La Bourse de Beyrouth, l’une des plus anciennes de la région, a connu ses heures de gloire dans les années 50 et 60 avant de fermer ses portes en 1983. Depuis sa réouverture, en 1996, c’est le calme plat. Des consultants français, mandatés par le ministère des Finances, se sont penchés sur les raisons de cette inertie. Ils proposent une série de mesures pour l’aider à décoller.
 

Avec une dizaine de compagnies cotées et une moyenne de 150 transactions par jour, la Bourse de Beyrouth figure loin derrière celles d’autres pays arabes relativement similaires, comme la Tunisie ou la Jordanie. La capitalisation boursière ne représente que 35 % du PIB au Liban, contre 55 % en Égypte, 75 % au Maroc et 150 % en Jordanie.
Le sous-développement du marché boursier s’explique par une multitude de facteurs macroéconomiques, culturels et institutionnels, affirme une étude réalisée par la société Arche Experts et financée par l’État français. « À l’origine, nous étions chargés d’évaluer le système électronique existant et de proposer une nouvelle plate-forme. Mais nous nous sommes très vite rendus compte que le problème de la Bourse de Beyrouth ne se situe pas seulement au niveau technologique », explique Bruno Lemière, directeur général d’Arche Experts.
Le problème qui se pose est celui du modèle de financement de l’économie libanaise, qui est une économie d’endettement, dans laquelle la composante personnelle est très forte : « S’il a besoin d’argent pour se développer, le premier réflexe d’un entrepreneur est de s’autofinancer, puis il se tourne vers la famille, les amis, ou son banquier qu’il connaît. »
Le défi consiste à amener les intermédiaires actuels – les banques – à encourager la désintermédiation, les marchés de capitaux étant une plate-forme anonyme où se déroulent des échanges sur la base d’anticipations de partenaires inconnus les uns des autres », résume Éric Bertrand consultant principal du groupe NYSE Euronext qui a participé à la mission Arche au Liban. « Le gouvernement libanais a officiellement la volonté de franchir ce pas, il y a un besoin réel sur le marché, mais ce besoin n’est pas forcément immédiat, car les banques libanaises trouvent depuis des années un mode de fonctionnement efficace qui repose sur les commissions d’intermédiation, notamment pour le financement de la dette publique. Elles sont cependant conscientes que ce modèle n’est pas durable et elles cherchent à en sortir. »
Pour ce faire, et préparer la transition « dès maintenant », les consultants français ont élaboré une série de recommandations articulées autour de quatre axes principaux.

1) Agir sur l’environnement culturel et institutionnel
La première série de recommandations consiste à créer un environnement culturel propice au développement de la Bourse. « Il faut un pilote dans l’avion, un promoteur de la réforme. En France, par exemple, c’est Pierre Bérégovoy, alors ministre de l’Économie, qui avait joué ce rôle, dans les années 80 », dit Éric Bertrand.
La mission Arche préconise pour ce faire la création d’un comité, composé de représentants du ministre des Finances, du Premier ministre et du gouverneur de la Banque centrale, dont la mission sera de faciliter la mise en œuvre des réformes nécessaires.
Parmi elles, la privatisation de la Bourse de Beyrouth. « Le développement de la Bourse ne peut se faire que s’il s’agit d’une entreprise répondant à une logique commerciale. Aujourd’hui, pour la moindre décision, comme par exemple une modification des tarifs, il faut passer en Conseil des ministres. »
Une autorité de marché indépendante doit également voir le jour, ainsi qu’une contrepartie centrale (Central Counterparty-CCP), un organisme qui assure la continuité des opérations et garantit les opérateurs contre le risque des autres opérateurs.
Parallèlement, la mission Arche suggère de lancer un programme d’éducation et de formation “ambitieux” à destination de tous les acteurs directs ou indirects de cette mutation : de l’homme de la rue aux banquiers, en passant par les journalistes, les régulateurs, etc.

2) Développer l’offre
Le deuxième axe des recommandations porte sur le développement de l’offre, la substance des marchés de capitaux, à savoir les sociétés cotées. « Aujourd’hui, étant donné la nature du tissu des entreprises libanaises, une cinquantaine de sociétés, tout au plus, sont en mesure d’être cotées », estime Éric Bertrand.
L’un des meilleurs moyens d’augmenter l’offre est de procéder à des privatisations, comme la France l’a expérimenté en 1983. Cela permet d’accroître la capitalisation boursière, d’attirer des investisseurs étrangers et de propager la culture de l’investissement boursier. En privatisant, « l’État apporte non seulement de la substance, mais il donne aussi un signal fort concernant la valeur de la société cotée, ce qui contribue à donner confiance aux investisseurs », explique le consultant.
Les entreprises publiques libanaises étant peu nombreuses, la privatisation ne suffira pas à faire décoller la Bourse de Beyrouth. Elle devra s’accompagner d’un travail de longue haleine auprès des petites et moyennes entreprises pour les aider à atteindre une taille critique à travers des pépinières d’entreprises, ou des restructurations de capital. « Les banques locales, qui connaissent bien le tissu industriel, doivent jouer un rôle actif pour développer le capital investissement (private equity) », souligne Éric Bertrand, qui, en la matière, suggère de s’inspirer d’expériences réussies, notamment en Italie. La structure de la Bourse peut aussi être adaptée pour répondre aux besoins des PME. En tout cas, la Bourse de Beyrouth devra se doter d’une direction commerciale chargée de promouvoir la cotation.
« Il faut une équipe dédiée pour expliquer les avantages du recours aux marchés de capitaux que ce soit en termes de transmission pour les sociétés familiales, ou de régionalisation : la valorisation boursière est un atout en cas de fusion, d’acquisition, ou d’ouverture de capital aux investisseurs étrangers », affirme le consultant. Des incitations fiscales peuvent également être envisagées et les entreprises détenues par des Libanais à l’étranger, notamment en Afrique, doivent être approchées.
Parallèlement aux efforts destinés à convaincre des sociétés de se faire coter, l’un des moyens qu’ont trouvé les pays faiblement industrialisés pour augmenter leur offre boursière est de proposer des produits négociables, dont les émetteurs ne sont pas des entreprises, à l’instar des Exchange Traded Funds-ETF. Il s’agit de produits dérivés qui s’appuient sur des instruments liquides, comme des indices.
Autre façon d’étoffer l’offre : intégrer la Bourse de Beyrouth à un réseau régional afin de créer des “pools de liquidité”. L’option est techniquement possible, six bourses arabes utilisant le même système électronique d’échange, cependant elle semble peu réaliste à court terme, note Éric Bertrand.

3) Soutenir la demande
Pour soutenir la demande, le marché a besoin d’investisseurs institutionnels qui prennent des positions à long terme et peuvent jouer un rôle contre-cyclique en cas de problème.
« La présence d’un investisseur institutionnel de qualité, la Sécurité sociale, explique en grande partie le succès de la Bourse de Amman », témoigne le consultant. Au Liban, il suggère de compter sur la CNSS ou Intra, dont les statuts sont adaptés à cette mission.
Des schémas d’épargne à long terme doivent aussi être développés, comme des plans d’investissements, des plans d’assurances-vie, des fonds de pension, des plans d’épargne salariale, etc.

4) Inciter le secteur bancaire à élargir ses métiers
Le quatrième axe des recommandations concerne le secteur bancaire. Il est à la fois le plus délicat et le plus important, car les banques seront un acteur essentiel du changement. « Elles jouent un rôle central dans le financement direct de l’économie. Il faut les inciter à se réorienter vers d’autres métiers, comme le capital investissement (private equity) ou la gestion d’actifs. »  
Les banques libanaises exercent, quasi exclusivement, le métier traditionnel d’intermédiaire, qui consiste à lever des dépôts, accorder des crédits et se rémunérer grâce aux marges. Selon la mission Arche, les marges d’intermédiation, c’est-à-dire les revenus provenant des intérêts, représentent entre 70 et 80 % du produit net bancaire libanais. Par comparaison, ce ratio est tombé en dix ans en France de 90 à 40 %, lorsque s’est opérée la grande phase de désintermédiation financière dans les années 1980. « Des tiers pourraient contribuer au développement des marchés de capitaux, mais les banques elles-mêmes ont beaucoup d’atouts pour être les actrices de cette évolution : elles sont les liquidités et, surtout, la connaissance du tissu industriel du pays. »
Les consultants français estiment que la Banque centrale doit encourager cette mutation en favorisant le développement des banques d’investissements, ou du moins en dynamisant la douzaine d’établissements existants. 
Pour cela, l’étude propose à la Banque centrale de fixer des objectifs en termes de marges d’intermédiation et de mettre en place un système d’incitations à travers des avantages fiscaux ou des exonérations de réserves obligatoires. « Grâce à la part des marges d’intermédiation, il existe des moyens de mesurer le modèle pour évaluer les modifications en cours. »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le projet de loi sur les marchés financiers bientôt en commission mixte

Le projet de loi sur les marchés financiers, approuvé par le gouvernement en 2006, a été amendé par le sous-comité issu des commissions parlementaires mixtes et remis au secrétariat général du Parlement.
« Nous avons apporté quelques amendements au texte, en prenant en considération les secousses subies par les marchés internationaux ces deux dernières années en raison de la crise, a indiqué le président du sous-comité chargé du dossier, Yassine Jaber. Nous avons, par exemple, renforcé l’indépendance de l’autorité des marchés prévue dans la loi, sans pour autant empiéter sur le rôle de la Banque du Liban. ».  
Le sous-comité a également étudié le projet de loi sur l’usage personnel d’informations privilégiées, ou délit d’initié, et amendé quelques articles pour « l’aligner aux législations internationales », a-t-il ajouté.
Selon lui, le président du Parlement, Nabih Berry, a promis de soumettre ces deux projets aux commissions mixtes, puis à l’Assemblée plénière dans les plus brefs délais.