Hamra fait partie des rues de Beyrouth, comme celles de Verdun, Badaro, Mar Élias ou Monnot, dont le nom a dépassé sa propre frontière géographique pour s’étendre aux perpendiculaires ou aux parallèles et inspirer la dénomination de tout un quartier. Mais Hamra dont l’origine du nom est controversée (certains disent qu’il vient de la famille Hamra, d’autres qu’il est lié à la couleur rouge des réverbères d’origine ou des briques des bacs à plantes, d’autres encore font référence à sa destination de nuit à l’instar du quartier rouge d’Amsterdam, le “Red Light District”) est peut-être la plus célèbre, puisqu’elle est considérée par beaucoup comme le cœur de Beyrouth, son poumon économique, commercial et culturel.
Plusieurs ministères, dont celui du Tourisme, de l’Économie, des banques, dont la Banque centrale, des librairies, les sièges de grands quotidiens, de nombreux immeubles d’appartements meublés et de petits hôtels indépendants, sans parler des cinémas ou des théâtres comme le fameux Piccadilly (aujourd’hui disparus), attirent des milliers d’habitants : Hamra séduit par sa mixité socioculturelle. Mais avant d’être un quartier, Hamra est surtout une rue commerçante autour de laquelle tout s’articule. Des centaines de magasins ou de petites échoppes de toutes sortes offrent aux riverains tout ce dont ils ont besoin. Cette effervescence a séduit les restaurateurs.
Hamra s’est rendue célèbre dans la région dès les années 1960-1970 pour ses cafés-trottoirs comme le Modka ou le Horse Shoe, qui attiraient les intellectuels. Mais elle a subi durement la guerre de 1975-1990 et ne s’en est pas relevée indemne.
Après la guerre civile, Hamra a perdu son statut de destination à la mode en termes de restaurants et de cafés, au profit des rues Verdun ou Monnot, de la rue Maarad, ou encore de la rue Gouraud. Ces dernières lui ont volé la vedette, alors qu’elles n’étaient pas naturellement destinées à devenir des lieux de sorties, contrairement à Hamra. La rue Monnot, par exemple, était une zone résidentielle avant de devenir la ligne de démarcation pendant la guerre civile. La rue Gouraud était, quant à elle, principalement occupée par des artisans et des commerces et très peu de restaurants.
Hamra a tardé à réagir. D’autant que, restée principalement une artère commerciale, elle a aussi été concurrencée à ce niveau par les rues Verdun et le centre-ville de Beyrouth. À la fin des années 1990, un projet de rénovation de la rue est mis en place et de longs travaux sont entrepris, qui s’achèvent en 2002. Ces travaux d’embellissement de la rue incluent l’infrastructure, l’installation de pavés sur la chaussée et de bacs à plantes tout au long de la rue.
Ce rythme de développement, plus lent qu’ailleurs, fait aussi son succès, car la rue parvient à préserver son caractère et sa mixité commerciale qui font aujourd’hui la raison de son succès. Hamra est devenu le nouveau quartier à la mode pour les restaurateurs, toujours à l’affût de nouveaux marchés.
« C’est à Hamra que tout se passe », n’hésitent pas à déclarer de nombreux restaurateurs installés depuis peu dans ce quartier de Beyrouth. Depuis quelques mois en effet, malgré un manque crucial de locaux et d’espaces disponibles, la rue est en train de retrouver sa notoriété d’antan.
« Les magasins les plus anciens (loués avant la loi de 1992 sur les loyers) sont bien souvent loués à des prix dérisoires, congestionnant l’offre, alors que la demande ne cesse d’augmenter », selon RAMCO, agence de conseil en immobilier.
Et la demande est tellement forte que la pratique du rachat du bail devient très fréquente, comme cela a été le cas pour Gemmayzé (Le Commerce du Levant, mai 2008). Sauf qu’à Hamra la demande est double : les restaurateurs et les commerçants se disputent les emplacements. Ainsi deux marques d’habillement ont repris les locaux des célèbres restaurant et café Wimpy et Modka des années 1970.
Ce n’est donc pas le loyer qui séduit à Hamra où il est souvent plus cher qu’ailleurs dans Beyrouth – entre le Costa et l’ABC Hamra, il atteindra les 700 à 800 dollars le mètre carré par an, contre 200 à 300 dollars le mètre carré par an rue Makdissi et près de 500 dollars le mètre carré par an à Gemmayzé – mais bel et bien son âme et son voisinage : « Il est possible de créer un lien avec la clientèle de Hamra, car contrairement à Gemmayzé, Hamra vit toute la journée attirant des habitués et pas seulement des personnes de passage », explique Samer Maroun, propriétaire du restaurant italien, Olio, situé rue Makdissi. Une constatation partagée par tous les restaurateurs interrogés.
Kabab Ji est l’un des premiers poids lourds à avoir pignon sur rue, à Hamra Square, où il s’est installé dans les années 1990. D’autres ont suivi, mais le plus marquant reste certainement Roadster, inauguré en 2007, en bas du Crowne Plaza. Dans un mouvement de mimétisme, qui caractérise le comportement des restaurateurs au Liban, les enseignes ont pullulé en quelques mois.
Les grands groupes de restaurants ont installé leurs enseignes comme Nando’s (groupe Webcor), Napolitana (groupe Pemiere Leisure, Boubess) mais aussi Costa (groupe Americana) en lieu et place du célèbre Horse Shoe, et Lina’s ou Starbucks, à Hamra Square.
Les restaurateurs indépendants ont aussi débarqué à Hamra comme Walid Ataya, en 2008, propriétaire de Bread Republic à Achrafié et Gemmayzé, selon qui il est « indispensable d’ouvrir à Hamra où l’affluence et le potentiel sont beaucoup plus importants qu’ailleurs ».
Contrairement à Gemmayzé qui n’a attiré que des restaurants-bars, dénaturant ainsi le caractère originel de la rue et la transformant petit à petit exclusivement en une destination de nuit, le pari de Hamra est de garder sa mixité et donc un équilibre entre commerces et restaurants.



Les décalés
Le développement de Hamra a surtout lieu dans le nord du quartier. Pourtant, deux cafés se sont installés de l’autre côté : le t-marbouta et le Café Younes.
Le premier est situé dans un lieu dit “coupe gorge” : au fond de la galerie de l’hôtel Pavillon, dans une rue perpendiculaire à la rue Hamra, mais vers le sud. Pour y accéder, il faut monter des escaliers et s’aventurer au fond d’une galerie sombre et peu attirante. Ouvert au lendemain de la guerre de 2006, le café de Bilal el-Amine et Abdel Rahman s’est transformé en centre d’aide pour les réfugiés durant le conflit contre Israël, fondant ainsi sa notoriété auprès des habitants du quartier. Depuis des concerts et des soirées thématiques, parfois engagés, y sont régulièrement organisés.
Le Café Younes, lui, est également dans une rue perpendiculaire à la rue Hamra, côté sud. Ouvert depuis 1935, il n’était au départ qu’un petit café terrasse. Depuis, il s’est agrandi. Maintenant, deux locaux non loin l’un de l’autre proposent des sandwichs, cafés et autres rafraîchissements aux riverains. Devenu l’une des plus belles terrasses ombragées du quartier grâce à sa proximité avec la rue commerçante, mais aussi son retrait, il accueille principalement des habitants du quartier, des artistes et des étudiants.