Engagée depuis 2002 dans une stratégie de diversification, la Poste libanaise propose, outre la distribution du courrier, de nombreux services gouvernementaux. Une innovation qui a permis à LibanPost de décrocher deux récompenses lors des World Mail Awards, qui se sont tenus à Copenhague le 15 juin dernier. Khalil Daoud, directeur général, revient sur la transformation de l’entreprise depuis sa création en 1998.

Quels sont les principaux défis que doit relever la Poste libanaise ?
L’absence d’adresse précise. Au Liban, l’expéditeur doit décrire l’adresse de son destinataire en indiquant la région, puis la ville, le quartier et les commerces voisins de l’immeuble. Le problème est que pour une même adresse, plusieurs descriptions peuvent être données. La responsabilité de la cartographie des villes libanaises incombe exclusivement à l’État (municipalités et ministère de l’Intérieur). Mais personne n’entreprend rien. Le seul moyen que nous avons trouvé pour contourner cette difficulté est de faire travailler les facteurs dans leurs quartiers de résidence. Ils y sont installés depuis longtemps et connaissent ainsi la plupart des habitants et des commerces.
Par ailleurs, LibanPost doit faire face à la concurrence des prestataires privés type DHL, FEDEX, UPS, qui étaient les seuls à distribuer du courrier pendant la guerre. Légalement, LibanPost est désormais la seule entreprise habilitée à exercer sur le territoire libanais, mais ce monopole n’a jamais été respecté. Nous sommes aussi en concurrence avec de nombreux détaillants de quartier qui proposent des services de distribution sur des zones restreintes. La licence que nous avons achetée n’est respectée ni par les grands ni par les petits. Notre défi est donc de proposer des services qualitatifs à des tarifs préférentiels.

Quelle place le courrier traditionnel tient-il dans les activités de LibanPost ?
Le service postal représente encore 53 % du chiffre d’affaires de LibanPost. Étant donné que la distribution du courrier était inexistante au Liban jusqu’en 1990, cette activité ne pouvait que croître. Mais comme dans tous les pays du monde, le service postal traditionnel n’est pas une activité rentable. Nous misons donc de plus en plus sur le développement des services gouvernementaux, qui devraient représenter 70 % de notre chiffre d’affaires d’ici à cinq ans.

Comment s’organisent les services gouvernementaux que vous proposez ?
Nous nous positionnons comme un intermédiaire officiel entre le gouvernement et les citoyens libanais, et nous nous chargeons de réaliser les formalités administratives à leur place. Pour l’obtention d’un passeport par exemple, le citoyen s’informe sur les pièces à fournir dans un bureau, au téléphone ou sur notre site Internet. Il vient ensuite déposer son dossier complet chez LibanPost qui vérifie le dossier, trie les papiers et les transmet au ministère de l’Intérieur. Une fois la procédure effectuée par les offices gouvernementaux, LibanPost retourne le passeport au domicile de l’usager.
Ces services permettent de gagner énormément de temps. Tous les ministères se trouvant à Beyrouth, un habitant de la Békaa ou de Tripoli était auparavant obligé de se déplacer dans la capitale pour effectuer ces démarches. Désormais, il peut se rendre dans l’un de nos trente bureaux qui proposent des horaires d’ouverture beaucoup plus accommodants. Notre principal défi était de faire en sorte que les citoyens nous fassent confiance pour nous confier leurs papiers. Nos résultats prouvent que nous avons rempli notre mission.

Quel type de collaboration entretenez-vous avec le gouvernement libanais ?
Au niveau global, nous sommes liés à l’État par un accord commercial : les actionnaires actuels de LibanPost ont racheté une licence de service public en 2001, ce qui nous donne l’exclusivité sur le territoire national pour la distribution du courrier. La question du renouvellement de la licence ou de la nationalisation de LibanPost se posera au terme de ce contrat, dans moins de dix ans. En ce qui concerne plus précisément les services gouvernementaux, il s’agit d’un simple partenariat. Les frais supplémentaires (environ 4 000 LL pour une formalité) que nous demandons à nos clients sont exclusivement reversés à LibanPost pour le traitement et l’acheminement des dossiers. Les services des ministères gagnent en productivité. Les guichets sont moins encombrés et les agents publics perdent moins de temps à renseigner les citoyens.

Les services gouvernementaux sont-ils rentables ?
Ils le deviennent progressivement. Le tarif moyen d’un service gouvernemental est de 4 000 LL, ce qui n’est pas grand-chose, mais nous misons sur le volume. En 2009, nous avons réalisé plus d’un million et demi de formalités, un chiffre qui augmente de 30 à 40 % chaque année, depuis la création de ces services en 2002. Le développement de cette activité a permis à LibanPost d’être en équilibre depuis 2008. À l’heure actuelle, nous proposons 50 à 60 % des formalités administratives chez LibanPost. Nous avons donc encore une grande marge de manœuvre. Nous aimerions par exemple mettre en place un service relatif à la Caisse nationale de Sécurité sociale.

Ces services vous ont permis de remporter le Prix de l’innovation et celui de la transformation lors de la cérémonie des World Mail Awards 2010…
Depuis la création de LibanPost, nous participons chaque année à cette compétition qui confronte les grandes postes mondiales. À chaque fois, nous avons été finalistes dans une catégorie. C’est la première année où nous sommes doublement primés. Le Prix de la transformation est venu récompenser les efforts de modernisation réalisés par LibanPost, tant au niveau du management, de la gestion humaine et financière, de la diversification que des infrastructures opérationnelles. L’originalité des services gouvernementaux nous a, quant à elle, permis de remporter le Prix de l’innovation. Au-delà du simple trophée, ces récompenses nous apportent reconnaissance et satisfaction.

Quels sont désormais vos axes stratégiques pour les années à venir ?
Il y en a trois : moderniser l’image de LibanPost à travers une importante campagne de communication ; lancer un service d’entreposage en zone franche pour les entreprises ; et mettre en place un service à domicile. Notre objectif est simple : tout ce que LibanPost fait dans ses bureaux, elle peut désormais le faire chez vous, à domicile. C’est un projet innovant, un immense challenge que nous sommes en train de tester et qui, je l’espère, nous permettra de remporter une nouvelle récompense en 2011.

LibanPost, de 1998 à 2010

Inexistant pendant les quinze années de guerre, le service postal libanais retrouve sa raison d’être au début des années 1990. Au moment de la reconstruction, la question de la privatisation des services publics est plus que jamais à l’ordre du jour et la distribution du courrier est un des premiers services publics à être placé entre les mains d’investisseurs privés. Début 1998, LibanPost voit le jour grâce au financement de deux institutions canadiennes, la Canadian Post et SNC Lavalin. Ces sociétés concluent un contrat de licence avec l’État libanais, qui confère à LibanPost l’exclusivité de la distribution du courrier sur le territoire national. Les Canadiens reprochent rapidement à l’État libanais de ne pas utiliser les services de LibanPost notamment pour l’envoi des factures de téléphone et d’électricité. Ils décident, trois ans après la création de l’entreprise, de se retirer du capital de la société qui est alors rachetée par des investisseurs libanais dont Facteur Invest Holding SAS (Groupe Bank Audi) et al-Mousahamat  Holding SAL (famille Mikati), pour un montant non communiqué. Khalil Daoud est nommé à cette époque à la tête de l’entreprise. LibanPost est alors dans une situation financière particulièrement difficile. Un réel manque de culture postale et l’absence de système d’adresses fiables freinent le développement de l’activité de la Poste libanaise. La nouvelle direction de LibanPost décide alors de se tourner vers d’autres sources de revenus, en proposant des services annexes : services gouvernementaux, produits financiers et assurance. Parallèlement, l’entreprise multiplie progressivement le nombre de ses bureaux de poste afin de mieux couvrir le territoire national : de 40 sous l’ère canadienne, LibanPost passe à 71 bureaux. Une véritable campagne de modernisation technologique est menée, chacun des 800 employés possédant désormais un ordinateur personnel. Ces investissements, dont le montant n’a pas été révélé, semblent avoir porté leurs fruits puisque le chiffre d’affaires de LibanPost, également non communiqué, connaît une progression annuelle moyenne de 11 % depuis 2002, avec 6 % de profits nets réalisés en 2009.