Pour la première fois depuis 2004, une grande compagnie de croisières, l’armateur italien MSC, fera escale à Beyrouth en 2011. Le pays du Cèdre va-t-il prendre sa place parmi les grandes destinations méditerranéennes ? État des lieux d’un marché où tout reste encore à construire.

Il y a cinq ans, on pouvait encore voir accoster sur les quais du port de Beyrouth les paquebots des compagnies de croisières. Depuis les attentats de 2004-2005, le Liban s’est brusquement trouvé rayé de la carte des destinations méditerranéennes et le nombre de passagers enregistrés par le port a chuté de 48 600 en 2004 à 705 en 2007. Parmi la dizaine de grandes compagnies ayant déserté le pays, figure notamment le groupe italien Costa Croisières, présent depuis 1995, à raison d’une escale par an, ou encore l’armateur anglais Swann Hellenic, débarqué sur les côtes libanaises dans les années 2000. Côté américain, le navire de luxe Silversees effectuait lui aussi une escale annuelle, dont la dernière remonte à 2004. Mais à partir de cette date, les gros navires ont cessé de venir.
Ce n’est qu’en 2007 que la courbe du nombre de passagers enregistrés par le port chaque année a commencé à remonter pour atteindre péniblement les 6 300 visiteurs en 2009, soit 13 % par rapport au niveau de 2004. Si le ministère du Tourisme prévoit cette année l’arrivée de 2,4 millions de touristes, le secteur des croisières n’en est lui encore qu’à ses balbutiements. « Les compagnies de croisières doivent s'habituer au fait que le Liban n'est plus une destination dangereuse, explique le président du port de Beyrouth, Hassan Koraytem. Nous avons commencé à prendre contact avec les groupes MSC, Aida ou Costa Croisières pour les inciter à revenir. » MSC sera ainsi, en avril 2011, la première grosse compagnie internationale à faire escale au Liban depuis six ans. Les Libanais pourront désormais embarquer directement depuis Beyrouth et rejoindre un circuit qui devrait notamment englober Chypre, la Grèce ou encore la Turquie.
Les croisières proposées par MSC ont été conçues pour toucher un large public. Sur un même navire se côtoient des surfaces réservées aux enfants et un espace VIP, le “Yacht Club”. Également accessible à des budgets plus modestes, le coût d’une croisière MSC débute à environ 770 dollars par personne pour sept jours et peut facilement atteindre les 2 000 dollars pour peu que l’on se laisse séduire par la multitude de prestations offertes à bord. Piscines, salle de cinéma, bowling, majordome attitré sont autant de services susceptibles d’intéresser une clientèle libanaise friande de confort. D’autre part, cette nouvelle escale devrait également permettre de faire transiter quatre fois par an près de 1 400 passagers au pays du Cèdre, pour la plupart européens et américains. Les croisiéristes auront ainsi la possibilité d’effectuer un arrêt d’une journée sur le territoire libanais, et de visiter Byblos, Jounié ou encore Baalbeck. Une source de revenus non négligeable pour l'économie libanaise et les nombreux métiers du tourisme. « En faisant appel aux différents services touristiques (transports, guides, commerce, restauration), les visiteurs devraient dépenser en moyenne entre 25 et 30 euros par jour, soit 151000 euros environ, consommés directement sur le territoire libanais», prévoit Johnny Modawar, directeur marketing de Wild Discovery (affilié au groupe JRS Holdings), opérateur avec lequel MSC a récemment effectué un partenariat d’exclusivité sur la vente de ses croisières au public libanais.
La croissance du secteur des croisières pourrait donc être exponentielle dans les prochaines années. Mais pour l’heure, la question sécuritaire reste la principale cause de l’isolement du Liban par rapport aux autres pays méditerranéens. Dans l’imaginaire collectif, le pays du Cèdre reste un lieu d’affrontement. Tandis que du côté des assureurs, le Liban est toujours considéré comme un pays à risque. Une assurance annexe est ainsi requise pour tout bateau naviguant dans les eaux libanaises.
Enfin, le fait que le pays du Cèdre soit encore “techniquement” en guerre avec Israël a entraîné en avril dernier l’annulation par l’agence Club Med d’une escale au Liban, après que le voyagiste ait été accusé par des organisations juives de refuser, à la demande de Beyrouth, d'accueillir des passagers qui se seraient rendus en Israël. Une affaire qui aura encore contribué à stigmatiser le Liban. Des infrastructures prêtes
Hassan Koraytem assure qu'en ce qui concerne les infrastructures d'accueil de ces grands paquebots, véritables immeubles flottants, le port de Beyrouth est prêt. Il peut recevoir jusqu'à 400 000 passagers par an, soit trois bateaux par jour. Ce qui est peu au regard des grands ports méditerranéens, mais suffisant pour l'instant compte tenu de la demande. Proche de Beyrouth, le port de Jounié, aujourd'hui essentiellement tourné vers la plaisance et la pêche, pourrait s’agrandir et devenir un jour un point d'accostage pour les gros bateaux.
Quant à faire de Beyrouth, un point de départ pour les navires de croisières, on en est encore loin. Il n’existe à ce jour aucune compagnie proprement libanaise. L’expérience avait pourtant été tentée en 2005 par l’armateur Abou Merhi Airlines qui proposait des circuits d’une semaine au départ de Beyrouth vers Chypre et la Turquie, à des tarifs très accessibles. Avec son unique navire d’une capacité de 250 personnes, Abou Merhi semblait promis à un certain succès, jusqu’à ce que, rattrapé par la situation politique, il soit contraint en 2007 de vendre le bateau.
Si MSC s’arrête désormais au Liban, le pays ne reste qu’une escale et les Libanais désireux d’effectuer un circuit entier en Méditerranée doivent donc compter avec le prix du billet d’avion qui les emmènera vers les ports de départ turcs, chypriotes ou grecs. Car la Méditerranée reste sans nul doute la destination numéro un des Libanais durant la saison estivale. « Qu’il s’agisse de couples en voyage de noces, de familles avec enfants, de groupes d’amis ou seniors, chacun y trouve son intérêt : l’Espagne, les Canaries, la Côte d’Azur, l’Italie mais surtout la Grèce et la Turquie qui concentrent à elles seules près de 45 % de la demande » auprès de l’agence Wild Discovery, assure Johnny Modawar. Géographiquement proches, ces deux dernières destinations bénéficient de l’affrètement de vols directs depuis Beyrouth pour Marmaris, Antalya, Bodrum ou Rhodes.
Si les gros bateaux de croisières reprennent difficilement la direction du Liban, la mode du yachting semble plus rapide à se développer au pays du Cèdre. Selon Philippe Saad, fondateur et directeur de l’entreprise Eden Yachting, les demandes de location de yachts augmentent à grande vitesse au Moyen-Orient : « Près de vingt millions de dollars devraient être investis sur ce marché dans les cinq prochaines années dans la région. Au Liban, la vente de yachts a augmenté de 14,5 % et l’on s’attend à une hausse de plus de 20 % en 2010. » Présent dans 25 destinations, en Asie, aux Caraïbes, dans l'océan Indien, à Dubaï, Abou Dhabi ou encore dans le détroit d’Ormouz, Eden Yachting propose un service d’affrètement de yacht à la journée et s'est implanté au Liban en mai 2010. « Avec ses 220 km de côtes et ses trois cents jours de soleil, la demande de location de bateaux y est de plus en plus importante ; il y a ici un véritable marché à conquérir. » Pour l’instant, Philippe Saad affirme ne rencontrer aucune concurrence dans son domaine et jouit de la faiblesse des coûts de stationnement dans les ports : ils s’élèvent à près de 11 500 dollars par an pour un bateau de 20 mètres, soit trois fois moins que sur la Côte d’Azur.Au Liban, les bateaux qu’affrète Eden Yachting appartiennent à 90 % à des particuliers. Dans la plupart des autres pays où elle s’est implantée, l’entreprise fait surtout appel à des sociétés de location, comme Sunsail ou Dreamyacht, qui possèdent des flottes de 200 à 400 bateaux. Des opérateurs encore absents au Liban. Les marinas libanaises capables d’accueillir des embarcations allant de 12 à 30 mètres se comptent sur les doigts d’une main. Au Liban, il en existe quatre : Mövenpick, Solidere, la Marina Joseph Khoury et l'ATCL à Kaslik. À Byblos par exemple, l'un des sites les plus prisés par les touristes, le port est trop petit pour y faire accoster les yachts. De sorte que l’équipage a pris l’habitude de mouiller au large du complexe Eddé Sand où un zodiaque vient les chercher pour les ramener à terre. Là, ils passent le reste de la journée au bord des piscines à siroter des cocktails. Le yachting s’adresse principalement à une clientèle riche, férue d’expériences “VIP”. Il s’agit d’expatriés de 35 à 55 ans ayant bâti leur fortune à l’étranger, de riches Libanais ou d’Arabes venus du Golfe.