Sous l’impulsion de quelques grands noms, un vent de changement souffle sur le marché libanais de la beauté masculine.
En octobre 2005, L’Oréal créait l’événement et entraînait dans son sillage l’ensemble du marché libanais des soins et produits de beauté pour homme : en lançant sa nouvelle ligne grand public, le groupe français investissait avec succès un créneau délaissé jusqu’alors, démontrant qu’au Liban aussi, la beauté n’est plus un souci exclusivement féminin ou réservé à de riches coquets.
Un potentiel sous-exploité
Le marché libanais semble bien parti pour connaître les mêmes bouleversements qu’ailleurs. Avec un chiffre d’affaires annuel d’environ 500 000 dollars, le créneau ne constitue pour l’instant que 2 à 3 % du secteur de la beauté, selon Ziad Salamoun, PDG de Romance. Mais la marge de progression est forte quand l’on sait qu’en France, par exemple, le segment masculin représente déjà 10 % des ventes de cosmétiques. « Le marché ne s’est pas développé plus tôt, car de nombreuses marques présentes au Liban ne proposaient pas de gamme masculine », avance Ziad Salamoun. Le débarquement de Men Expert a changé la donne, influant sur deux facteurs majeurs : il a donné un coup de fouet à la concurrence, tout en initiant un changement de comportement chez le client mâle. Ce dernier est « très sensible à son apparence, quel que soit son niveau social », souligne Antoine Achkar, chef de produit chez L’Oréal-Paris, pour qui le segment pourrait atteindre 20 à 30 % du marché total de la beauté au Liban.
Nouveaux produits pour nouveaux clients
La petite révolution socio-économique a commencé dans les supermarchés voici un an. Même Nivea for Men – qui dominait alors le marché de la grande distribution à l’étranger – avait préféré limiter son offre au Liban aux produits pour jeunes. L’Oréal s’est engouffré dans la brèche. Sa ligne Men Expert a d’emblée ciblé large : elle est commercialisée à 70 % en grandes surfaces, 20 % en pharmacies et 10 % en parfumeries, avec une cinquantaine de points de vente en tout. L’idée, simple mais efficace, consistait à combler un vide évident. « Le marché libanais des soins pour homme est très traditionnel, observe Antoine Achkar. On y trouve encore des produits qui ont disparu à l’étranger, comme la crème de rasage en tube et le blaireau. Jusqu’à présent, le grand public s’intéressait exclusivement aux soins de rasage, alors que seule la classe très aisée achetait des soins dermatologiques relativement chers. Entre les deux, rien. »
L’Oréal a donc étudié avec soin son positionnement destiné à sensibiliser tout un pan de la clientèle masculine qui ne se sentait pas concerné par ce type de produits. Les résultats sont probants : les achats en grande surface sont désormais réalisés à 70 % par les hommes, selon le groupe français.
Surfant sur la tendance, Romance prévoit le lancement en juillet d’Adidas Skin Care dans 25 grandes surfaces et quelques pharmacies. « Nous visons une cible plus jeune que celle concernée par notre autre marque, Clarins, déclare Ziad Salamoun. L’introduction de Men Expert a été pour nous un test concluant. »
Les marques de luxe se mettent au parfum
Loin d’inquiéter les marques de luxe, la démocratisation des produits pour homme est perçue comme une avancée pour l’ensemble du secteur. « Sur un marché encore balbutiant, le lancement de marques grand public aide le segment sélectif, assure Fabienne Kahwaji, chef de groupe chez L’Oréal. Car nous avons constaté que plus la demande se développe, plus elle devient sophistiquée. »
Présentes dans les parfumeries libanaises depuis plusieurs années, certaines grandes marques de soins ont une longueur d’avance et profitent d’ores et déjà de la nouvelle tendance : Biotherm, pionnière sur le marché masculin au Liban et à l’étranger, se maintient en tête du circuit sélectif libanais avec 25 à 30 % de parts de marché. Clarins Men – lancé il y a quatre ans – arrive en deuxième position et se développe régulièrement : le segment homme représente aujourd’hui 5 % du chiffre d’affaires total de la marque au Liban, contre 2 % il y a deux ans.
« Pour se lancer sur le créneau des hommes, il faut soit partir d’une base solide sur le segment féminin, soit projeter une image extrêmement masculine », affirme Tina Rousse, chef de produit chez Socodile. Car davantage encore qu’en grandes surfaces, les achats en parfumerie sont réalisés par des femmes lassées que leur conjoint utilise leurs produits de beauté. « Dans 50 % des cas, ce sont les femmes qui achètent les produits Lancôme Homme. Cette gamme a été lancée il y a déjà trois ans, mais Lancôme véhicule une image trop féminine et glamour pour attirer directement les hommes », remarque Fabienne Kahwaji.
Le phénomène est si fort que les petits acteurs ont du mal à se trouver une niche. « Decléor est trop peu connu auprès des femmes, malgré la qualité de ses produits, pour que la gamme masculine s’impose », déplore Tina Rousse, selon qui de nombreuses autres marques méconnues, attirées par le potentiel de développement du segment mâle, se sont lancées au Liban au cours des cinq dernières années, mais ont dû se retirer en 2005.
En revanche, Hugo Boss qui lance sa ligne pour homme cet été devrait avoir un impact majeur sur le marché, grâce à une image de marque à forte connotation masculine, estime Tina Rousse.
La force de Biotherm est d’avoir su se positionner hors de ce schéma. « La marque n’est pas foncièrement féminine, explique Fabienne Kahwaji. C’est pourquoi généralement, le client masculin se sent libre d’acheter lui-même ses produits. »
Les pharmacies à la pointe de l’innovation Dans le circuit des pharmacies, la masculinisation de l’offre est discrète, mais réelle. Vichy Homme (relancé en 2003 dans quelque 200 pharmacies) représente 10 % du total de la marque et a connu une croissance de 10 % en 2005, selon Rachid Hosni, directeur du départe-ment cosmétique active chez L’Oréal. « Cette niche dispose d’un énorme potentiel de dévelop-pement, car elle est encore peu connue du grand public », affirme-t-il. Vichy Homme occupe aujourd’hui 75 % de parts de marché masculin, avec un seul concurrent réel, la marque Cible. D’autres produits comme Kheops (de Roc) et Nuxe (le luxe de la pharmacie) restent marginaux. Cette domination s’estompe certes si l’on intègre à l’offre pharmaceutique des marques gé-néralement commercialisées en parfumeries et grandes surfaces. « Au Liban, les pharmacies fonctionnent en fait comme des drugstores regroupant tout type de produits », précise Hosni. Mais les marques dermo-cosmétiques se positionnent sur un terrain spécifique : action médi-cale, performance et innovation scientifique, le tout dans un environnement de conseil profes-sionnel. L’évolution du segment suit donc sa logique propre. Deux catégories tiennent le haut du pavé : les soins antichute de cheveux et les produits solaires pour homme (les marques ont développé des lignes adaptées à la pilosité masculine). |
Les instituts ont la cote La fréquentation masculine des instituts de beauté est en progression au Liban. Les hommes constituent dʼores et déjà 7 % de la clientèle de lʼinstitut Clarins, inauguré il y a sept mois à Bab Idriss. De même, les hommes constituent 5 % de la clientèle de Kyphi, un chiffre qui aurait pu paraître faible sʼil nʼavait doublé en un an. Chez Dessange, les hommes sont désormais des habitués. Ils représentent 30 % de la clientèle totale dʼun salon qui profite de son prestige international. Dessange propose dʼailleurs depuis deux ans des offres masculines de coupe-brushing-manucure (qui représentent 25 % de lʼactivité homme du salon). « Les réticences sont levées dès le premier essai, remarque Mahmoud Behloul, directeur général. Les hommes restent malgré tout timides. « Ils préfèrent la cabine au bar », témoigne Zeina Nahas, propriétaire de lʼinstitut Kyphi. Ils nʼosent les soins du visage et les épilations quʼau moment des promotions, un prétexte pour sʼy intéresser, précise-t-elle. À tel point que Zeina Nahas envisage dʼincorporer une cabine spéciale homme dans la prochaine branche Kyphi de Mtayleb, tandis que Dessange projette de lancer un salon exclusivement masculin. |
Communication : un lifting en douceur Sur un marché encore réticent à se défaire d’une certaine image machiste de l’homme, les marques de produits cosmétiques de luxe misent sur une communication directe, axée sur l’échantillonnage, le conseil et les promotions. « Il faut que le client libanais essaie le produit, c’est le seul moyen de le séduire », affirme Tina Rousse, chef de produit chez Socodile. La clientèle masculine n’est pas familière des produits de soins et cosmétiques, mais sa curiosité est éveillée, confirme Ziad Salamoun. « À la différence de la femme, il ne négocie pas, mais veut surtout des résultats. » L’enjeu est d’autant plus important que, contrairement à la femme qui “zappe” volontiers, l’homme reste généralement fidèle à une marque. Une fois accroché, il a du mal à essayer d’autres produits. Mieux : le client masculin a tendance à acheter plusieurs produits à la fois en une fois, en moyenne deux à trois. Du coup, les marques pour homme sortent de l’ombre et s’affichent de plus en plus ouvertement dans les parfumeries et les instituts. « Lorsque nous avons lancé Clarins Men, il y a trois ans, nous avons innové en installant un panneau mural exclusivement consacré à la marque dans la section mixte des parfums », explique Salamoun. L’idée était de faire d’une pierre deux coups : les femmes étaient incitées à acheter un produit pour leur conjoint, tandis que les hommes étaient directement sollicités, et ne se sentaient plus gênés de faire leurs achats dans des rayons, certes mixtes, mais à connotation féminine. Aujourd’hui, le créneau masculin est suffisamment développé pour qu’une section entière lui soit consacrée. En revanche, dans le segment de la grande distribution, la communication passe surtout par des campagnes grand public, notamment à travers l’affichage. Ainsi, Adidas Skin Care a misé sur Zinedine Zidane auquel le public jeune – une cible de clientèle peu développée au Liban – s’identifie volontiers. Men Expert joue à fond la communication masculine et dynamique. « Notre stratégie repose sur un principe simple : l’homme est soucieux de l’image qu’il donne. Nous cherchons à instaurer une sorte d’effet miroir pour qu’il imagine la perception qu’une femme a de lui », souligne Antoine Achkar. Selon Marie-Hélène Moawad, spécialiste en marketing, la tendance s’installe en douceur, mais elle est là pour durer. « Il ne s’agit pas d’un phénomène de mode, assure-t-elle. Nous commençons à sortir de l’image patriarcale de la société, même si l’argument marketing ne table pas sur un changement radical des codes masculins, ou sur une féminisation de l’homme. » |


