Le phénomène des frontières ouvertes a rattrapé le secteur financier et les banques libanaises se retrouvent en concurrence sur leur propre marché avec les “majors” européens et américains.
L'ouverture des frontières s’est matérialisée par un engouement des banques étrangères qui ont montré un regain d’intérêt pour le marché bancaire libanais, notamment entre 1993 et 1996.
Trois structures
au choix
Les banques étrangères optent en général pour une de ces trois stratégies de pénétration du marché :
• D’abord, par le biais d’une implantation directe en créant leur propre structure appelée agence. Dans ce cas de figure, les capitaux sont à 100 % étrangers, ainsi que la nationalité de la société et son siège social. Le paysage se compose à l’heure actuelle de 16 banques étrangères opérationnelles au Liban, ayant des nationalités diverses.
• Dans le deuxième cas de figure, qui est le plus fréquent, les banques étrangères adoptent des stratégies d’alliances avec des banques libanaises en procédant à des prises de participation dans leur capital. À partir d’un certain degré de prise de participation, les banques ciblées deviennent des filiales. Ces partenariats avec des alliés stratégiques sont un atout de taille pour les banques libanaises. C’est un moyen rapide et efficace pour injecter du capital, bénéficier de leur savoir-faire et utiliser leur réseau mondial afin d’offrir les services de financement du négoce international.
On peut citer les exemples de la Société Générale Libano-Européenne de Banque (SGLEB), de la Banque Libano-Française (BLF) ou encore le cas récent de la Metropolitan Bank qui a été rachetée par la Standard Chartered Bank.
À la différence des agences, les filiales ont un capital social indépendant de celui de la maison-mère et ont leur siège social établi au Liban.
À ce même titre, la Fransabank maintient d’étroites relations avec le Crédit Agricole France et la DEG (German Investment and Development Company), alors que Saradar, cas à part, s’est alliée à l’IFC (International Finance Corporation, qui est la branche “investissement privé” de la Banque mondiale).
• Quant à la troisième alternative, c’est l’ouverture d’un bureau de représentation, qui cherche à promouvoir les relations entre la maison-mère et les institutions financières locales. Dans la plupart des cas, c’est un seul responsable qui tient le bureau et assure le reporting à la direction générale. Son rôle est de détecter les opportunités d’investissement, d’évaluer le climat économique général et de superviser les affaires des clients de la maison-mère, sans pour autant s’engager directement dans les activités bancaires.
La présence de ces grands noms témoigne donc d’un intérêt certain, mais pas d’une confiance totale. C’est une première étape afin de tester le marché avant de s’établir réellement... une fois que le climat économique et politique s’améliorera.
Cadre légal
Le cadre régissant l’activité de banque ou de société financière étrangère est défini dans des pamphlets publiés par la Banque du Liban (BDL). Les distinctions ont trait à la forme plus qu’au fond, et ces entités sont soumises au même titre que les banques libanaises au Code de la monnaie et du crédit.
Quant aux opérations spéciales (telles que les opérations fiduciaires, l’intermédiation ou le financement du moyen-long terme), elles sont soumises aux dispositions particulières de la BDL qui réglementent ces activités.
Ces institutions répondent donc aux mêmes conditions imposées aux banques libanaises telles que l’interdiction d’ouvrir des comptes en livres libanaises aux institutionnels non résidents, ou encore d’acheter des titres obligataires souverains émis par des pays hors de l’OCDE.
Par contre, elles ne bénéficient pas de l’autorisation de la BDL d’ouvrir deux agences par an, comme c’est le cas pour les banques libanaises : les demandes de licences se font au cas par cas.
Les officiels de la Banque centrale ont réitéré à plusieurs occasions leur volonté d’encourager la restructuration du secteur bancaire. Et celle-ci passe non seulement par des fusions à l’intérieur des frontières libanaises, mais également par la présence de banques multinationales.
Motivations à long terme
Quelque 4 millions d’habitants sont actuellement desservis par 74 banques à travers 617 branches. Pourquoi chercher alors à s’implanter dans un environnement aussi peuplé ?
On a toujours dit que le Liban disposait de certains avantages compétitifs qui seraient à l’origine de cet intérêt.
On peut citer en premier lieu la flexibilité de la législation libanaise en la matière. Ensuite, une stabilité monétaire sans faille depuis 1992.
Ces banques veulent également intercepter des fonds arabes ou libanais expatriés. Ces flux massifs de capitaux non résidents d’origine libanaise sont loin d’être négligeables, puisqu’ils contribuent à l’équilibre d’une balance des paiements structurellement déficitaire. D’un point de vue géographique, une présence au Liban leur permet d’avoir une ouverture sur les pays du Levant qui sont des marchés potentiellement intéressants en terme de volume tels que la Syrie, la Jordanie, la Palestine, ou l’Irak.
Mais surtout, elles choisissent le Liban, car c’est une place financière où la mobilité des capitaux est traditionnellement ancrée et où la qualité des ressources humaines est également reconnue.
Il faut cependant garder à l’esprit que les banques étrangères n’ont pas les mêmes objectifs ni les mêmes contraintes : elles sont soumises à des exigences de rentabilité strictes de la part des maisons-mère, alors que les banques locales ont des priorités stratégiques inhérentes au marché local. Ces dernières ont avancé quelque 14 milliards de dollars à l’État (d’ailleurs généreusement rémunérés) et quelque 12 milliards au secteur privé. Mais leurs ressources sont dans le court terme, alors que les besoins de financement de la reconstruction sont dans le long terme, d’où la nécessité d’avoir des banques spécialisées étrangères qui participent à des prêts syndiqués.
L’hypermarché
des produits
Banque de détail, banque commerciale, banque universelle, banque d’affaires, banque privée, banque spécialisée ou institution financière ?
Pour éviter la confusion dans ce jargon financier, on peut classifier les banques étrangères opérant au Liban par les types de produits qu’elles offrent. Il y a d’abord celles qui ont une stratégie de banque de détail (retail banking) : elles proposent les services de transactions bancaires traditionnels destinés aux particuliers et disposent souvent d’un réseau de branches. Dans ce créneau, les banques étrangères ont ouvert une brèche dans la banque classique en misant sur la qualité du service rendu au client plutôt que sur des taux alléchants.
Ensuite viennent les banques d’entreprises qui offrent à leurs sociétés clientes toute la gamme de produits et services financiers adaptés à leurs besoins (corporate banking). Leur clientèle de prédilection c’est d’abord les filiales de multinationales opérant au Liban, mais elles ciblent également les grands groupes libanais ayant une vocation régionale.
Certaines banques, comme l’ABN, la BNPI ou encore la HSBC, ont adopté des stratégies globales de développement en ciblant à la fois les particuliers et les sociétés. Élie Nahas, country manager de l’ABN Amro Bank, décrit la démarche de la banque néerlandaise qui préfère s’adapter aux exigences du marché dans lequel elle s’implante plutôt que d’importer des stratégies parfois inadaptées au marché libanais. «Nous sommes locaux dans chaque marché et nous importons uniquement les produits qui correspondent à la demande du marché».
D’autres préfèrent cibler le “corporate banking” comme l’ING ou la Citibank. La Commerzbank concentre son activité de bureau de représentation sur le financement du commerce d’entreprises allemandes exportant vers le Liban (Trade Finance). Gladson Douglas, directeur à la Banque Nationale du Canada, propose les services de “Global Private Banking” destinés aux clients particuliers fortunés désirant investir sur les marchés financiers internationaux.
Une banque d’affaires ne joue pas le rôle classique d’intermédiaire entre les agents économiques, mais se spécialise plutôt dans les activités où elle peut apporter une valeur ajoutée. Sa rentabilité est fondée sur les commissions (fee income) bien plus que sur les marges d’intérêt (interest income).
Son activité comprend les financements de projets, le placement garanti (underwriting), les prêts syndiqués, le montage et la gestion de fonds de placement, ainsi que les services de conseil (financement pour des sociétés privées ou conseil dans le programme de privatisation).
Les subsidiaires de banques étrangères arabes, européennes ou américaines sont bien positionnés pour s’engager dans ce type d’opération qui nécessite des fonds importants et implique des prises de risques dans le long terme.
La Commerzbank, l’Arab Bank ou la SGLEB ont participé à plusieurs financements de projets. D’autres comme Merrill Lynch ou Paribas ont géré les émissions d’eurobonds de l’État libanais.
Nous évoquons en dernier lieu l’activité des sociétés financières. Celles-ci ont des activités génératrices de commissions et offrent des services de courtage (actions, parts de fonds) ou de gestion de portefeuille. Elles distribuent certains produits montés par la banque d’affaires. Dans ce sens, la banque d’affaires se trouve sur le marché primaire (origination) alors que la société financière se trouve sur le marché secondaire (intermédiation).
Les sociétés financières étrangères présentes au Liban concentrent leurs activités hors du marché libanais. Ici se reposent les problèmes structurels (taille réduite et manque de réglementation) et conjoncturels (immobilisme de la Bourse libanaise) liés au marché local.
SCS Alliance Beirut SAL, Crédit Commercial de France SAL, ou Merrill Lynch sont des intervenants de ce type sur le marché international.
L’enthousiasme a faibli
Aujourd’hui, cet engouement des banques étrangères pour le marché libanais a faibli. Pour certaines de ces multinationales, l’expérience libanaise n’a pas été concluante, à l’exemple de la Nova Scotia (Canada) ou l’American Express (États-Unis) qui se sont récemment retirées du marché. Beyrouth semble avoir perdu son rôle régional, et les monarchies du Golfe ont réussi à développer leurs propres marchés bancaires et financiers performants et compétitifs.
Mais la présence de ces institutions étrangères demeure une nécessité, puisque les banques libanaises n’ont pas la taille critique ni l’expertise qui leur permet d’être des intervenants de premier ordre sur le marché international.
Mais face à cette concurrence de taille, les banques libanaises ont entrepris une profonde restructuration humaine et technologique. Elles ont diversifié la gamme de produits offerts (prêts à la consommation, phone banking, private banking, leasing, investment banking et brokerage). Elles élargissent leur horizon autant horizontalement (partenariat avec des institutions financières spécialisées, des compagnies d’assurances et des prestataires de services Internet) que verticalement (création de département de banque d’affaires ou de banque privée).
La modernisation et l’extension du cadre légal régissant le marché financier local engendrerait une prolifération de nouveaux instruments financiers élaborés (fonds de placement, OPCVM (Organisme de placement collectif de valeurs mobilières), fonds de pension, produits dérivés, titrisation….) et amènerait d’autres participants étrangers. Ces produits canaliseraient l’épargne nationale vers les secteurs productifs locaux. On peut citer certaines réalisations dans ce domaine, et notamment le système de cotation assisté en continu sur la Bourse de Beyrouth, la loi sur la fiducie et la récente promulgation de loi sur le leasing.
La concurrence internationale est acharnée et rien n’est acquis pour les banques libanaises. Les concurrents se sont bien établis physiquement mais aussi virtuellement à travers l’Internet…


