Vingt ans après la fin de la guerre civile, ou en est l’économie libanaise ? L’état des lieux dressé mardi dans le cadre d’un séminaire organisé par l’Association économique libanaise ( Lebanese economic association- LEA) n’est pas reluisant.
« Le Liban peut s’enorgueillir d’avoir un PIB par habitant supérieur à 12000 dollars par an, l’un des plus élevés du Levant, a souligné le président de l’Association, Jad Chaaban. Le tourisme est en plein boom, et les ventes immobilières ont augmenté de 85% sur un an, à 6 milliards de dollars en 2010. Des tonnes d’articles ont également été écrits sur la résilience du système financier ».
« Mais 20 ans de reconstruction nous ont laissé avec une dette publique multipliée par quatre par rapport à 1990, et un chômage qui touche 25% des jeunes du pays. Un tiers de la population vit sous le seuil de la pauvreté, soit 60% de plus qu’avant la guerre. Chaque année, entre 15000 et 20000 libanais quittent leur pays, et la moitié des jeunes diplômés émigrent. La dépendance économique gagne du terrain, avec des importations couvrant plus de 90% des besoins alimentaires et énergétiques du pays. Mais le plus grave est que l’économie libanaise est plus ségréguée que jamais : trois libanais sur cinq préfèrent avoir des voisins qui leur ressemblent, une proportion plus élevée que celle des années de guerre. Et la discrimination à l’égard du demi million de résidents étrangers, Palestiniens et travailleurs étrangers inclus, n’a jamais été aussi importante ».
Pour Jad Chaaban, le modèle économique libanais a échoué à répondre aux attentes de la majorité de ces citoyens à cause d’une classe dirigeante, dans le public et dans le privé, qui a favorisé l’essor d’une « économie de rente, basée sur les transferts a l’étranger, au lieu de promouvoir une économie diversifiée et productive ».
Ce modèle a été forgé par les politiques monétaires, financières et fiscales menées depuis 1992, sans que ces choix ne fassent jamais l’objet d’un débat public, a déploré à son tour le ministre des Télécommunications, Charbel Nahas, en dénonçant le cycle dans lequel est plongé le pays depuis. Le niveau élevé des taux d’intérêts attire les capitaux qui soutiennent les importations mais augmentent les prix des actifs et l’inflation, et réduisent la compétitivité des secteurs productifs. Résultat : les jeunes émigrent et alimentent à leur tour les entrées de capitaux, a-t-il expliqué.
Pour l’économiste Toufic Gaspard, le problème se situe au niveau de la structure économique du pays.
« Si vous lisez le rapport de la mission française IRFED menée dans les années 60 sous le mandat de Fouad Chehab sur les conditions socioéconomiques du Liban, vous vous rendrez compte que rien n’a changé. Le Liban souffre toujours de fortes disparités de revenus entre les régions, car avec la même structure économique, on aboutit aux même résultats ».
Selon lui, il existe un schéma de développement que tous les pays ont suivis : une économie commence par s’appuyer sur l’agriculture, puis sur l’industrie, puis sur les services.
Mais dans les pays développés, la baisse des parts de l‘agriculture et de l’industrie dans le PIB résulte naturellement d’une hausse de la productivité, contrairement au Liban où la part de l’industrie est passée de 16 à 12% et celle de l’agriculture de 9 à 6%, à cause justement d’une faible productivité.
« Il y a eu un processus de désindustrialisation au Liban qu’il faut inverser », a affirmé l’économiste, en soulignant que la productivité du travail actuelle est inférieure à celle de 1974.
L’une des raisons qui explique le faible taux de productivité est l’éducation. « Il faut mettre fin au mythe selon lequel le Liban a un très bon système éducatif. Je ne parle pas des dépenses sur l’éducation, je parle de la qualité de l’enseignement fourni ». Pour lui, il faut absolument réformer le système, notamment dans le primaire.
L’autre problème se situe au niveau de l’infrastructure. Depuis 1990, l’Etat a dépensé 130 milliards de dollars, dont seulement 11% en investissements. L’économiste a ainsi appelé à accroitre les dépenses publiques dans les domaines de l’eau, de l’électricité, des télécoms, du transport, en insistant en particulier sur le projet de chemin de fer, qui contribuerait à rééquilibrer les régions.
Enfin, Gaspard n’a pas manqué de relever la responsabilité de la classe politique libanaise qui manque totalement de vision économique. « En quinze ans, il n’y a jamais eu de débat au parlement sur la dette publique », a-t-il déploré.
A ce propos, l’économiste a plaidé en faveur d’un plan de réduction de la dette publique en partenariat avec les parties concernées, notamment les banques « qui doivent faire un sacrifice ».
Soulignant la « relation incestueuse entre l’Etat et les banques », Gaspard a indiqué que moins de 22% des actifs bancaires sont redirigées vers le secteur privé, contre plus de 50% pour le secteur public, Trésor et Banque du Liban. Selon lui, la BDL a accumulé des pertes de plusieurs milliards de dollars depuis 2002. « A partir de cette date, la banque centrale a arrêté de publier son bilan annuel pour ne pas montrer ses pertes. Et personne ne s’est demandé pourquoi », a-t-il conclu.


