Spécialiste du marketing de luxe, Marie-Hélène Moawad Gougeon publie “Le luxe au Liban” (1), un ouvrage qui décortique le phénomène de la consommation ostentatoire et qui montre combien consommer, c’est être dans nos sociétés.
Qu’est-ce que la consommation ostentatoire ?
Le terme ostentation découle du latin ostentio-onis, qui est l’action de montrer avec insistance. La consommation ne se fonde pas uniquement sur des variables rationnelles. Elle s’apparente aussi à une quête de valorisation sociale et personnelle. Porter telle marque, c’est rendre visible son appartenance à un groupe, en se conformant à ses normes. La réussite sociale doit être manifestée ostensiblement pour être reconnue. Par exemple, au Moyen-Orient ou aux États-Unis, ou en Grande-Bretagne, les automobilistes s’intéressent aux plaques d’immatriculation personnalisées. Aux États-Unis, ces “vanity plates” se vendent très chères, entre 5 000 et 20 000 dollars. Elles sont aussi très convoitées au Liban et symbolisent souvent la réussite sociale de leur détenteur.
La consommation ostentatoire est-elle liée au seul univers du luxe ?
Elle ne s’y limite pas : porter une casquette Harvard relève de l’ostentation, mais pas du luxe. A contrario, un cigare cubain hors de prix, acheté “par plaisir” et fumé à la maison ne constitue pas un acte de consommation ostentatoire, car il n’y a pas une recherche de visibilité sociale. Le luxe ostentatoire véhicule l’image de réussite de son propriétaire. Au final, il est important de comprendre que cette quête de statut se fonde bien plus sur des signes que sur des objets ou des biens.
Quels sont les nouveaux marchés de la consommation ostentatoire ?
Certains pays émergents comme la Chine, l’Inde, le Brésil. Le Proche-Orient est aussi un marché prometteur.
Peut-on estimer ce marché ?
The Luxury Institute (États-Unis) estime que ce marché avait généré 840 millions de dollars en 2004 et qu’il devrait atteindre un milliard de dollars en 2010. La majorité des groupes de luxe connaissent des bénéfices à la hausse. L’ouverture récente de boutiques Hermès, Louis Vuitton, Christian Louboutin ou encore Saint-Laurent dans les Souks de Beyrouth l’atteste. Quant à estimer la part de la consommation ostentatoire par rapport au marché du luxe global, c’est presque impossible. Mais c’est suffisamment alléchant pour voir des marques se conformer à ses codes, en privilégiant des logos très visibles ou dans le choix des couleurs de leurs modèles, par exemple.
Est-ce un phénomène récent ?
La consommation ostentatoire a de tout temps existé. Elle est même attestée dans les sociétés “primitives”, comme les tribus indiennes aux États-Unis. Ainsi, les Kwakiutl prévoyaient une “cérémonie de potlatch” pendant laquelle l’hôte faisait la démonstration de sa richesse en offrant des cadeaux à ses invités. Il pouvait même détruire une partie de ses biens pour montrer combien il possédait ! Ce rituel était aussi une arme dans le jeu social de la tribu : les invités étant censés rendre l’invitation, on pouvait donc humilier un rival plus pauvre en l’invitant à un potlatch somptueux.
Y a-t-il une explication particulière de son importance au Proche-Orient ?
Les pays du Golfe restent des marchés nouveaux, dont la croissance a explosé de manière spectaculaire grâce aux pétrodollars. Aux Émirats, il existe donc une “jeunesse dorée”, qui jouit d’un important pouvoir d’achat, sans activités culturelles ou sociales.
Il existe aussi un trait culturel propre aux pays du Golfe : acheter cher et le montrer n’est pas mal vu au contraire des sociétés chrétiennes occidentales où étaler sa richesse peut être vécu négativement.
Le Liban répond-il aux mêmes caractéristiques ?
Non. Au Liban, les résidents jugent de la position sociale facilement : les membres se côtoient ou sont familiers avec l’ensemble du groupe. Mais il faut également tenir compte d’une seconde caractéristique : après une guerre, on assiste à de profondes mutations sociales avec, en particulier, l’émergence d’une nouvelle classe de nantis. Les “nouveaux riches” libanais tentent de reprendre les codes de l’ancienne aristocratie : leur mode de consommation se calque dessus. Enfin, les Libanais ont tendance à raisonner et à planifier leur vie à court terme. Ils sont friands de biens de consommation et s’attachent à certains d’entre eux, qui constituent pour eux les uniques objets “stables” de leur vie, exception faite de leur communauté et de leur famille. Ainsi, la consommation apporte sa dose d'euphorie passagère. Elle réduit l'inconfort et génère du plaisir. Les beach parties d’Eddé Sands où l’on s’asperge de bouteilles de champagne… Les soirées à Faraya où toute la jet-set libanaise se retrouvait pendant la guerre de 2006 sont des exemples de cette frénésie caractéristique aussi des “années folles” de l’après-guerre en Europe.
(1) Le Luxe au Liban : les facteurs explicatifs de la consommation ostentatoire au Liban, Éditions Universitaires Européennes, 126 dollars.


