Quel regard portez-vous sur le marché libanais, dominé par les véhicules d’occasion ?

Carlos Ghosn – Le marché du neuf reprendra avec la normalisation économique. J’ai bien l’intention que l’alliance Renault-Nissan soit un acteur majeur sur ce marché. Il l’est déjà. Je suis personnellement satisfait de Nissan, qui occupe la première place au Liban et fait en sorte de mettre à disposition des Libanais des produits très attractifs avec des financements avantageux. Renault occupe actuellement la 5e place du marché, mais la marque a été nettement plus présente par le passé. Renault a bien progressé ces deux dernières années et nous avons un fort potentiel devant nous grâce à la nouvelle gamme de produits et le niveau de qualité. Je compte sur nos distributeurs locaux pour le faire savoir et pour répondre aux attentes des Libanais en matière de service.

Au Liban, est-ce que le véhicule électrique, que Renault développe, a un avenir ?

Bien sûr, mais il faut d’abord fiabiliser l’approvisionnement électrique, car si le soir les gens rentrent chez eux et ne peuvent pas recharger leur voiture, le concept ne fonctionnera pas. C’est donc pour l’instant un point faible. Car l’arrivée de la voiture électrique dans un pays nécessite une volonté politique forte. L’alliance Renault-Nissan donne la priorité aux pays et aux marchés où nous sentons une volonté de développer une offre de véhicules “zéro émission”. Concrètement, cela passe par la mise en place d’avantages financiers ou la création d'infrastructures comme des voies réservées aux véhicules zéro émission, comme cela se fait aux États-Unis.

Vous dites que le zéro émission est une rupture pour le secteur automobile.

Oui, parce qu'il ne s'agit pas de réduire les émissions de 20 ou 30 % ; il s'agit de produire des véhicules qui n'émettent pas du tout de CO2, ni de particules, ni d'odeur, ni de bruit. Notre approche est aussi en rupture, parce que nous voulons commercialiser nos véhicules zéro émission en masse. Le consommateur ne doit pas considérer l’achat d’une voiture électrique comme un sacrifice. Il faut que ce soit une bonne décision économique, environnementale et citoyenne. Les jeunes générations sont plus exigeantes après avoir constaté qu’à une époque, le gaspillage était réalisé sans se soucier de l'avenir.

Quelle doit être la technologie employée pour arriver à cette rupture ?

L’électrique est une solution, l’hydrogène en est une autre. Je ne vois pas l’hydrogène à court terme. Je le vois dans 10 ans avec des piles à combustible. Des prototypes fonctionnent bien, mais nous voulons, nous, que cela soit abordable en termes de prix. L’électrique est, pour l’instant, plus abordable. Nous voulons que tout le monde puisse acheter une voiture électrique, nous ne voulons pas en faire une niche pour clients fortunés ou pour des clients très tournés vers la préservation de l’environnement. Il faut que ce soit un choix pour tout le monde et qu’il soit économiquement rationnel. L’idée est de se dire : « Je fais une bonne affaire et en plus j’émets zéro émission. »

Comment pensez-vous que le marché de l'électrique va se développer ?

Le véhicule électrique ne va pas passer de 0 à 100 % du marché en quelques années. Nous pensons qu’en 2020, il fera 10 % du marché mondial. La demande est là, il faut que les capacités suivent. C’est le seul segment où il y a une demande, mais pas d’offres. Mon objectif pour répondre à cette demande est de proposer une voiture populaire accessible à tout le monde.

La crise a-t-elle été un facteur accélérateur d’investissement sur ce marché ?

Nous travaillons sur le véhicule électrique depuis de nombreuses années. Ce n’est pas une stratégie née avec la crise. Quand la crise est venue, nous nous sommes concentrés sur certains investissements, nous en avons éliminé d’autres. Sur l’électrique, la crise n’a ni retardé ni modifié nos objectifs. Je dirai que la crise nous a renforcé dans la conviction que c’est un produit d’avenir. Nous sommes les seuls à avoir annoncé des investissements capacitaires de cette ampleur. Nous nous sommes engagés il y a déjà longtemps et nous devrions donc être les premiers sur le marché, notamment dès l’année prochaine avec la Nissan LEAF et en 2011/2012 avec une gamme complète de véhicules électriques Renault.

À l’image du secteur financier qui tente de se redéfinir, pensez-vous qu’il y aura un avant et après la crise dans l’industrie automobile ?

Je n’ai aucun doute là-dessus. La crise n’a pas été neutre pour l’industrie automobile. Des constructeurs ont fait faillite, d’autres pourraient également être menacés si la situation devait se prolonger. Et la crise a également entraîné des tentatives de consolidation. Je pense que l’après-crise sera plus délicate pour les petits acteurs qui auront du mal à être compétitifs face aux gros constructeurs qui bénéficient d'importantes économies d'échelle. Pour nous, la question ne se pose pas. En 2008, troisième groupe mondial, l’alliance Renault-Nissan avec Avtovaz, notre partenaire en Russie, a vendu 6,9 millions de véhicules.

La tendance est-elle à davantage de consolidation ?

Oui. Cela se cristallisera sans doute après la crise. Ceux qui se sentent menacés vont chercher des alliances. Il y aura moins d’acteurs après la crise qu’avant. Mais il ne suffit pas de nouer des partenariats : les économies d'échelle ne s'obtiennent que si les entreprises parviennent à développer des technologies communes, partager des investissements et des plates-formes, faire vivre les échanges qui respectent l’autonomie des marques et des équipes.

Renault a connu un premier semestre 2009 difficile avec plus de deux milliards d’euros de pertes, notamment via vos participations extérieures. Cela ne remet pas en cause votre stratégie d’alliance ?

Non. Nous avons toujours dit que 2009 serait une année difficile. En étant une alliance, on cumule les difficultés de Renault, Nissan, Volvo et Avtovaz. Mais pour nous, l’alliance est une stratégie payante. On ne peut pas gagner tout le temps, il arrive qu’il y ait des trous d’air. Mais, vous verrez, Renault et Nissan s’en sortiront très vite et très bien.

Les incitations d’achat type primes à la casse soutiennent le marché automobile. Certains estiment que la période postprime sera celle de la déprime. Qu’en pensez-vous ?

Les primes à la casse ont beaucoup aidé pour empêcher que les marchés ne continuent à se dégrader. Le jour où ces primes s’arrêteront, il y aura un ralentissement des marchés. Mais nous nous félicitons que ce retrait en France se fasse de manière graduelle. Une fois les incitations terminées, la reprise économique devrait compenser la baisse du marché.

Quelle est la zone géographique qui représente selon vous l’avenir de l’industrie automobile ?

Sans aucun doute, la Chine. Elle est aujourd’hui le premier marché mondial. Renault n’y est pas présent, car c’est Nissan qui occupe ce marché et qui y progresse, avec une part de marché comprise entre 7 et 8 %. Renault, de son côté, investit entre autre en Inde et sur le marché russe via Avtovaz. L’autre priorité de Renault, c’est l’Europe et la reconquête de ses parts de marché. Mais, à côté du marché chinois, il ne faut pas oublier le marché américain qui après une année 2009 difficile est de retour. Il devrait redevenir le premier marché mondial dès début 2010. Il est passé de 17 millions à 9 millions de véhicules par an. Ce n’est assurément pas son niveau de demande naturelle.