Avec une capacité de stockage de huit millions de mètres cubes, le barrage de Chabrouh – le second depuis 1959 – est sans doute une réalisation importante, mais orpheline dans un pays où les ressources hydrauliques restent largement sous-exploitées…

Chabrouh est le second barrage dans l’histoire du Liban après celui du Qaraoun, construit au début des années 1960. Sa capacité de stockage est de huit millions de mètres cubes, soit 10 % de la capacité totale des dix-huit barrages que la Direction générale des ressources hydrauliques et électriques estime nécessaire pour tout le territoire, et seulement 0,4 % des deux milliards de mètres cubes d’eaux de surface exploitables par an au Liban.
Aussi importante soit-elle, l’inauguration de cet ouvrage, qui a coûté 45 millions de dollars à l’État, est encore loin de pouvoir combler en termes quantitatifs les besoins hydrauliques du Mont-Liban, et encore moins ceux du Liban tout entier. Situé dans le caza du Kesrouan, à 40 km au nord-est de Beyrouth, le barrage de Chabrouh a surtout pour objectif d’assurer l’approvisionnement en eau potable d’une soixantaine de villages du Kesrouan et quelques villages de la région du Metn. « La station de traitement d’eau potable, située à 150 mètres à l’aval du barrage, a une capacité de 60 000 m3 par jour, alors que les besoins actuels des habitants de la région desservie sont estimés à 45 000 m3 par jour », souligne Fady Comair, directeur général des Ressources hydrauliques et électriques au sein du ministère de l’Énergie et de l’Eau. Le barrage permettra ainsi de combler le déficit en eau potable de la région jusqu’en 2025, mais également de préserver les eaux souterraines et d’économiser les sommes et l’énergie liées aux activités de pompage qui vont bon train en attendant la mise en service de l’ouvrage au printemps prochain. Cependant, Chabrouh étant un barrage de taille moyenne, il n’a ni la possibilité d’irriguer de grandes surfaces agricoles ni de produire de l’énergie hydroélectrique. « Une conduite d’un diamètre de 400 mm permettra d’irriguer uniquement les champs situés autour du barrage », précise Fady Comair.
Si les habitants du Kesrouan pourront profiter de l’eau du Chabrouh stockée à partir du printemps prochain, la gestion et l’entretien du barrage posent déjà problème. Le contrat signé entre le ministère de l’Énergie et de l’Eau et Électricité de France (EDF) a été gelé pour des raisons sécuritaires, affirme Comair, selon qui, le groupe français a préféré ne pas envoyer ses experts au Liban à cause de l’instabilité du pays. Le contrat prévoyait que le producteur français gère le barrage durant deux ans et forme les ingénieurs locaux avant de passer la main aux Offices des eaux de Beyrouth et du Mont-Liban. Le ministère travaille actuellement à la conclusion d’un accord similaire avec un autre partenaire. « Nous sommes en négociation avec le consultant privé Coyne et Bellier », dit Comair.

Risque de déficit hydraulique

Le projet de Chabrouh s’inscrit dans le cadre d’une stratégie décennale (2001-2010) proposée par la Direction des ressources hydrauliques et électriques et adoptée en l’an 2000 par le gouvernement et le Parlement. Elle vise, entre autres, à construire 17 nouveaux barrages (dont celui de Chabrouh) et augmenter ainsi la capacité totale de stockage de 220 à 850 millions de mètres cubes d’eau. Le Liban pourrait alors exploiter plus de 40 % de son potentiel en eaux de surface au lieu de 10 % seulement à l’heure actuelle. Mais cette stratégie étalée sur dix ans, qui porte non seulement sur la construction de barrages mais aussi sur d’autres projets d’envergure liés à l’irrigation, le traitement des eaux usées et l’entretien des rivières sur tout le territoire, a pris beaucoup de retard. Depuis 2001, seul le projet de Chabrouh a été exécuté. Le “gel” des autres projets prévus par le plan décennal est dû à un manque de fonds mais surtout à l’interférence d’intérêts politiques divergents qui empêchent le déblocage des crédits quand ils existent, souligne Comair.
Les conséquences de ce retard sont d’autant plus dangereuses que le Liban risque un déficit hydraulique d’ici à 2040. Selon une étude préparée par le ministère de l’Énergie et de l’Eau, la demande annuelle en eau (usage domestique, industriel et irrigation) pourrait dépasser en 2010 deux milliards de mètres cubes par an (l’équivalent des ressources actuelles du Liban en eaux de surface) et atteindre 3,4 milliards de mètres cubes en 2040. L’écart entre besoins et ressources renouvelables serait ainsi de 665 millions de mètres cubes dans 33 ans. « Il est donc impératif de passer à l’action et de paver la voie à une meilleure exploitation de cette ressource naturelle vitale », insiste Comair, avant d’ajouter : « Bien que le Liban soit considéré comme un véritable château d’eau régional, avec des précipitations annuelles dépassant huit milliards de mètres cubes, il se classe loin derrière d’autres pays de la région au niveau de l’exploitation des ressources hydrauliques. Il existe aujourd’hui une vingtaine de barrages en Jordanie et 263 en Syrie. »


Définitions

L’eau de surface est toute eau en contact libre avec l’atmosphère ; il peut s’agir d’un cours d’eau, d’un lac ou d’un bassin de retenue. Quant aux eaux souterraines, elles proviennent de l’infiltration des eaux de pluie dans le sol. Celles-ci s’insinuent dans les pores et les fissures des roches jusqu’à rencontrer une couche imperméable où elles s’accumulent et forment un réservoir d’eau souterraine (appelé aquifère) exploitable par le biais d’un forage. Les eaux souterraines contribuent également à l’alimentation des sources et des cours d’eau. Leur importance économique et environnementale fait de leur préservation un facteur de développement durable.

Ressources en eau du Liban
Ressource Écoulements (en millions de mètres cubes)
Entrées Pertes Total
Précipitation annuelle totale 8 200
Évaporation naturelle et transpiration 4 100
Pertes en eaux souterraines vers les pays voisins 300
Pertes en eaux de surface vers les pays voisins 648
Sources sous-marines 385
Total des eaux renouvelables 2 767
dont eaux de surfaces 2 200
dont eaux souterraines 567

Le Liban peut exploiter un peu plus de deux milliards de mètres cubes d’eau par an

Malgré des précipitations annuelles estimées aux alentours de 8,2 milliards de mètres cubes par an, le Liban ne garde en réserve que 2,7 milliards d’eaux renouvelables, partagées en eaux de surface et eaux souterraines. L’écart est dû aux fortes pertes provoquées par l’évaporation naturelle de 4,1 milliards de mètres cubes d’eau de pluie par an (soit 50 % des précipitations totales) et des écoulements annuels vers les pays voisins estimés à un peu moins d’un milliard de mètres cubes.
De plus, le Liban n’est pas en mesure d’exploiter la totalité de ses réserves annuelles, une partie d’entre elles se déversant vers la mer ou les pays voisins, sans compter les contraintes géologiques du relief libanais. Ainsi, ses réserves ne dépasseraient pas les deux milliards de mètres cubes par an, au lieu des 2,7 milliards de m3 théoriques.