Question pertes et profits, dire oui le grand jour ne revient pas seulement à financer une cérémonie, mais également à encaisser quelque 20 000 $ en cadeaux. D’où une bataille acharnée parmi
les pros des listes de mariage.

Défiant ses traditions, la société libanaise a fait révolution, il y a une dizaine d’années, en acceptant enfin que les invités à un mariage offrent un cadeau utile, préalablement choisi par les mariés, ou même verser une somme d’argent dont le couple peut disposer à son gré.
En conséquent, plusieurs établissements ont développé avec succès des formules de “listes de mariage” leur permettant d’attirer une clientèle captive. Car il s’agit bien d’un tel phénomène. En période de crise, on consomme moins… sauf si on est “moralement” obligé de le faire. Et les invités à un mariage rentrent bien dans cette catégorie de consommateurs captifs.

De la boutique sélective
aux grands magasins

Tout a commencé avec le monopole des boutiques prestigieuses de l’art de la table à l’époque où le cadeau de mariage par excellence était un plateau en argent ou un vase en cristal. Ainsi, des noms comme Au Gant Rouge, Manasseh ont longtemps régné sur le secteur.
Avec la chute du pouvoir d’achat et la difficulté pour les jeunes mariés d’équiper un appartement, les boutiques d’électroménager ont fait leur percée, offrant des listes avec des réductions et des possibilités d’échange. Le cadeau nuptial change de nature et devient utile.
Les grands magasins et boutiques d’ameublements, forts de leur choix en produits, créent alors leurs espaces mariage alliant bénéfices et services. À l’ABC, comme chez Sleep Comfort, les mariés ont la possibilité de déterminer leur liste de cadeaux, permettre à leurs amis de choisir un article déterminé ou de contribuer par une somme d’argent. Et, pour convaincre les hésitants, des réductions spéciales sont offertes à l’avantage du couple ainsi que des services tels que des soins de beauté à la mariée ou la livraison des cadeaux à domicile.
Chaque établissement se différencie cependant par sa touche personnelle : le BHV par exemple va plus loin dans le pragmatisme, en permettant aux mariés de dépenser jusqu’à 20 % de la valeur de leurs cadeaux au Monoprix, pour des achats de supermarché. Au Metro Superstore, des semaines spéciales leur permettent de gagner des lunes de miel et des chèques cadeau.
Les listes de mariage représentent en moyenne 10 à 15 % du chiffre d’affaires global des grands magasins, selon des recoupements d’informations commerciales. Mais en réalité, c’est le créneau qui connaît la plus forte croissance depuis plusieurs années, alors que les ventes classiques stagnent. Au mieux. D’ailleurs, ce pourcentage tend à augmenter en période d’été, saison des mariages durant laquelle chaque établissement se lance dans une campagne médiatique tous azimuts : spots radio, pubs, brochures, mailings…
Les grands magasins profitent également d’un bonus inespéré : 60 % des personnes qui viennent pour déposer un cadeau effectuent en même temps des achats personnels.
Du point de vue des mariés, les listes traditionnelles se ressemblent : en grand magasin ou en boutique, tous proposent des réductions, acceptent l’échange des cadeaux, offrent des durées prolongées permettant de bénéficier du lancement de nouvelles collections et surtout des prix soldés.
Certains établissements permettent même le retrait en espèces d’une partie de la valeur des cadeaux (Metro 10 %, ABC 20 %).
Depuis 1998, les grands magasins ont pris donc la plus grande part du gâteau nuptial au détriment des boutiques individuelles dont les listes deviennent de moins en moins attirantes, face à la guerre des avantages et des choix proposés par les grandes surfaces. Pour survivre, les petites boutiques se sont trouvé obligées de faire… des mariages de raison.
Un pour tous, tous pour un

Mus par un instinct de survie, 4 réseaux sont donc nés avec le même concept : une seule liste, mais dans plusieurs boutiques. Les 4 réseaux sont : 1000 Mabrouk (une des filiales de e.commerce SAL), Amareyn, La Maison des Cadeaux, La Boutique Mariage (appartenant à l’établissement La Boutique qui possède également La Boutique Teleshopping).
Grâce à ces listes groupées, les mariés peuvent choisir les cadeaux selon leurs besoins dans plusieurs magasins et même retirer une partie de la valeur des cadeaux en espèces.
1000 Mabrouk a même innové le concept : à l’ouverture de la liste, on remet aux mariés une carte qui est créditée petit à petit par la valeur des cadeaux et des sommes d’argent qu’ils reçoivent. À l’aide de cette carte, les mariés se déplacent dans les différentes boutiques et choisissent leurs cadeaux en débitant leur carte. Par ailleurs, 1000 Mabrouk perçoit une commission de 2,5 % sur la somme dépensée par le couple chez les agences de voyages partenaires.
Chacun de ces réseaux est d’ailleurs en partenariat avec plusieurs établissements spécialisés dans l’art de la table, les meubles, l’électronique et l’électroménager. Dans la liste des partenaires d’un même réseau, on peut lire plusieurs grands noms concurrents : Intermeuble cohabite avec Sleep Comfort, Pharaon Homeline avec Kettaneh, etc. Quelques-uns sont exclusifs à un seul réseau, d’autres sont listés chez plusieurs. On retrouve ainsi Le Cercle Hitti s’intégrer dans La Maison des Cadeaux et La Boutique Mariage à la fois. Manasseh figure sur la liste de 1000 Mabrouk et sur celle de Amareyn.
En acceptant de faire partie de tel ou tel groupement, un partenaire signe un accord sans quota prédéterminé, le réseau ne pouvant garantir à l’un ou à l’autre un pourcentage des dépenses du couple. Le partenaire lui-même doit faire un effort pour attirer les nouveaux mariés “crédités” de 20 000 $ (par exemple) par des réductions, des choix, ou simplement une image de marque.
En échange, les établissements partenaires profitent d’une part des cadeaux offerts et d’autre part de la visite des invités, consommateurs potentiels. Côté communication, ils ont droit à une publicité indirecte à travers celle du réseau lui-même. 1000 Mabrouk fait payer 50 % de son budget publicitaire à égalité entre ses partenaires, en échange de la présence de chacun dans une double page de sa brochure. La Maison des Cadeaux assure seule les dépenses médias, mais exige des établissements de sa liste une présence exclusive. En 2000, les dépenses publicitaires de ces 4 réseaux ont atteint 1,5 million $ (source Ipsos Stat), soit approximativement 50 % des dépenses totales du secteur, les dépenses étant concentrées d’avril à août.
Ce secteur a connu également de nouveaux venus : les banques et les agences de voyages. Ainsi, le montant que les mariés désirent obtenir en espèces est domicilié chez la banque partenaire qui remet au couple une carte de crédit à débiter sur ce compte. Banque Audi, chez 1000 Mabrouk, et Byblos, à La Maison des Cadeaux, tirent profit de ces transactions effectuées, ainsi que du montant de l’argent bloqué. Ces mêmes banques pourront plus tard suggérer des crédits et des comptes d’épargne au jeune couple. Pour leur part, les agences de voyages saisissent l’occasion de promouvoir le package de lunes de miel, sachant que même le voyage de noces peut être payé par les cadeaux des invités.
Des noms originaux surgissent aussi comme “Get for Wed” qui n’est autre que “Get for Less” proposant 140 différentes marques d’électroménager et d’électronique à La Maison des Cadeaux.
Les personnes non résidentes au Liban, qui pensaient échapper au devoir du cadeau de mariage, sont également mises à contribution. Le site Internet proposé par 1000 Mabrouk permet aux amis ou parents d’envoyer des sommes d’argent ou des cadeaux (guidés par des questions «Quel budget, quel type de cadeau ?») en payant par carte bancaire sans se déplacer.
Le groupement de listes offre cependant de grands avantages au couple marié, lui évitant surtout l’encombrement avec des cadeaux inutiles… Et le couple peut même se payer des caprices, car la liste d’un mariage regroupant 500 invités rapporte en moyenne autour des 25 000 $, selon les chiffres recueillis auprès
des fournisseurs.
En somme, rien n’échappe à ces nouveaux établissements qui relèvent le défi et proposent un service innovant et presque parfait. Combien l’innovation permettra au secteur de s’élargir encore dans les années à venir ? Au rythme actuel, nous avons le droit d’être optimistes. Et la bonne nouvelle c’est que chaque catégorie de produits peut y trouver sa part.