Le Liban a enregistré sa première commande de commerce équitable, un mouvement de plus en plus populaire auprès des consommateurs des pays riches.

Pour la première fois, des câpres surfines du Hermel, des lentilles et du hommos de Terbol, des tisanes et des plantes aromatiques de Bécharré, ou encore de l’huile d’olive de Kawzah sont commercialisés en France selon les normes du commerce équitable. La commanded’un montant de 75 000 dollars est le fruit d’une coopération nouvellement établie entre Artisanat Sel France et Fair Trade Lebanon. Fondée en janvier dernier, cette association implante au Liban un mouvement en pleine croissance dans les pays riches où la population demande de consommer “politiquement correct”.

L’objectif du commerce équitable est en effet de garantir une meilleure rémunération du producteur, généralement situé dans des régions en développement. Il n’existe pas de définition stricte du commerce équitable et la France, qui est l’un des premiers pays à avoir voulu normaliser le marché pour protéger le consommateur, s’est heurtée à la multiplicité des démarches adoptées par telle ou telle organisation. Les principales règles peuvent néanmoins se résumer en deux points : promouvoir davantage d’équité dans le commerce international et préserver les droits des agriculteurs et des producteurs marginalisés en leur assurant une meilleure intégration au marché local ou international.

L’objectif est de sédentariser les habitants de ces régions défavorisées en leur offrant des opportunités de travail et donc de freiner les migrations internes. Il s’agit aussi d’assurer un développement économique plus équilibré et de contribuer par conséquent à la stabilité économique et politique des pays concernés. Concrètement, les organisations du commerce équitable achètent des productions à un prix supérieur de 20 % aux coûts de revient. Elles se chargent ensuite d’organiser des circuits de distribution qui justifient cette marge auprès des consommateurs.

Fair Trade Lebanon, qui travaille étroitement avec l’organisation Saint-Vincent-de-Paul-Liban, est financée par des fonds privés. Son budget pour cette année est de 42 000 dollars. Les cinq membres de l’association, Philippe Adaimy, Johanne Karkour, Gabriel Debbané, Samir Abdel Malak et Jad Bitar, veulent contribuer à la promotion des régions déshéritées du Liban, non pas à travers une logique d’assistance, mais grâce au commerce, l’instauration d’un cycle économique viable étant plus durable qu’une aide humanitaire limitée dans sa portée. Leurs cibles sont des populations pauvres dont le potentiel agricole ou agroalimentaire est sous-exploité, notamment dans le sud du pays (Bent Jbeil, Aïn Ebel…) et la Békaa.

Fair Trade Lebanon a mis en place un processus de travail qui s’occupe de tous les détails, de la production à la commercialisation des produits. La première étape a été de sélectionner
des villages en fonction du niveau de pauvreté, de la qualité des productions et de l’originalité des savoir-faire. Elle a favorisé des unités de production déjà en place (bénéficiant de l’aide d’ONG locales ou étrangères) et des agriculteurs acceptant de jouer le jeu de la transparence. La deuxième étape a consisté à mettre en place un système de contrôle de la qualité et d’assistance technique. Enfin, la commercialisation en France s’est faite à travers un partenariat avec Artisanat Sel, une ONG française qui opère depuis plus de vingt ans dans les pays du Sud.

Une première commande de produits labellisés “Terroirs du Liban” a été écoulée en avril en France. Soixante pour cent des revenus seront reversés aux producteurs, à savoir 150 à 180 agriculteurs et ouvriers responsables de la cueillette qui bénéficieront d’une somme de 45 000 dollars. Vingt-deux autres personnes travaillant à la transformation des produits obtiendront 11 % du total, soit 8 000 dollars. Cinq pour cent des revenus seront alloués à Saint-Vincent-de-Paul-Liban. Le reste, soit 9 %, couvrira les coûts d’emballage, de conception, d’étiquetage…

Près de 200 familles sont directement concernées par le projet. Pour Tamam Maroun, une habitante de Aïn Ebel, dans le sud du Liban, cette source de revenu améliore considérablement
son niveau de vie. « Je n’ai aucun autre revenu et mon mari subvient à peine à nos dépenses quotidiennes élémentaires », dit-elle. Emballer des tisanes et des plantes aromatiques pendant trois semaines lui a permis de recevoir 400 dollars. Six autres femmes du village (toutes âgées entre 28 et 50 ans) ont été employées dans les mêmes conditions. « Aujourd’hui, nous sommes à nouveau au chômage », déplore Madame Maroun. Elle espère la pérennisation de l’initiative de Fair Trade Lebanon. L’association y travaille. Son plan d’expansion passe par l’exploration des marchés étrangers aussi bien que local, où la marque “Terroirs du Liban” est déjà diffusée en supermarchés. Des contacts sont en cours pour des commandes
en Belgique et au Canada semblables à celles conclues cette année avec Artisanat Sel.

Un marché en croissance de 50 % par an dans le monde

Le commerce équitable a émergé dans les années 1950, à la faveur de la prolifération d’organisations cherchant à protéger les producteurs du Sud contre l’inégalité des termes des échanges avec les pays du Nord. Le père Van der Hoff est la personnalité la plus emblématique de ce mouvement. Travaillant au Mexique, dans le Chiapas, il est scandalisé par l’exploitation des paysans de cette région qui cultivent le café et décide d’œuvrer en leur faveur. Il crée ainsi le mouvement Max Havelaar qui garantit un prix d’achat plus élevé aux producteurs. Aujourd’hui encore, la majorité des échanges “équitables” concerne le café. En France, ce produit représente 55 % des aliments vendus sous ce label, et aux États-Unis 75 %, même si une nouvelle vague concerne désormais le coton et les cosmétiques. En 2002, les ventes mondiales ont été estimées à plus de 400 millions de dollars. Aujourd’hui, ce marché ne représente que 0,02 % du commerce mondial, mais sa croissance a atteint un rythme annuel de 50 % par an en 2005.