L’homme est grand, imposant et souriant. Il a l’assurance de ceux qui sont fiers de leur parcours et la modestie de ceux qui attribuent leur succès aux équipes qui les entourent. Il vient de remporter le prix Ernst and Young de l’Entrepreneur de l’année 2009 dans la catégorie Technologie pour l’État de Washington. Ce prix récompense plus de 15 années passées dans l’industrie de la biopharmaceutique, dont une dizaine consacrées à Emergent Biosolutions, l’entreprise qui fournit le seul vaccin anti-anthrax approuvé par la puissante Food and Drug Administration (FDA) au gouvernement américain.
Fuad el-Hibri a atterri dans la biopharmacie un peu par hasard, et un peu par intérêt. Il se définit comme « un entrepreneur dans l’âme » et, avant de se dédier à la biopharmacie, il avait déjà créé et revendu diverses entreprises de télécommunications en Russie, au Venezuela et au Salvador. Au début des années 90, ce natif d’Allemagne, de père libanais et de mère allemande, qui est passé par la banque (Citibank) et le conseil (Booz Allen & Hamilton), rejoint Porton Product, une entreprise de biotechnologie située au Royaume-Uni. Il y joue un rôle prépondérant dans le marketing et la vente de vaccins de biodéfense à des gouvernements étrangers. Hibri est notamment un homme-clé derrière l’achat par l’Arabie saoudite de vaccins anti-anthrax lors de la première guerre du Golfe. C’est là qu’il affirme avoir pris toute la mesure du besoin de solutions médicales pour combattre le bioterrorisme. En 1994, il organise le rachat de Porton Products par ses dirigeants, avant de revendre ses parts en 1996 (le prix n’est pas communiqué).
En 1998, s’ouvre à lui l’opportunité de racheter aux enchères le BioThrax, le seul vaccin anti-anthrax approuvé par la Food and Drug Administration, détenu jusque-là par l’État du Michigan. Il crée donc BioPort, obtient la nationalité américaine en 1999, gagne les enchères (24 millions de dollars environ) et se retrouve à la tête d’une entreprise qui compte 170 employés et développe un produit : le BioThrax.
Hibri bénéficie d’une situation de monopole de fait puisqu’il est le seul fournisseur du gouvernement américain qui lui achète des millions de doses de BioThrax par an pour vacciner ses militaires et pour maintenir un stock en cas d’attaque bioterroriste. Une situation qui alimente toutes les controverses, comme en témoignent les commentaires délirants publiés sur Internet.
Une fois BioPort consolidée, et afin de diversifier son portefeuille, Hibri se lance dans des acquisitions de diverses compagnies de biotechnologies. Dès 2003, BioPort rachète Antex, une compagnie américaine qui travaillait sur le développement du vaccin contre la chlamydia. En 2005, l’entreprise, devenue entre-temps Emergent Biosolutions, acquiert Microscience, une compagnie anglaise qui avait investi dans les recherches sur l’hépatite B et la typhoïde. En 2006, elle rachète Vivex, une société allemande qui se spécialisait dans la recherche sur le vaccin de la grippe. En 2008, elle fait une joint-venture avec l’université d’Oxford (entre autres) pour développer un vaccin contre la tuberculose.
Emergent se retrouve aujourd’hui à la tête d’un portefeuille en développement de vaccins et thérapies contre sept maladies, qui pourrait rapporter des « centaines de milliards de dollars par an » lorsque les produits seront mis sur le marché, selon Hibri. Quatre d’entre eux devraient être commercialisés d’ici quatre à sept ans. La majeure partie de ces produits a pour particularité de nécessiter uniquement deux technologies que la société possède : une technologie pour les vaccins délivrés par voie orale et une autre pour les vaccins administrés par piqûre. « D’où des synergies importantes permettant de réaliser de substantielles économies de coût », explique Hibri. Mais Emergent est en concurrence directe avec de gros laboratoires pharmaceutiques comme Sanofi, Novartis et Roche sur le développement de ces thérapies et vaccins, à usage plus commercial que le BioThrax. D’ailleurs, même sur l’anthrax, Emergent devra probablement faire face à la concurrence d’autres laboratoires de biotechnologie, tels PharmAthene et Cangene, qui sont actuellement en phase de développement de vaccins et thérapies contre la bactérie.
En attendant, pour faire face à la demande croissante du gouvernement américain, et à celle d’autres gouvernements étrangers qui étoffent son portefeuille client, Emergent a récemment investi dans sa capacité de production du BioThrax : elle est passée d’une capacité de trois millions de doses par an à huit millions et est actuellement en cours de validation d'une nouvelle usine dans le Michigan qui peut produire jusqu’à 40 millions de doses par an.
Aujourd’hui, onze ans après le rachat du BioThrax, celui-ci assure toujours la majeure partie du chiffre d’affaires de la société (178,6 milliards de dollars en 2008), l’autre partie étant fournie par des contrats de développement avec le gouvernement et des revenus accordés par des fonds publics ou privés. La société compte 600 employés et est cotée depuis 2006 à la Bourse de New York, avec une capitalisation de 500 millions de dollars. Hibri, sa famille et son équipe de gestion gardent le contrôle de la société avec plus de la moitié du capital. Emergent est présente aux États-Unis, au Royaume-Uni, à Singapour, en Chine et en Allemagne. Et elle a connu sept années de croissance ininterrompue entre 2000 et 2007.
C’est en partie ce qu’a récompensé le prix E&Y attribué à Hibri. D’autres critères ont aussi été pris en compte : sa capacité à inspirer les troupes, qui, de son propre aveu, sont « dédiées et motivées » ; et son implication philanthropique dans de nombreuses organisations caritatives, dont la El-Hibri Charitable Foundation, créée par son père, qui finance entre autres l’orphelinat de Dar al-Aytam au Liban.
www.emergentbiosolutions.com L’anthrax
L’anthrax est une toxi-infection animale transmissible à l’homme, causée par une bactérie, Bacillus Anthracis. La maladie se transmet par les spores ou par la viande contaminée, mais pas d’homme à homme. La culture de la bactérie et la sporulation sont relativement faciles en laboratoire, ce qui en fait une arme bactériologique idéale.