Avocat, chef du service des affaires juridiques de la Bank of Beirut and the Arab Countries, Paul Morcos est l’auteur d’une thèse sur le secret bancaire au Liban, soutenue en octobre dernier à l’Université de Nancy II, en France. Il plaide pour une redéfinition du secret bancaire libanais.

Quels ont été les fondements de l’instauration
du secret bancaire au Liban ? Sontils
les mêmes que dans d’autres pays ?
On peut cerner les intérêts du secret bancaire
dans les différents pays qui l’adoptent selon
quatre critères, sachant que de nombreux
pays cherchent à remplir plus d’un critère à la
fois. Le premier critère concerne la prospérité
économique, comme c’est le cas de la
Suisse, du Luxembourg et du Liban. Il a été
atteint d’une certaine façon au Liban, mais
pas entièrement, car les dépôts bancaires ont
été orientés vers le financement de la dette
publique infructueuse plutôt que vers des
investissements productifs. Le second critère
est relatif à l’immunité nationale. Il s’agit pour
la Suisse ou le Liban de se servir du secret
bancaire pour contrer l’emprise de puissances
rivales en les associant à la sauvegarde
de leurs richesses en veillant à la sécurité
du pays qui abrite leurs capitaux. Le secret
bancaire est aussi né au Liban d’une spécificité
locale : la volonté de limiter l’appropriation
par des étrangers, surtout par des ressortissants
du Golfe, de droits réels immobiliers
afin de ne pas menacer son équilibre
confessionnel. Le secret bancaire est censé
favoriser les dépôts de capitaux au détriment
d’investissements fonciers. Cet objectif n’a
pas été vraiment atteint.
On compare beaucoup le Liban à la
Suisse en matière de secret bancaire, la
similitude est-elle justifiée ?
La loi de 1956 instituant le secret bancaire au
Liban est clairement inspirée de la législation
suisse. Mais, à la différence du système suisse,
le secret bancaire libanais n’a connu – à
l’exception de la lutte contre le blanchiment
de capitaux – aucune dérogation depuis son
élaboration, alors que la Suisse a instauré
beaucoup de délimitations durant les trente
dernières années afin de limiter les possibilités
d’abus. Le législateur libanais est allé
plus loin que son aîné helvétique en donnant
un caractère “absolu” au secret bancaire.
On peut même dire qu’en la matière,
le secret bancaire libanais jouit d’un caractère
unique, car contrairement aux systèmes
juridiques d’autres pays qui, dans
leur quasi-totalité, adoptent actuellement
un régime moins extensif, il s’oppose aux
différentes autorités administratives et judiciaires,
et n’admet des dérogations qu’à
titre très exceptionnel. Ainsi, toute personne,
qui a eu connaissance par n’importe
quel moyen en vertu des fonctions qu’elle
exerce, des livres, opérations et correspondances
bancaires, est tenue de respecter le
secret bancaire pour l’intérêt des clients de
la banque. La violation de ce secret, à
caractère spécial et absolu, est sévèrement
réprimée, à la fois par des sanctions
pénales, civiles et professionnelles.
Comment une limitation peut-elle rester
compatible avec le principe du secret ?
Tout droit absolu, sans limites, devient abusif.
Aucun droit n’est absolu. La notion de limite
ne contredit pas le droit, parce que tout droit
implique des limites pour le protéger contre
les abus. Une telle approche est à la fois libérale
et solidaire du droit.
Dans cet esprit, il faudrait redéfinir le secret
bancaire pour lutter contre les abus. Il n’a
jamais été dans l’intention du législateur et
des promoteurs du secret bancaire que ce
secret, qui se définit comme la protection des
avoirs et des transactions des individus, soit
exploité pour la couverture d’abus et le financement
d’opérations criminelles nationales et
internationales.
Repenser le secret bancaire est devenu incontournable. Un amendement est d’ailleurs intervenu
dans ce sens en vertu de la loi 318/2001,
amendée le 20 avril 2001, sur la lutte contre le
blanchiment de capitaux, qui a élargi le champ
de répression des abus.
Redéfinir les limites de la loi sur le secret bancaire
assurerait la flexibilité souhaitée lorsque
l’intérêt général, l’intérêt des ayants droit
(créanciers et héritiers du client…), ou celui du
client lui-même, l’exige. Une telle perspective
maintient le secret comme un outil nécessaire
et précieux pour les déposants, qui n’auront
pas à craindre le dévoilement de leurs comptes
si les limites sont définies et si l’application est
contrôlée par les autorités bancaires.
En quoi l’affaire de la banque al-Madina
plaide-t-elle pour un aménagement du
secret bancaire ?
Le Liban risque de devenir un refuge pour
des opérations illégales menées à l’abri
d’un secret bancaire extensif. Selon les derniers
rapports de la commission d’enquête
internationale, le scandale de la banque al-
Madina pourrait être lié à l’assassinat de
l’ancien Premier ministre Rafic Hariri. S’il
s’avère que l’affaire al-Madina a un lien
avec des attentats terroristes, elle sera l’un
des dossiers les plus délicats du tribunal
international en formation.
C’est pourquoi, je propose un amendement
de la loi libanaise pour garantir davantage de
transparence financière de la vie politique et
prévenir la corruption. Il s’agirait pour les
banques de répondre aux demandes des
autorités judiciaires en cas de poursuite pour
enrichissement illicite concernant des fonctionnaires
(aucune poursuite de ce genre n’a
eu lieu jusqu’à présent et les lois y relatives
n’ont jamais été appliquées).
Je propose aussi d’instituer une commission
pour la transparence financière de la vie politique,
à l’instar de la loi française, chargée
d’examiner les déclarations des hauts responsables
et fonctionnaires et de lever le
secret bancaire, si nécessaire, sur leurs
comptes. À titre d’exemple, les quatre chefs
des services de renseignements libanais,
soupçonnés d’avoir créé “une caisse noire”,
ont bénéficié du secret bancaire.
Quelles autres modifications proposezvous
?
Il n’est pas question de supprimer le secret
bancaire, car le risque serait de provoquer
une crise bancaire, financière et économique.
Cela dit, il faut empêcher que ce secret entrave
la prévention des abus en général et la
lutte contre le crime en particulier. Il est possible
d’aménager un secret bancaire efficace,
mais “propre”, qui protège les intérêts légitimes,
juridiquement dignes d’être protégés.
Tout comme la liberté s’arrête là où commence
celle d’autrui, le secret de la vie privée
doit s’arrêter devant les intérêts légitimes
d’autrui, dans le respect des principes d’honnêteté
et des exigences de justice et de
bonne foi. On ne peut pas se prévaloir de la
confidence du secret pour nuire à autrui.
Mon souci majeur est la défense de la raison
d’être du secret bancaire, essentiellement
aux niveaux politique et économique, en
recherchant les moyens de sa survie face
aux abus. Pour cela, je propose :
- Une définition restrictive du “client” selon
deux critères : la connaissance du client
par la banque et la permanence des relations
bancaires, parce que le secret bancaire
ne doit pas être utilisé pour faciliter
les activités malhonnêtes menées par les
clients de passage.
- L’inopposabilité du secret bancaire aux
autorités judiciaires, dans la perspective de la
lutte contre toutes formes de criminalité, alors
que dans l’état actuel de la loi, seul le blanchiment
de capitaux déroge à ce principe.
- La possibilité pour le créancier d’exercer
une saisie sur le compte de son débiteur, en
exemptant le banquier de l’obligation du
secret bancaire et lui permettant de communiquer,
par voie judiciaire, la position du
compte et les pièces justificatives.
- La restitution des fonds du failli, en donnant
au syndic la possibilité de connaître
l’identité des bénéficiaires des divers transferts
et retraits que le failli aurait effectués
durant la période suspecte, sans que la
banque ne puisse se réfugier derrière le
secret bancaire. Le syndic pourra ainsi
réclamer la restitution de ces fonds qui
auraient été cachés par le failli.
- La remise du verso du chèque litigieux au
tireur, en donnant au tireur d’un chèque, en
litige avec le dernier bénéficiaire, la possibilité
d’obtenir une photocopie du verso du
chèque avec toutes les mentions qui s’y
trouvent apposées, y compris celles du dernier
endossement, sans lui opposer le
secret bancaire.
- Enfin, il faudrait clarifier les prérogatives
attribuées aux banques en leur accordant
le droit de dévoiler aux autorités judiciaires
les noms des cotitulaires d’un compte,
lorsque l’un d’entre eux est soupçonné de
blanchiment de capitaux et que la poursuite
de l’enquête exige la révélation de
l’identité des cotitulaires.