Une des décisions de l’accord de Taëf (1989) était de créer un Conseil économique et social.
Un décret-loi a été promulgué à cet effet en 1995, mais il a fallu attendre janvier 2000 pour que ce Conseil voie effectivement le jour. Après la nomination des 72 membres (10 par le gouvernement
et les autres par les différents syndicats), le bureau du Conseil, formé de neuf membres,
a été élu le 12 février avec comme président Roger Nasnas.

Roger Nasnas est un homme d’action qui se dit prêt à limiter le temps imparti à ses activités professionnelles et se libérer de toutes autres responsabilités pour se consacrer au Conseil économique et social.

Maintenant que les manœuvres électorales sont terminées, vous avez le sentiment d’être le représentant de quelle partie ?
Les manœuvres électorales terminées, nous sommes installés, maintenant, dans un climat amical. Nous avons tenu, le 15 février, notre première réunion chez Samir Doumit (à l’Ordre des ingénieurs), d’une façon très conviviale et très efficace. Nous sommes tous mus par un même intérêt, ayant accepté la mission de faire réussir ce CES. Je représente de facto tout le monde. Je veux défendre les intérêts de la société civile.

Et quelle est la perception des autres membres ?
Il y a eu trop de tension préélectorale, mais, croyez-moi, le jour des élections, nous avons découvert un climat de confiance entre les différents membres de ce Conseil. Il aurait fallu peut-être nous connaître avant davantage.
Le fait que vous ayez été nommé par le gouvernement, cela vous semble-t-il comme un handicap ou au contraire un atout ?
Le fait d’avoir été désigné par le gouvernement représente certainement un atout essentiel, parce que notre rôle est de dialoguer avec le gouvernement, de faire accepter les idées du CES, de proposer et de faire aboutir des études élaborées par ce Conseil. Le fait d’avoir été nommé par le gouvernement ne signifie pas que je suis le représentant du gouvernement. J’ai été proposé pour mes compétences et mon expérience dans les associations patronales, professionnelles et sociales. J’ai été pendant 9 ans président du RDCL (Rassemblement des chefs d’entreprise libanais). Et ce dernier a élaboré des études concernant l’économie nationale, une politique sociale et aujourd’hui il cherche le moyen de retrouver dans nos entreprises productivité et compétitivité. De plus, le social m’a toujours passionné.

Les représentants des autres corps de métier ou syndicats vont revenir probablement à leur base respective, lorsqu’il s’agit de prendre une décision importante. Vous-même, qui allez-vous contacter ?
Je suis là, en tant que président, pour animer, rapprocher, synthétiser et arbitrer les différents points de vue.

Il semble qu’aucune enveloppe financière n’ait été prévue dans le budget 2000 pour le fonctionnement du Conseil. D’où va provenir l’argent ?
Le budget du Conseil économique et social n’a pas été discuté. L’article 20 du décret de création du Conseil stipule : «Les dépenses du Conseil sont prévues à travers un chapitre du budget affecté au Premier ministre». Nous n’avons encore aucun ordre de grandeur. Le choix du local, le personnel administratif… varieront certainement en fonction de ce budget. Les membres du Conseil vont travailler à titre gracieux, sans aucune rémunération. Seul le directeur général nommé par le gouvernement percevra des émoluments.

Est-ce que vous avez une estimation du coût de fonctionnement au moins pour cette période de démarrage ?
Nous allons contacter le Premier ministre pour voir avec lui sur quelle base financière nous allons fonctionner. Nous allons lui proposer un budget et également réclamer une avance du Trésor pour les besoins urgents. Dans cette période d’austérité, nous savons que nous ne pouvons compter sur un montant très important. Mais il est évident que le CES doit avoir une administration qui lui permettra de démarrer rapidement. Si nous n’avons pas les fonds nécessaires, nous nous retournerons vers les institutions internationales qui pourraient nous aider dans l’élaboration de certains projets.
Nous devons, cependant, être prudents et diplomates dans notre approche avec le gouvernement et ne pas empiéter sur le rôle des autres responsables. Notre rôle sera, si l’on peut dire, celui d’un ministère du Plan car, dans le pays, on s’est toujours plaint de l’absence d’une politique économique et sociale.

Comment allez-vous procéder ?
Nous allons d’abord définir les règles du jeu. Nous avons besoin, en priorité, d’établir notre règlement intérieur, de choisir un local, de définir un budget, de connaître le directeur général qui doit être nommé incessamment, d’établir la structure administrative du fonctionnement du CES. Nous allons ensuite nous faire assister par des experts compétents dans divers domaines pour nous atteler à la tâche, le plus rapidement possible. Tout le monde réclamait un Conseil depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, il est là.

Quelle est sa mission ?
La première mission est d’entretenir et même de pousser le dialogue entre les diverses composantes de la société civile. Jusqu’à présent, chacun essayait de tirer la couverture vers son secteur. Dans le cadre du CES, nous allons apprendre à réaliser «quelque chose» (quitte à faire des concessions) pour aboutir à un consensus national. La seconde mission est de proposer à l’État des projets, de renforcer le dialogue entre le secteur privé dans toutes ses composantes (la société civile) et l’État libanais.

De quelle façon ?
Pratiquement, cela se fera de deux façons. Soit le Conseil est saisi par le Premier ministre de projets spécifiques – à caractère urgent ou non – qu’il devra étudier. Soit il effectue une autosaisine de projets économiques et sociaux dont il voudrait débattre, Pour être saisis, ces projets doivent obtenir l’approbation des 2/3 des membres. Les travaux se feront en commissions. Nous sommes en train de définir un règlement intérieur pour le fonctionnement des commissions. Nos débats se font à huis clos et les décisions seront adressées au Premier ministre qui devra les publier au Journal Officiel.

N’y aura-t-il pas concurrence, double emploi, entre ces commissions et les commissions parlementaires ?
On en discutera plus tard, dans quelques mois, le temps de modifier les textes. Nos décisions consultatives constituent un ballon d’essai. En cas d’étude d’une loi, par exemple, au lieu que le projet soit lancé dans la presse et que l’on rapporte les réactions positives ou négatives d’une personne concernée, d’un syndicat, d’une association, le débat aura lieu chez nous. Le CES sera la caisse de résonance de la société civile, puisque toutes les parties civiles y sont représentées. De cette façon, l’élaboration des lois serait améliorée.
Aujourd’hui, notre cheval de bataille est le livre du RDCL intitulé “Comment retrouver la compétitivité et la productivité des entreprises libanaises”. Nous l’offrons en cadeau au CES.
Comme tout, ou presque, touche à l’économique et au social, de près ou de loin, avez-vous l’impression que c’est une lourde tâche qui vous attend ?
Nous avons toujours réclamé de l’État une politique économique et sociale. Nous avons très souvent réclamé des projets spécifiques, comme l’assurance vieillesse, un plan d’hospitalisation… La tâche est lourde, nous en sommes conscients, mais il ne faut pas oublier que nous démarrons de zéro. Nous n’avons rien : ni local ni budget… Nous avons juste un texte de loi. Partant de là, nous voulons montrer que le secteur privé est consciencieux, capable et efficace et que ce sont ses composantes qui vont aider à développer l’État libanais.

N’y aurait-il pas une frustration quelque part lorsqu’on sait que vos décisions, en tant que Conseil, ne sont que des recommandations qui peuvent être tout simplement ignorées par le pouvoir exécutif ou législatif ?
Le Conseil économique et social n’est qu’un organisme consultatif. Nous aurions souhaité que nos décisions soient exécutoires. Mais nous ferons tout pour que nos suggestions soient prises en considération. Si elles sont logiques, bien étudiées, équilibrées, il n’y a aucune raison pour que les pouvoirs exécutif et législatif n’en tiennent pas compte. Pour réussir, il faut être prudent et diplomate. Je pense qu’une modification du décret est nécessaire, notamment le règlement intérieur et ce qui concerne l’autosaisine qui ne peut être prise qu’à la majorité des deux tiers… Nous allons nous inspirer d’études déjà faites, de l’expérience d’autres pays.

L’absence de statistiques est-elle un handicap ?
Il existe, même en l’absence de statistiques, dans certains bureaux privés ou à l’échelle de la CCIB et autres organismes, des indicateurs et des chiffres qui nous permettraient d’aller de l’avant. Si les données sont inexistantes, on peut toujours recommander une enquête.

Si vous aviez à choisir le premier thème à débattre, quel serait-il ?
Je voudrais rehausser le dialogue socio-économique. Je souhaiterais moderniser les PME, sensibiliser l’État, restructurer la classe moyenne. Mais je serai très prudent dans mes démarches. Je suis surtout pour le consensus.Premier commentaire Le CES peut-il réussir? Le Conseil économique et social, institution prévue par la Constitution, réclamée à maintes reprises par des instances politiques et économiques, a enfin vu le jour. Mais dans quelles conditions ? Cette institution, dont il avait été question durant les gouvernements précédents, avait été retardée pour plusieurs raisons ; à cause des conflits des organes qui souhaitaient être représentés au sein du Conseil, mais essentiellement pour des raisons politiques. En effet, certains ne voulaient pas d‘une voix consultative qui pourrait s’ajouter à – ou supplanter la voix des organes économiques. Le gouvernement Hariri, et surtout l’ancien Premier ministre lui-même, ne dissimulait pas son manque de conviction envers cette institution, qu’il qualifiait parfois de “propagande politique”. Selon ses collaborateurs, M. Hariri croyait plus à des instances comme le CDR, ou des centres réduits de décision, pour le débat et l’étude des solutions aux problèmes de l’éducation, de la santé, de l’économie.

Un rôle d’arbitre

Le gouvernement Hoss et le chef de l’État, fidèles à leurs engagements d’appliquer la Constitution, ont tour à tour établi le siège indépendant du Conseil des ministres et mis à jour le Conseil économique et social.
Le scepticisme des uns, précédant la naissance du Conseil, était contrecarré par le désir des autres d’essayer “quelque chose de nouveau” face à l’immobilisme économique, et le manque de dynamisme dans l’établissement d’un plan économique et social, qui ferait suite au plan Corm d’assainissement financier.
Mais, en matière économique, les problèmes confessionnels et politiques pouvaient-ils être surmontés ? Les tiraillements syndicaux, la compétition de personnes pouvaient-ils céder la place à l’intérêt commun ?
Les conflits qui ont vu le jour avant et pendant la tenue des élections ont porté certains à considérer cette instance mort-née, suite, disent-ils, à l’intervention de l’État, et face à l’opposition notamment de MM. Abourizk et Sarraf à cette intervention qui les empêchait d’exécuter un accord électoral devant leur assurer une coprésidence. D’autres souhaitaient confier la présidence à une personnalité indépendante, unanimement acceptée des syndicats, du patronat et de l’État, pouvant jouer le rôle d’arbitre.

Laisser le temps
à l’engrenage

Mais ce qui est fait est fait et les élections ont permis au Conseil exécutif de voir le jour, avec à la tête du Conseil une personnalité grecque-catholique, dont la communauté revendiquait la présidence, Roger Nasnas, un des représentants de l’État au sein de l’assemblée.
M. Nasnas, président démissionnaire depuis du RDCL, a été élu avec un Conseil représentatif, mais divisé au vu du résultat des élections. À ce Conseil de manœuvrer, dans des conditions difficiles, étant donné le bras de fer ayant précédé l’élection du Conseil exécutif, la politisation des instances économiques et notamment syndicales, et surtout au vu de la situation économique, sociale et financière qui rendent toute marge d’action limitée.
Si cette instance réussit à centrer les débats et problèmes, les élaborer de façon claire, si elle a les moyens de participer à l’élaboration des dossiers sur l’ouverture des frontières économiques pour défendre les intérêts du Liban, si elle crée le lien avec les puissantes organisations commerciales, industrielles et syndicales pour canaliser les dossiers vers le gouvernement, sa création aura été utile.
Il faudra dans un premier temps laisser le temps à l’engrenage de tourner et aux tiraillements de s’estomper, avec l’espoir que ce Conseil sera un organe d’union et non de division.