Le ministre de l’Economie, Mohammad Safadi, a réactivé jeudi un décret datant de 1972 qui plafonne les marges des commerçants de gros, de semi gros et de détail, pour toutes les catégories de produits.
Cette décision est présentée par le gouvernement comme un moyen de lutte contre la hausse des prix, des produits alimentaires surtout. Les commerçants de viande par exemple sont désormais obligés d’appliquer une marge inférieure à 5% en gros et à 10% au détail. Pour les fruits et légumes, frais et conditionnés, les marges autorisées varient entre 7% et 15%.
Sur le principe, cette mesure est « liberticide, et contraire à l’esprit de la Constitution dont le préambule stipule que notre régime économique est libre, et garantit la propriété privée et l’initiative personnelle », déclare le président de l'Association des commerçants de Beyrouth, Nicolas Chammas au Commerce du Levant. Pour lui, «une entorse à cette liberté essentielle ne peut être justifiée qu’en cas de guerre ou de pénurie».
Ce type de mesures a été appliqué pour la première fois au Liban durant la deuxième guerre mondiale, en 1942, et pour la dernière fois en septembre 1983, au moment de l’effondrement de l’économie et de la livre libanaise.
Aujourd’hui, cette mesure est « injustifiée », affirme-t-il car les tensions inflationnistes sont essentiellement externes. «Au niveau agricole, par exemple, des facteurs exceptionnels liés au climat ont limité les récoltes et entraîné une flambée des cours mondiaux, poursuit Chammas. Il y a également le facteur monétaire. L’euro a renchéri de 17% en cinq mois par rapport au dollar, or l’Union européenne représente 40% de nos importations. D’autres devises comme les dollars australien et canadien ou le yen japonais se sont également renforcées face au dollar. Même dans les zones dollarisées, come les pays du Golfe, les prix ont augmenté en raison de la hausse des prix du pétrole ».
Le représentant des commerçants reconnaît qu’il y a eu certains abus, « mais pas plus que dans d’autres secteurs, ajoute-t-il. Ce n’est pas une raison pour imposer des marges qui ne tiennent pas compte des réalités ».
D’autant que la notion de marge n’est pas clairement définie dans le décret.
Le texte publié au journal officiel indique que les « frais généraux » et les taxes ne sont pas inclus dans la marge. « Mais que veut dire « frais généraux » ? Est-ce que les frais de publicité et de marketing par exemple sont inclus ? », s’interroge Chammas.
Pour lui, la décision concerne les marges de bénéfices brutes c’est-à-dire la différence entre le prix de vente et le prix CAF (qui comprend les coûts d’importation, d’assurance et de fret).
Or, «les comptes d’exploitation des commerçants se sont déjà fortement détériorés ces derniers temps en raison de l’explosion des coûts, affirme-t-il. En les surchargeant davantage, l’Etat les pousse à licencier ou à mettre la clé sous la porte. Cela entraînerait alors une hausse du chômage et des prix. Cette mesure est contre-productive», affirme Chammas en soulignant que la seule solution pour baisser les prix est de «renforcer la concurrence, notamment en votant la loi qui a déjà été envoyée au Parlement.
D’autres mesures ponctuelles peuvent aussi être envisagées, comme une réduction des droits de douanes sur certains produits comme les légumes en conserves, taxés à 35%».
Ces arguments, les commerçants comptent bien les soumettre au ministre de l’Economie dans le cadre des rencontres prévues la semaine prochaine.
En derniers recours, ils pourraient d’ailleurs se tourner vers le Conseil d’Etat qui leur avait donné raison une première fois en 2008, lorsque Mohammad Safadi avait tenté de réactiver le décret annulé par son prédécesseur, Sami Haddad.
En attendant, les 150 contrôleurs de la direction de protection des consommateurs sont censés veiller au respect des marges imposées.


