En investissant des dizaines de millions de dollars dans des projets touristiques à et autour de Byblos, Roger Eddé parie sur le Liban qu’il souhaite inscrire dans la course internationale.

Chaussettes fuchsia, pochette, barbe, la
pipe toujours en main, une canne
jamais bien loin, allure de dandy…
c’est le nouveau look de Roger Eddé, financier
et politique tout à la fois, qui en change
régulièrement. « Rêveur, mais technique »,
comme il se décrit, l’entrepreneur libanais a
touché à tout, partout : l’Inde, le Pakistan,
l’Iran, la France, l’immobilier, l’énergie, les
aéroports, etc. Il parle avec le même enthousiasme
tant d’économie que de nouvelles
technologies et d’éducation, mais aussi d’architecture
et de géostratégie : des sujets qui
le passionnent.
Plutôt que de se laisser aller à conter son
parcours d’emblée, il vous mène sur les chemins
de sa pensée et de sa vision. Roger
Eddé se réclame, en matière d’économie, de
l’École de Chicago, invoque le modèle social
chilien et prône un minimum d’État. De son
histoire, il livre néanmoins quelques repères :
enfance dans une famille nombreuse, quatre
garçons et deux filles (dont il est l’aîné), forte
influence du grand-père, le théologien
Youssef Eddé, études de droit, stage dans le
cabinet de Maître Fayez Haddad où il se fait
remarquer dans des dossiers de défense des
minoritaires : la Banque Intra et Faraya Mzaar
lui permettent de décrocher ses premiers
lauriers… À la maison, il baigne dans une
atmosphère politique ; en 1960, il rejoint le
conseil du Bloc national de Raymond Eddé. Il
suit le « amid » dans son exil et s’investit dans le lobbying pour la cause libanaise. Il
brigue la présidentielle en 1988 à une
époque où il épouse la cause du général
Aoun, dont il ne se départira qu’au moment
des législatives de 2005. À cette occasion, il
publie une série d’articles où il repense le
rôle de l’État.
Dans le même temps, il brasse des affaires.
Marié à la fille d’un militaire américain de
haut rang, originaire de Saint-Louis, qui a
ses entrées en Arabie saoudite, Roger Eddé
s’associe à HOK, une firme de cette ville
américaine. Leader mondial dans l’architecture
et l’ingénierie, HOK entreprend des
projets de haut vol (les aéroports de
Heathrow et de Boston, le National Air &
Space Museum à Washington DC) pour le
compte de clients tels qu’IBM, Exxon Mobil,
Boeing, AT&T et l’armée américaine. Eddé
prend parallèlement des participations
financières dans des entreprises diverses et
entretient des amitiés avec les grands de ce
monde : Francis Bouygue, l’ancien
conseiller de Jimmy Carter pour la sécurité
nationale Zbigniew Breszinski, le président
tchèque Vaclav Klaus…
GRANDS CHANTIERS
Malgré ses multiples affaires, Roger Eddé
n’est mû que par le Liban. Il envisage pour
son pays de grands chantiers. « Avec une
petite réforme, vous ne gagnez pas de
grandes batailles », dit-il, citant Margaret
Thatcher comme modèle de combativité. Son
chantier à lui a démarré à Byblos ; un lieu
idéal selon Eddé pour promouvoir le Liban, le
nom de la ville n’étant pas assimilé à la guerre
dans l’imaginaire occidental, mais à un
lieu de rencontre des cultures. Car c’est bien
de marketing qu’il s’agit, dit-il. « La relance
du Liban passe par l’image que l’on en
donne. » D’où son choix pour le tourisme :
« Il faut savoir traiter avec ce qui existe. »
Son idée première est celle d’un projet
phare, créateur d’emplois. Dans cet objectif,
il investit plus de 40 millions de dollars
pour développer Eddé Sands – un complexe
balnéaire qui a réalisé un chiffre d’affaires
de trois millions de dollars en 2004 et sept
millions en 2005 – et pour reprendre un
certain nombre de boutiques dans le vieux
souk de Jbeil. À ce jour, 17 commerces ont
été achetés, dont une partie (les restaurants
surtout) est gérée en direct par Eddé.
Les autres sont concédés à des artistes,
des producteurs… libanais dans le but de
promouvoir le patrimoine et le savoir-faire
nationaux. Les occupants (une styliste, une
Roger et Alice Eddé à Eddé Sands.
épicerie bio, une librairie spécialisée sur le
Liban, une boutique de décoration…) sont
exemptés de loyer. Ils reversent simplement
un pourcentage sur leur chiffre d’affaires
à Roger Eddé.
POUR EDDÉ SANDS ENTRE 1,6
ET DEUX MILLIARDS DE DOLLARS
L’homme d’affaires prévoit aussi des extensions
à Eddé Sands et d’autres projets dans
les dix ans à venir, sur les trois millions de
mètres carrés qu’il possède entre Byblos et
Laqlouq – acquis au fil du temps durant ces
dix dernières années. Roger Eddé cite par
exemple un centre des congrès, un port de
400 millions de dollars pour accueillir des
bateaux de croisière et de grands yachts,
des hôtels représentant au total 7 000
chambres, un parcours de golf, un centre
de villégiature de campagne, une station de
ski, un centre de remise en forme… autant
de « macro-concepts » destinés à « replacer
le Liban sur la carte du monde ». Au
total, les investissements nécessaires oscilleraient
entre 1,6 et deux milliards de dollars
selon Roger Eddé, qui évoque le soutien
d’hommes d’affaires arabes et occidentaux
– notamment un géant américain –
prêts, dit-il, à débloquer les fonds dès qu’il
les sollicitera.
S’il voit grand, c’est aussi que Roger Eddé
ne réfléchit pas seulement en homme d’affaires.
Sa vision est politique. L’homme est candidat
à la présidence de la République. « Un
homme d’État est comme un chef d’orchestre
qui a réfléchi à sa performance à 100 % et qui
sait exactement ce qu’il veut », dit-il.