Le quartier Gemmayzé a attiré près de 15 millions de dollars d’investissement depuis trois à quatre ans. C’est beaucoup si on prend en considération l’instabilité et l’insécurité qui prévalent dans le pays, à moins que la situation n’ait paradoxalement contribué à son succès. Ce montant est toutefois relativement faible par rapport au nombre d’établissements recensés dans la rue. Selon une étude réalisée par Hodema (conseil en hôtellerie et tourisme), ils étaient 64 en mars dernier, soit près de trois fois plus qu’il y a moins de cinq ans, puisqu’ils n’étaient qu’une vingtaine d’établissements en 2003.
L’investissement moyen est d’environ 200 000 dollars par établissement, ce qui reflète le positionnement relatif de la zone : petits bars et restaurants moyens de gamme. Par comparaison, la rue de Damas, par exemple, compte moins de restaurants, mais leur taille est beaucoup plus grande et ils ont par conséquent coûté plus cher. Ainsi, des restaurants comme La Piazza, Market, el-Paladar ou le Yabani ont tous nécessité plus d’un million de dollars d’investissement. Au total, avec une quinzaine d’établissements, la rue de Damas a attiré autant sinon davantage de capitaux que Gemmayzé.
Dans les rues Gouraud et Pasteur et les ruelles adjacentes, on compte aujourd’hui 29 bars sur un total de 64 établissements, ce qui représente une part de 46 % du total. Ces bars sont en général de petits établissements avec une vitrine et un accès direct sur la rue.
Les nouveaux propriétaires rachètent le plus souvent des sociétés ou des établissements qui possèdent des baux anciens. Il s’agit de commerçants et d’artisans. Parfois, le contrat de location est négocié à trois entre ancien et nouveau locataire, et propriétaire du local.
Étant donné la saturation de la rue Gouraud au niveau des vitrines, les bars ont récemment commencé à gagner les étages supérieurs, comme le bar argentin El Gardel et le restaurant La Estancia qui se sont placés au-dessus du restaurant Le Rouge.
Cette part de près de la moitié de bars a accentué la perception de Gemmayzé comme étant une destination de nuit. Ce qui attire d’autres développeurs de projets de nuit se limitant toutefois à développer des projets moyens, étant donné la petite taille des locaux disponibles. Ainsi alors que c’est une destination de nuit, on ne trouve pas de boîtes de nuit à Gemmayzé.
C’est Le Cactus qui a contourné le premier en 2005 l’obstacle de la taille en prenant le risque d’ouvrir un espace de 170 m2, largement plus grand que les autres restaurants-bars de la rue. Certains voient d’ailleurs à partir de cette ouverture une transformation de l’esprit de Gemmayzé, d’autres ayant imité son exemple (Copper, ou The Venue).
Au niveau des restaurants, le choix est très éclectique à Gemmayzé, de la cuisine libanaise traditionnelle (Le Chef pionnier depuis 1967, Café “Ahwet el-Kzaz”) à la cuisine libanaise modernisée (La Tabkha), en passant par les saveurs d’Amérique du Sud (Cactus, Joe Penas, La Parilla, La Estancia…), de France (Rouge, Paul, Centrale…), du Japon (Soto), d’Italie (Olio, Corleone) et d’Arménie (Mayrig). Quelque 28 % des établissements du quartier sont des restaurants qui privilégient la vente de nourriture à celle de l’alcool.
Dans les 18 restaurants de Gemmayzé, il n’y a ni fast-foods à l’américaine ni même à la libanaise. La raison est probablement la visibilité réduite des emplacements et certainement un problème de circulation et de parking. Il est évident qu’un “drive-thru” n’a pas de raison d’être dans ce quartier.
Le segment supérieur du marché n’est pas non plus présent, malgré certaines tentatives comme la brasserie Le Gouraud qui n’a pas réussi à gagner une clientèle haut de gamme dans la rue et a été rebaptisé 55 Lounge par son propriétaire et développeur Sami Hochar il y a peu.
Les grands groupes de restauration ne sont pas davantage implantés à Gemmayzé : le groupe Premiere Leisure (Boubess Group), par exemple, qui est propriétaire des marques L’Entrecôte, La Piazza, Napoletana, Scoozi, n’y a inauguré aucun de ces établissements.
Circle Management Group (Crystal, Metis...) vient de s’intéresser à Gemmayzé et prévoit d’ouvrir très prochainement un restaurant-bar sur les escaliers menant à la rue Sursock, en face du Gem de Tony Habr.
Au niveau des coffee-houses et des diners, on note également une absence remarquée. Ni Starbuck ni Roadster n’y sont, ce qui semble indiquer que Gemmayzé, malgré son caractère jeune et bon marché, n’attirera pas ce genre de marques.
Le marché de la restauration semble donc se limiter à des restaurants moyens de gamme. La concurrence est féroce, mais elle profite finalement à tous, puisque Gemmayzé est devenu une destination touristique à elle seule.