De passage à Beyrouth, le journaliste anglais, expert en vin, David Cobbold, en a profité pour faire le tour des vignobles du Liban. Après une dégustation à l'aveugle d'une quarantaine de bouteilles à Beyrouth et plusieurs jours sur les routes de Batroun ou de la Békaa, il livre ici ses premières impressions.

Vous étiez venu en 1996 à Beyrouth pour une visite à Château Musar, auquel vous consacriez un chapitre de votre livre "Les plus grands crus du monde", quels changements remarquez-vous aujourd’hui ?

A l’époque, Musar faisait figure de pionnier avec deux ou trois autres caves comme Ksara et Kefraya. Aujourd’hui, beaucoup de nouveaux domaines ont émergé. On en compte au moins une trentaine.  Et ce qui est peut être plus intéressant, de petits domaines – ce qu’on appelle des « boutique wineries » avec une production de 15 à 50 000 bouteilles par an. La gamme de vins vendus est plus large, l’approche plus variée.
 
Vous avez  testé une trentaine de vins rouges pendant une dégustation à l’aveugle organisée pour vous par Le Commerce du Levant, qu’avez-vous noté ?
J’ai été surpris de la bonne voire de la très bonne qualité des vins rouges présentés. Ce qui m’impressionne, c’est l’équilibre des vins. Il s’agit bien sûr de « vins du sud », mais, dans la plupart des cas, ils conservent une très nette fraîcheur en bouche. Même quand le niveau d’alcool est élevé, ils maintiennent une fin acide qui contrebalance l’effet massif.
 
Une douzaine de vins blancs étaient également présentés pendant cette dégustation à l’aveugle, qu’en avez-vous pensé ?
Les blancs m’ont semblé bien plus faibles que les vins rouges, avec quelques exceptions notables comme Rêve Blanc 2009 de Château Khoury. J’ai aussi été très impressionné par deux blancs du domaine Wardy : Private Selection 2005, un assemblage de viognier, de muscat petit grain et de muscat d’Alexandrie. Je le conseille en apéritif. De Wardy toujours, la cuvée Perle du Château 2008, un chardonnay vieilli en fût de chêne m'a beaucoup intéressé.
 
Après votre dégustation, vous avez fait le tour de plusieurs vignobles, de Batroun, à Bhamdoun en passant par la  Békaa. Quelles conclusions en tirez-vous ?
La notion d’identité du vignoble libanais ne me semble pas encore assurée : les cépages sélectionnés et le style de vinification sont assez similaires d’un domaine à un autre, d’une région à une autre. Ce qui tend à une certaine homogénéisation.
Aujourd’hui, rien ne distingue un vin de Batroun d’un vin de la Békaa.  Pour se différencier, il faut trouver les moyens d’élaborer un vin qui exprime son « terroir ». C’est pour cela que la démarche d’Adyar, la cave des moines maronites, qui valorise de sites spécifiques associés à leurs monastères via leur gamme "Expression" est intéressante. 
Mais c’est aussi tout l’enjeu de la création d’une ou de plusieurs AOC (Appellation d’origine contrôlée) au Liban.
 
Pensez-vous que certains cépages sont encore mal exploités au Liban ?
Je serai curieux de connaître l'adaptation du grenache dans la Békaa. Le mourvèdre, un cépage originaire d’Alicante (Espagne), que l’on rencontre dans les Bandol ou les Châteauneuf-du-Pape, me semble avoir un énorme potentiel au Liban. En particulier dans la région de Batroun. Mais, encore une fois, il faut trouver la bonne relation entre sites et cépages. Le mourvèdre, par exemple, a besoin de la présence d'une brise marine pour prospérer. Ce qui n'est pas le cas partout, même  dans la région de Batroun.
 
La plupart des domaines libanais ont choisi de s’appuyer sur la diaspora pour exporter leur production. Est-ce, selon vous, une bonne solution ?
Les vins libanais méritent mieux que cette niche. Ils ont un atout essentiel : c’est dans cette région que se situe l’origine du vin. Pour preuve, la découverte récente de la plus ancienne cave en Arménie. Ou l’inscription sur un tombeau de la Vallée des rois (Egypte) où on lisait « Vin noir du Mont-Liban » et une date : 1700 avant J.C.
Nombre de vins libanais ont, en plus, les qualités nécessaires pour se mesurer de manière concurrentielle aux vins du reste du monde dans un registre moyen voire haut de gamme.
 
Mais le vin libanais pâtit d'un déficit de notoriété, comment  le faire mieux connaître ?
C’est là qu'une association de tous les producteurs joue normalement son rôle. Les vins d’Australie, du Chili ou d’Afrique du Sud ont gagné des parts de marché grâce à une forte promotion collective. Ce même travail est à réaliser au Liban. Ensuite seulement des domaines peuvent se démarquer, une fois que le public reconnaît la qualité des vins libanais.
 
Les notes de dégustation de David Cobbold sont notamment disponibles sur son blogmorethanjustwine