la matière
dans les entreprises.
• Complexité de certaines opérations
qui font intervenir plusieurs entreprises
à la fois, etc.
Tout cela a conduit au développement
de ce qu’on appelle des réseaux
acquisitions sans utiliser leurs liquidités,
ni recourir aux crédits bancaires.
Dans un scénario idéal, un industriel
pourrait ainsi s’approvisionner en
matière première sans débourser une
livre, à condition qu’il soit disposé à
concéder, en contrepartie, une partie
de son stock de produits finis. Un système
gagnant-gagnant en somme qui
L’âge du troc semble être de
retour, en force. Cette économie
parallèle qui fait renaître
des mécanismes d’une autre époque,
mais jamais disparus, veut se présenter
aussi comme un rempart en temps
de crise de cash-flow. Une forme
d’échange qui permet en tout cas à
des entreprises de financer leurs
Les premières entreprises à
avoir traditionnellement
pratiqué le troc bilatéral
sont souvent issues du secteur
immobilier. Deux raisons
expliquent leur position
de précurseurs.
D’abord l’importance des
sommes en jeu dans un projet
immobilier a incité les
opérateurs à imaginer un
autre type de financement
que celui très souvent utilisé
du crédit bancaire, coûteux
et rare en période de crise.
Ensuite, la contrepartie
offerte, un bien immobilier,
est susceptible d’intéresser
toutes les parties à un
contrat d’échange.
Résultat, les entrepreneurs
arrivent
facilement à financer
partiellement la
construction de
leurs immeubles en
octroyant des lots
des surfaces bâties
au maître d’oeuvre,
à l’architecte ou au
propriétaire du terrain.
Ce dernier
constitue d’ailleurs
souvent l’initiateur
de ce type d’opération.
Contre 2 appartements au
sixième étage et 3 magasins
au rez-de-chaussée,
Marcelle Harb s’est dessaisie
en 2002 de la parcelle de
terrain qu’elle possédait en
bordure de mer : «Je n’aurai
de toute façon jamais pu
exploiter seule cet héritage
». Mme Harb relate la
suite : «Contre la cession du
terrain à un entrepreneur
immobilier, je suis devenue
propriétaire, deux ans plus
tard, de surfaces bâties dont
la valeur s’apprécie avec le
temps et qui me procurent
chaque mois des revenus
sous forme de loyers».
Mais du fait des délais de
construction, la livraison de
la contrepartie du troc peut
être quand même retardée
de plusieurs années. «Il est
donc important de prévoir,
dès la conclusion du contrat
d’échange, les coûts susceptibles
de varier et la façon
dont ils seront remboursés à
la partie lésée, en troc ou en
cash», prévient un habitué
de ce type d’opération.
En s’intéressant au secteur
immobilier, les platesformes
d’échange ont permis
d’intégrer dans le circuit
des personnes extérieures
au projet et à tout le
secteur de la construction,
donc de multiplier les
occasions d’échange. «En
investissant dans la pierre
grâce au troc, nos adhérents
ont tout à y gagner :
la possibilité d’acquérir un
bien, sans posséder au
préalable la totalité du
financement, et l’opportunité
d’utiliser leurs excédents
de Trade Dollars
dans un achat utile»,
remarque Salim Haddad,
DG de BarterCard.
Investir dans la pierre doit s’acquitter de 800 $ de droit d’entrée,
payer 18 $ de frais administratifs
mensuels et régler, à BarterCard, 6 %
de la valeur des produits échangés à
chaque transaction (5 % en cash et
1 % en T$). Des coûts qui limitent les
transactions aux entreprises qui réalisent
de confortables marges bénéficiaires,
se plaint Kamal Mabsout, propriétaire
de la papeterie Gilar, qui préfère
échanger, à chaque fois qu’il le
peut, sans passer par des sociétés
intermédiaires, et il ne s’en prive pas !
La demande est si forte pour cette
forme de commerce que le papetier
vient d’aménager dans son magasin
un vaste espace de vente consacré
spécialement aux produits disponibles
en troc. Une organisation qui permet
aujourd’hui à Gilar de réaliser 25 % de
son chiffre d’affaires avec des clients
en troc, et à leur réserver un accueil
personnalisé.
Le tout-échange
est impossible
Idéal pour financer les achats, le troc
utilisé comme moyen de règlement
des ventes peut toutefois devenir, lorsqu’il
est pratiqué à haute dose, un
véritable cauchemar pour le trésorier
de l’entreprise. Car cet argentier reste
soumis à des échéances payables
obligatoirement en cash : salaires,
et internationale du réseau, qui
regroupe 75 000 adhérents dans 16
pays, a facilité grandement la fluidité
des échanges. Chacun des adhérents
est suivi par un
coordinateur qui se
charge de mettre en
contact offres et
demandes, d’organiser
les échanges
et de faire la promotion
des biens proposés.
«Nos clients
disposent ainsi, au
sein du réseau, d’un
vaste marché protégé
et arrivent à y
placer leurs productions
sans engager
de frais de publicité
», explique Salim
Haddad.
Des avantages qui
ont un coût. Pour
faire partie du plus
grand réseau de
troc du pays,
chaque entreprise
d’échange, une dizaine en tout.
BarterCard, le plus dynamique et le
plus important de ces réseaux, revendiquant
près de 45 % de parts de marché,
réunit près de 2 000 entreprises
libanaises et contribue chaque mois à
la réalisation de milliers de transactions
d’une valeur totale équivalente à
300 000 $. Les échanges, indexés sur
une monnaie fictive, le Trade Dollar (1
T$ = 1 US$), sont gérés d’une façon
multilatérale, avec un ensemble de
partenaires, et font l’objet d’une
comptabilité informatisée et centralisée,
qui autorise un découvert de
2 000 T$, ou plus, si on est un client
privilégié.
Rappelons le principe du système :
quand une entreprise A acquiert un
bien auprès d’une autre entreprise
adhérente, le compte de A est débité
de la valeur de l’échange, soit 1 000
T$. A devient alors redevable, pour
1 000 T$, de la fourniture de produits
ou services à une ou plusieurs autres
entreprises du réseau, qui seront, à
leur tour, débitées par A à la livraison,
et ainsi de suite. La dimension locale
À New TV, comme dans
tout autre média, le troc est
une véritable institution.
Besoins en services et biens
d’équipements, cadeaux à
offrir aux téléspectateurs ou
uniformes pour habiller les
animatrices, tout s’obtient
en échange de quelques
secondes de diffusion d’un
spot publicitaire. «Pour
transporter et loger les personnes
invitées à nos émissions,
des contrats de troc
sont conclus sur une base
annuelle avec 3 compagnies
aériennes et autant
d’établissements hôteliers
», explique Ghassan
Germanos, directeur marketing
à New TV. Pourquoi
trois ? C’est là un des principes
essentiels qui régit
tout accord de troc réussi :
le prestataire n’est tenu de
fournir de contrepartie que
lorsqu’il dispose de capacités
non utilisées, d’où la
nécessité de multiplier les
accords de partenariat.
Juste retour des choses, «les
spots publicitaires accordés
en échange de produits ne
sont diffusés que lorsque
nos grilles de programmes
nous le permettent. Priorité
est donc donnée aux passages
d’annonceurs payant
en monnaie liquide», reconnaît
Ghassan Germanos.
Le troc permet à la New TV
de couvrir près de 13 % de
ses dépenses qui s’élèvent à
quelque 15 millions $ en
moyenne chaque année.
Une limitation des décaissements
monétaires appréciables
pour les finances de
l’entreprise, qui fait également
la joie du chef du personnel
: «Les opérations de
troc nous procurent souvent
des biens dont la chaîne
n’a pas de besoins
directs». Ces biens sont
alors rétrocédés, le plus
souvent gratuitement, aux
employés comme un complément
à leur rémunération.
New TV vient par
exemple de signer un
accord de troc avec un
courtier en assurance vie
pour couvrir son personnel,
et avec l’American
Language Institute pour
leur offrir gratuitement des
formations en langue
anglaise, management et
techniques de ventes. Le
troc devient ainsi un outil
de solidarité entre entreprises
soucieuses de se
constituer un réseau d’entraide.
New TV privilégie
d’ailleurs dans ses opérations
de troc les entreprises
qui, du fait de leur taille ou
de leur activité, n’ont
jamais recours à la publicité
télévisée. Objectif : «Éviter
que le troc ne se substitue
aux ventes d’espaces
payables cash», explique
Ghassan Germanos.
Temps d’antenne contre nuits d’hôtel Des soins dentaires, du jus
de fruits frais, des pièces de
rechange d’autos, des compositions
florales, des tapis
caucasiens et même de la
lingerie fine… On trouve de
tout dans les catalogues
d’offres et de demandes
publiés par les gestionnaires
des réseaux d’échange.
Objectifs de tels supports :
multiplier les occasions de
troc entre les adhérents en
collant au maximum à leurs
besoins de consommation.
Et ça marche. Alléchés par
la perspective d’obtenir
autant d’objets ou de services
sans rien débourser ou
presque, de nombreux
entrepreneurs utilisent,
pour leurs besoins personnels
ou ceux de leurs
proches, la monnaie fictive
accumulée par leur entreprise.
C’est le cas de Yasser
Zbib, propriétaire d’Unilab
Chemicals, et membre du
réseau BarterCard. Yasser
Zbib n’a pas hésité à avoir
recours au troc pour équiper
son domicile en électroménagers
– ou organiser
ses festivités de mariage. De
la salle de banquet à la robe
de la mariée, tout a été
financé par le crédit de
Trade Dollars accumulés
par Unilab Chemicals, spécialisée
dans les détergents
à l’usage des professionnels.
«L’opération d’achat par
troc n’est pas toujours avantageuse
pour l’acheteur»,
reconnaît toutefois le nouveau
marié. Normal : face à
seulement deux ou trois
fournisseurs d’un même
produit, appartenant au
réseau de troc, l’acheteur
perd un peu du pouvoir de
négociation que lui assurait
le marché général composé
de dizaines d’entreprises
concurrentes. Conscients
de ce travers, les gestionnaires
de réseaux d’échange
veillent à ce que leurs
adhérents assurent une parfaite
égalité de traitement
entre les clients issus d’une
opération d’échange et
ceux payant cash. Les prestataires
les moins recommandables
sont ainsi régulièrement
mis à l’index et,
pour corser la concurrence,
BarterCard diffuse une
revue mensuelle destinée à
informer chaque adhérent
des offres d’échange les
plus intéressantes. C’est par
ce moyen que M. Zbib
vient de dénicher «la fabuleuse
composition florale»
qu’il pourrait bientôt offrir à
sa belle-mère. Pour trois fois
rien. Ou presque.
Le troc pour vos propres besoins
Ghostbuster, boutique appartenant à Nouhad Jaroudi et faisant partie du réseau BarterCard.
produits selon trois critères : marge
bénéficiaire réalisée à la vente, quantité
disponible en stock, et durée
moyenne de stockage. Quand au
moins deux de ces critères sont supérieurs
à la moyenne de l’ensemble du
stock, les produits concernés sont
admissibles au troc. Il explique :
«L’économie qu’il est possible de réaliser
grâce à l’échange de marchandises
dépend de l’importance de la
marge. Plus elle est grande, plus l’économie
l’est également, et plus il est
intéressant de financer certains achats
par échange». Reste alors à trouver un
fournisseur intéressé par un tel échange,
et surtout par la contrepartie qu’on
lui propose. C’est en principe le rôle du
coordinateur dans le réseau de troc.
Kamal Mabsout n’hésite pas, de son
côté, à inciter ses fournisseurs potentiels
à pratiquer l’échange, quitte à les
mettre en contact avec d’autres entreprises,
dans une opération triangulaire
hors réseau.
Avec le troc,
une autre relation
Lorsqu’une vente est réalisée grâce au
troc, on a un bénéfice
supplémentaire : le problème du
recouvrement de créance est naturellement
évacué, d’autant plus facilement
que l’échange se fait généralement
de manière simultanée, sans
délais d’attentes importantes. «Il n’y a,
de toute façon, plus d’argent à récupérer
sur une facture, mais un équivalent
produit», dit un expert en la matière.
Même en cas de cessation de paiements
de l’acheteur, le fournisseur
pourra toujours, en principe, se faire
payer en nature, en prélevant le produit
du stock de son client. «Le troc
entraîne la naissance de meilleures
relations d’affaires dans la mesure
où chaque intervenant est, à tour de
rôle, client, puis fournisseur. Du fait
de ces rapports particuliers, les
affaires entre les deux partenaires
ont tendance à se développer plus
facilement et s’inscrivent souvent
dans la durée», explique un commercial
impliqué dans ces affaires. Un réel
motif de réjouissance : «On perd parfois
un client payant cash, mais un
client en troc vous lâche rarement
pour un concurrent…».
monter une opération de troc pour
financer l’acquisition d’un bien ne tolère
aucune improvisation. Une fois clairement
défini le type de marchandises
ou de services qu’elle souhaite acquérir,
l’entreprise qui initie une opération
de troc doit déterminer ce qu’elle va
proposer en contrepartie à son futur
partenaire. Elle a globalement le choix
entre trois solutions : proposer tout son
stock, une partie seulement de son
stock, ou un type de produit bien défini
qu’elle veut absolument écouler.
Ce sont les deux dernières possibilités
qui ont été retenues par la papeterie
Gilar. Kamal Mabsout a analysé ses
loyers, impôts et taxes, frais de téléphone
ou électricité… BarterCard met
d’ailleurs en garde ses clients :
«Réaliser plus de 20 % de votre chiffre
d’affaires par échange de marchandises
peut conduire à une situation de
sous-liquidité dans l’entreprise, préjudiciable
pour la pérennité de l’activité».
Pour Salim Haddad, au-delà de cette
limite «le bon sens interdit d’accepter
de ses clients un règlement en monnaie
fictive» ; et c’est alors que la monnaie
fiduciaire, moyen de paiement
classique en économie capitaliste,
reprend tous ses droits.
En tout cas, question d’organisation,