Gemmayzé est la destination touristique qui monte à Beyrouth depuis le début des années 2000, mais le quartier a-t-il les moyens de faire durer ce succès ?
Son histoire est celle d’une percée inattendue, à l’ombre de son voisin Solidere, longtemps surexploité par les médias. Petit à petit, bien avant que les tentes installées par l’opposition en décembre 2006 ne paralysent la rue Maarad, Gemmayzé a commencé à prendre le pas sur Solidere, dont elle est le contre-exemple parfait en termes urbanistiques. Situé entre la rue Sursock et le port de Beyrouth, le quartier est composé de deux longues rues principales, parallèles, à sens unique : les rues Gouraud et Pasteur. Si l’origine du nom de la rue Pasteur en référence au célèbre biologiste est assez banale, probable héritage du mandat français, la rue Gouraud tient quant à elle son nom du général Henri Gouraud, haut-commissaire de la France au Liban de 1919 à 1923 et parrain de la création du Grand Liban en 1920. Le nom du quartier vient du sycomore (gemmayz en arabe), un arbre dont il ne reste qu’un seul survivant aujourd’hui rue Gouraud. La particularité de Gemmayzé est d’avoir survécu à la guerre de 1975-1990 sans trop de dégâts et d’avoir été ignorée par les promoteurs une fois le calme revenu. Pendant que la rue Sursock continuait de se développer en immeubles résidentiels hauts de gamme et que Saifi Village devenait le quartier des arts et la zone résidentielle au sein de Solidere, Gemmayzé était abandonnée à ses vieux commerces, ses artisans, sous l’emprise de la loi sur les anciens loyers. C’est cet état de conservation qui a fait son succès.
Gemmayzé a voulu devenir une sorte de Lower East Side de Beyrouth, le quartier des galeries, des magasins de mode, projetant un développement similaire à celui de quartiers illustres comme le Marais à Paris, Soho à New York, à savoir des zones plus calmes, distantes, décalées, lifestyle, existant dans toute concentration urbaine.
Mais très vite, il est apparu qu’à l’exception des deux galeries d’art contemporain Alice Mogabgab et Fadi Mogabgab, ainsi que Le Balcon des créateurs et le restaurant-boutique Kitsch la rue n’a attiré que des acteurs de la restauration et Gemmayzé s’est transformée en un gigantesque restaurant-bar devenu le cauchemar des riverains. Le quartier s’est aussi imposé comme une destination nocturne, obligeant certains restaurateurs comme La Tabkha par exemple qui n’ouvrait qu’à midi à accueillir aussi la clientèle le soir ; la journée servant plutôt à nettoyer les locaux et prendre livraison des marchandises.
Le pari de transformer Gemmayzé en Soho de Beyrouth est donc largement perdu, le moindre mètre carré en vitrine sur la rue Gouraud est propice à un développement de débit de boissons.
Le montant des loyers a explosé, passant de 100 dollars au début des années 2000 à 350 dollars environ en 2005 pour arriver aujourd’hui à 500 ou 600 dollars le mètre carré pour un local de premier ordre, affirme Émile Razzouk, propriétaire et gérant du restaurant-bar Cactus, rue Gouraud.
Cette ascension est-elle durable ? Le premier défi que doit relever Gemmayzé en tant que destination de restaurants et bars est celui de durer. Le quartier de Monnot avait connu un succès similaire qui s’est aujourd’hui considérablement ralenti et la rue Maarad a aussi connu son heure de gloire avant d’être entraînée dans une chute vertigineuse due en partie au blocage du centre-ville.
La fermeture des quelques parkings qui restent risque de freiner considérablement le développement du quartier, à moins d’une solution miracle pour résoudre le problème d’engorgement. Le ministère du Tourisme propose de transformer en parking une partie de la gare routière Charles Hélou et d’acheminer les clients en navettes vers le centre de Gemmayzé. Mais cette solution sera difficile à mettre en place, étant donné le goût des Libanais pour la parade des grosses cylindrées devant l’entrée des restaurants.
Mais, plus fondamentalement, la manifestation en pyjama des habitants du quartier le 29 mars dernier qui a conduit à des fermetures de bars en avril pose le problème du modèle de développement de Gemmayzé, uniquement centré autour des restaurants et des bars.
Contrairement à d’autres quartiers tels que Monnot qui ont vu leur paysage se transformer en zones de plus en plus résidentielles, Gemmayzé ne risque pas de muter faute de terrains libres. Elle est d’ailleurs déjà une zone résidentielle, ce qui est sa principale contrainte et suscite une remise en question identitaire.