Le Financial Times l’a surnommé « la légende de la City ». En assurant des rendements exceptionnels à ses clients, il a gagné la confiance des investisseurs et l’admiration de ses pairs. De Paris à Genève, en passant par Londres, Philippe Jabre est un grand nom de la gestion alternative.

Installé en Suisse depuis 2007, Philippe Jabre est à la tête de Jabre Capital Partners, une société d’environ 70 employés qui gère quatre hedge-funds (fonds spéculatifs). Précédé par sa réputation, il n’a eu aucun mal à lever plus de cinq milliards de dollars, confiés par des institutionnels et quelques particuliers, sûrs d’obtenir des rendements inégalables. Car s’il est encore nouveau à Genève, son nom est bien connu à Paris et à Londres.
Certains se souviendront peut-être aussi de lui à Beyrouth où il est né en 1960. Après avoir suivi sa scolarité à Notre-Dame de Jamhour, et passé un an à l’AUB, il quitte le pays du Cèdre pour le Canada en 1978, au début de la guerre civile. En 1982, il décroche un Master of Business Administration de la prestigieuse Columbia Business School de New York, puis suit un stage à la banque JP Morgan. Il s’envole ensuite pour Paris, où il rejoint la BAii, un consortium regroupant notamment des gouvernements arabes, Paribas et Bank of America. Il se spécialise alors dans un domaine encore pionnier : les transactions spéculatives sur actions. À cette époque, « les Libanais n’étaient pas nombreux dans ce métier, ils jouaient plutôt le rôle d’intermédiaires », se souvient Philippe Jabre. En 1997, il rejoint GLG Partners LP, une société de hedge-funds créée par trois anciens traders de Lehman Brothers, devenue aujourd’hui troisième en Europe. Entre 1998 et 2005, soit avant et après l’éclatement de la bulle Internet, il a dirigé le fonds GLG Market Neutral Fund et réalisé des rendements annuels nets pour ses clients de 23,1 %. Ce rendement est net des 2 % de frais annuels de gestion et des 20 % des bénéfices que la société conserve au titre de la participation aux profits.
La clé de ce succès ? « Une capacité à résister, à tenir le coup et à conserver une vision claire du marché quand les choses vont mal, explique-t-il. Lorsque la conjoncture est difficile, on réduit les risques tout en identifiant un ou deux bons secteurs sur lesquels on se positionne en force. L’objectif est de maximiser les stratégies pour ne pas se faire emporter par les vagues du marché. »
« Cette capacité à résister quand les choses vont mal », ses origines libanaises y sont sans doute pour quelque chose. « Ce qui nous affecte dans notre passé nous sert aussi dans notre présent, souligne le financier. Mon expérience au Liban m’a aidé à développer mon endurance et une vision globale. Elle m’a également appris à réagir aux imprévus. » Gérer les imprévus fait partie intégrante de la vie de Philippe Jabre, et pas seulement dans la sphère professionnelle.
En 2005, il affronte une succession d’épreuves qui n’auront pas raison de sa ténacité. En février de cette année, alors qu’il skiait avec sa femme et des amis à Courchevel, le groupe est surpris par une avalanche. Sa femme se retrouve ensevelie sous plusieurs mètres de neige. Il creusera à mains nues pendant plus de 20 minutes pour l’en sortir saine et sauve.
Au même moment, une crise de crédit secoue les marchés, et son fonds plonge de 18 %. Il redouble d’efforts et termine l’année en hausse de 5,47 %.
Cette année-là, une autre ombre se profile. Le régulateur des marchés financiers britanniques, la FSA, ouvre une enquête pour abus de marché et violation de procédures dans le cadre de transactions sur des obligations convertibles Sumitomo effectuées en février 2003. La FSA reproche au principal trader de GLG d’avoir utilisé des informations confidentielles qu’il était le seul à détenir pour spéculer sur cette opération.
Le verdict tombe en 2006 : la FSA condamne Philippe Jabre et GLG Partners à payer une amende de 750 000 livres sterling (environ 1,43 million de dollars) chacun. C’est la condamnation la plus importante jamais infligée à une personne physique, et la première à frapper un gérant de hedge-funds. Toutefois, le comité de décisions de la FSA estime que Philippe Jabre n’a pas commis cet abus intentionnellement et, par conséquent, juge qu’il n’a pas violé la règle d’intégrité du marché. Contrairement aux recommandations de la FSA, le comité décide donc de ne pas annuler, ni même suspendre, sa licence. « Cette affaire a été très médiatisée. À travers elle, la FSA a espéré vouloir donner l’exemple. Mais cela n’a pas eu d’impact sur mes activités, ni sur ma capacité à lever des fonds », commente l’intéressé.
Car, il en faut bien plus pour empêcher Philippe Jabre de faire ce qu’il fait de mieux : de l’argent. Les investisseurs dans ce domaine, qui pratiquent une sélection rigoureuse des gérants de fonds, se sont ainsi renseignés sur la nature de l’erreur et ont choisi d’accorder leur confiance à Philippe Jabre. Et le temps leur a donné raison.
Au premier trimestre 2008, en pleine crise financière, « le maximum de pertes endossées par l’un de nos fonds a été inférieur à 2 %, alors que la moyenne des pertes des autres hedge-funds est de l’ordre de 5 % », indique Jabre.
En effet, le JabCap Multi Strategy Fund a perdu 1,90 % entre janvier et mars. Les trois autres fonds, en revanche, sont gagnants : le JabCap Magousta Fund a pris 2,46 %, le JabCap Global Balanced Fund 0,80 % et le JabCap Global Convertible Fund 3,41 %.
Étant donné les conditions du marché, le premier trimestre a été caractérisé par une aversion au risque et un attentisme prudent. « La question du moment est de savoir si la dose d’injection monétaire aux États-Unis fera son effet avant d’être rattrapée par l’inflation », explique Philippe Jabre. Pour affronter cette incertitude, le gérant adopte une stratégie liquide, s’orientant vers les grandes capitalisations boursières et les actions à valeur sûre, et « nous restons attentifs à tout retournement de tendance ».
Sur le plan personnel, voler dans les hautes sphères de la finance mondiale n’empêche pas Philippe Jabre de maintenir des liens étroits avec son pays natal. « J’ai des attaches familiales et personnelles très fortes avec le Liban. Il reste pour moi une base, et un pays très agréable malgré les contrecoups », dit-il. Et parce qu’il croit au potentiel des Libanais, il a créé en 2001 une association qui accorde des aides socio-médicales, des aides aux institutions éducatives et culturelles, et des bourses universitaires. Ce dernier programme est le plus important, et vise à financer les jeunes souhaitant étudier au Liban ou à l’étranger. « Je veux leur donner la chance que j’ai eue de pouvoir étudier à l’étranger », souligne Philippe Jabre. Dans le monde de la finance, en particulier, il se dit impressionné par le rôle croissant des Libanais. « Il y a de plus en plus de gens brillants, qui se battent et qui gravissent les échelons. Mais dans ce métier, il ne faut pas seulement se reposer sur les diplômes. Il faut travailler, toujours plus. Rien n’est jamais acquis. »Bio express

• 48 ans, marié, quatre enfants. Né à Beyrouth, nationalités française et libanaise. Résident en Suisse.
• 1980 : licence d’économie à l’Université Concordia de Montréal, après avoir passé une année à l’AUB.
1982 : MBA à la Columbia Business School à New York suivi d’un stage à JP Morgan.
• 2007 : il fonde Jabre Capital Partners à Genève.
1997 : Managing Partner à GLG Partners, une société de hedge funds créée en 1995 à Londres par Noam Gottesman, Pierre LaGrange et Jonathan Green.
1983 : Trader au sein de BAii, une banque chargée de fructifier les pétrodollars, détenue par des gouvernements du Golfe et des banques étrangères. Il travaille à Paris puis à Londres à partir de 1986.