Quand la nuit tombe, la route bordée d’arbres située au pied de la colline de Rabié, à Antélias, a pour seul éclairage l’entrée des restaurants. Une petite dizaine y sont installés à l’instar du Keif, du Spot, du Yen, du Cascada…
L’engouement pour la rue Sawma Jaber, pourtant sans voisinage, débouchant sur l’autoroute, a commencé avec l’ouverture de Khaymet al-Saniour en mars 2000. Certes Antélias était réputée pour ses restaurants de renom, à l’instar d’al-Halabi, présent depuis 35 ans sur la place de la ville. Mais peu d’établissements offraient des repas si bon marché. Le ticket moyen d’al-Halabi est par exemple de 30 à 35 dollars, tandis que celui du Khaymet al-Saniour n’est que de 10 dollars. Ce restaurant à la structure légère qui peut accueillir jusqu’à 450 personnes a su séduire la clientèle. Situé à côté du centre Saint-Élie et des cinémas, l’emplacement est de choix. L’investissement initial du propriétaire Antoine Saniour était de moins de 100 000 dollars. Il a dû débourser à nouveau le même montant durant l’été 2008 pour rafraîchir les lieux et transformer Khaymet al-Saniour, considéré pendant huit ans comme une tente, en un restaurant fermé avec une immense baie vitrée. C’est l’arrivée des autres établissements qui a poussé le Saniour à ce coup de jeune. « Nous devions rénover les locaux pour séduire la nouvelle clientèle, de plus en plus importante, attirée par cette rue », explique Edy Fouany, le directeur de Khaymet al-Saniour.
Installé depuis six ans au fond de la rue, avec pour seul voisinage quelques bananiers, le Willow Garden constate le même afflux. « Nous recherchions un certain calme, et notre clientèle est fidèle. Depuis l’arrivée des nouveaux restaurants, elle se renouvelle », explique la direction. Le concept de ce café d’art est peu commun : tout y est à vendre. Sur une surface de 300 mètres carrés à l’intérieur et 150 mètres carrés à l’extérieur, des tables, fauteuils, ou encore assiettes, achetés dans des brocantes en France ou en Angleterre, accueillent le client en attendant un futur propriétaire. En six ans, l’investissement dans cet établissement, dont le ticket moyen est de 16 dollars, a dépassé les 600 000 dollars. Le succès est au rendez-vous. « Pourtant personne n’y croyait, surtout que nous n’avions fait aucune publicité. C’est le bouche-à-oreille qui a fonctionné », poursuit la direction du Willow Garden, qui ne souhaite pas que son nom soit cité.
Depuis, les restaurants se sont mis à pousser comme des champignons : la Cascada a ouvert quelque temps après, à côté du Willow Garden. Puis Le Yen, un peu plus loin, en mai 2007. Pour les propriétaires, qui parlent également sous le couvert de l’anonymat, « cette rue donnait une certaine notoriété à l’établissement ». Près de 400 000 dollars ont été investis dans ce restaurant d’une surface de 150 mètres carrés situé sur un terrain de 2 000 m2 loué à des particuliers pour un montant non communiqué. « Quand nous nous sommes implantés ici, nous cherchions un endroit situé entre Beyrouth et Jounié pour pouvoir attirer les deux types de clientèle que recèlent ces villes. C’était un coup de poker. »
Un pari parce que la rue, entourée de champs, était encore peu connue. Antélias est une région essentiellement résidentielle, peu exposée aux touristes. Mais, le succès est au rendez-vous et d’autres investisseurs se sont lancés dans l’aventure. Les propriétaires des parcelles profitent de cette nouvelle aubaine pour valoriser leurs terrains.
Tony Karam, qui était directeur adjoint de l’hôtel Le Royal de Dbayé, est maintenant le manager du café-restaurant Spot qui a ouvert en face de la Cascada et non loin du Yen, le 14 mars 2008. Les principaux investisseurs du Spot, Walid Abou Farah et Omar Halahil, n’ont pas hésité à débourser près de 400 000 dollars dans ce qui était au départ une boucherie. « Nous souhaitions un endroit nouveau, les gens veulent changer de lieu pour sortir. Et puis nous étions aussi à la recherche d’un endroit calme, à l’écart des problèmes politiques. Ce qui s’est passé en mai à Beyrouth ne nous a pas du tout affectés », poursuit Tony Karam. En outre, le fait que les charges soient moins élevées qu’à Beyrouth a également été un critère de choix. « Notre loyer est de 6 000 dollars par mois, dans la capitale, il aurait été de loin supérieur. La géographie de l’endroit nous permet de proposer des services de qualité à un prix abordable. » Le ticket moyen de cet établissement à la fois moderne et traditionnel est de 15 dollars : durant l’été, le restaurant d’une capacité de 320 personnes, terrasse comprise, affichait pratiquement complet tous les soirs.
L’arrivée du Keif, le 1er août 2008, a dynamisé davantage encore le quartier. Près d’un million de dollars ont été investis dans ce restaurant dont l’amortissement est prévu dans les deux années à venir, explique le directeur Imad Berberi, qui a été manager du Regency Palace à Jounié pendant près de 10 ans. Le terrain est de 1 400 mètres carrés, la capacité du restaurant de 320 personnes. Et le ticket moyen est compris entre 17 et 30 dollars. « L’ouverture de nouveaux établissements est une très bonne chose. Il n’y a pas de concurrence entre nous, chacun a sa propre clientèle », estime Berberi.
Un avis partagé par Michel Naccache, manager depuis 2003 du restaurant al-Halabi, situé sur la place d’Antélias avec une capacité de 250 personnes. Le chiffre d’affaires de l’établissement doyen du quartier « ne cesse d’augmenter ». Selon lui, l’ouverture de tous ces restaurants est une très bonne chose pour Antélias, car elle « pousse tous les établissements à améliorer leurs prestations tout en apportant une clientèle différente mais toujours de qualité ».
Au total, la capacité d’accueil des restaurants de la rue Sawma Jaber est supérieure à 1 200 personnes. Un chiffre important alors que le nombre de restaurants (une dizaine) reste encore limité. Contrairement à Gemmayzé, par exemple, la superficie des établissements d’Antélias est grande. Sur les deux dernières années, quelque 2,3 millions de dollars ont été investis dans l’ouverture de nouveaux établissements ou la rénovation d’autres. Et cela ne s’arrête pas là, l’ambition de tous étant de faire de la rue Sawma Jaber une destination à part entière.
De nombreux projets sont en cours. Les propriétaires du Yen, par exemple, ont prévu d’ouvrir deux autres établissements : un italien et un mexicain. Près de 400 000 dollars ont été investis dans chacun d’eux situés de part et d’autre du japonais. Il Sorrentino est encore en construction mais devrait ouvrir au début de l’année 2009. Quant au Carlitos Cantina y Bar, il prendra place dans une ancienne demeure.
Le succès de la rue Sawma Jaber fera-t-il de cette rue une concurrente des célèbres rues Gouraud et Monnot ?