Une étude du groupe de recherche sur le contrôle du tabac de l’Université américaine de Beyrouth (AUB) démontre qu’une hausse de 140 % des taxes sur le tabac rapporterait 127 millions de dollars à l’État libanais, soit 52 % de plus qu’actuellement. Cela mettrait aussi le Liban en position de respecter son engagement auprès de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) en 2005 : le pays avait accepté d’instaurer des mesures financières et fiscales visant à faire baisser la demande de tabac et à améliorer la prévention.
Au Liban, les taxes constituent 30 à 50 % du prix de vente (1,6 dollar le paquet), contre 70 à 80 % dans les pays à revenus moyens supérieurs (2,5 dollars le paquet), alors que la consommation mensuelle, l’une des plus élevées du monde, atteint 12 paquets par personne, soit trois fois plus qu’en Syrie et 12 fois plus qu’à Singapour.
Pour réduire la consommation, l’AUB explique qu’en augmentant de 140 % le prix des cigarettes locales et importées, la consommation des marques locales Byblos et Cedars (qui ont 20 % du marché environ) diminuerait de 92 %, celle des cigarettes importées de 7 % et celle de tabac à narguilé de 26 %. Le tabac local serait davantage affecté par la hausse des prix du fait de sa mauvaise qualité. Jad Chaaban, qui a dirigé l’étude, explique : « Avec l’augmentation, les différences de prix vont se réduire, ce qui va pousser les gens vers du tabac de meilleure qualité. » Le prix du paquet passerait à 1 250 livres (0,8 dollar) pour les marques locales, à 4 750 livres (3,2 dollars) pour les marques importées et à 4 000 livres (2,6 dollars) pour le tabac à narguilé.
Nisreen Salti, économiste et collaboratrice de l’équipe de recherche, explique qu’en augmentant les taxes sur le tabac, « l’effet de la hausse des prix sera plus fort que la baisse de la consommation induite, l’impact du revenu net sur les finances publiques sera donc positif ».
Selon une précédente étude du groupe de recherches de l’AUB, le tabac a coûté 55,4 millions de dollars à l’État en 2008 : les revenus fiscaux qu’il en a tiré et les gains réalisés par la Régie (l’organisation étatique chargée de réguler le commerce extérieur et les aides aux agriculteurs) sont en effet inférieurs aux subventions aux agriculteurs mises en place dans le cadre d’un programme de soutien des paysans du Sud, ainsi que des divers coûts du tabac sur l’environnement et la santé.

Des mesures antitabac nécessaires

Les pouvoirs publics ont commencé à mettre en œuvre une politique de lutte contre le tabagisme, mais elle est encore embryonnaire. Des doutes planent encore sur l’application prévue en septembre de l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Cette mesure a été votée en septembre 2011 par le Parlement dans le cadre d’une loi interdisant aussi la publicité pour le tabac et le sponsoring (depuis mars 2012), et imposant pour le distributeur de mentionner à hauteur de 40 % de la taille du paquet de cigarettes les problèmes de santé encourus par le fumeur.
Aucune mesure fiscale n’est prévue dans la loi. Un précédent a en effet échaudé les esprits : en 1999, le gouvernement avait augmenté les taxes sur le tabac de 51 à 113 %, provoquant une explosion de la contrebande : la vente de cigarettes a diminué de moitié sur le marché local (de 1 200 000 à 600 000 paquets, selon la Régie). Mais Jad Chaaban tempère cette inquiétude en indiquant que l’étude s’est fondée sur une projection d’augmentation de 200 % de la contrebande, et prévoit quand même une augmentation des recettes fiscales liées au tabac. Ces revenus pourraient servir à financer des campagnes de prévention antitabagisme au Liban, en ajoutant : « C’est une situation gagnant-gagnant pour à la fois sauver des vies et augmenter les ressources de l’État. »

Un secteur réglementé

Toute la chaîne de distribution du tabac au Liban est réglementée par l’État qui fixe les prix de vente et agrée aussi bien les producteurs de tabac (24 000 environ) que les distributeurs (450), que les commerçants (plus de 100 000).
C’est la Régie, monopole d’État, qui est en charge de l’import-export des produits du tabac et de la subvention des agriculteurs libanais. Elle dépend du ministère des Finances et ses comptes intégrés à ceux du Trésor public.
Selon les chiffres avancés par l’AUB, quelque 9 000 tonnes de tabac sont produites chaque année sur 9 000 hectares de terre. Très coûteux en ressources humaines, chaque hectare de tabac planté nécessite 610 jours de travail en moyenne, contre 25 pour les céréales et 242 pour les légumes. Le Liban alloue 3,2 % de sa surface arable à la culture du tabac, ce qui en fait l’un des seuls cinq pays du monde à dédier plus de 1 % de sa surface cultivable au tabac, avec le Malawi, les deux Corées et la Macédoine. Quelque 57 % du tabac produit au Liban est cultivé dans le Sud.
La subvention aux agriculteurs prend la forme d’un programme de soutien des prix (PSP) : la Régie achète à un prix prédéterminé et supérieur au marché un certain quota de tabac produit par les agriculteurs agréés. Elle revend ensuite ce tabac sur le marché mondial à perte et importe des produits finis, donc plus chers, dans les mêmes quantités. Le tabac importé est alors vendu aux distributeurs agréés qui les revendent, avec une marge de 5 % sur le prix de détail, aux nombreux commerçants du pays. Ces derniers vendent le paquet avec une faible marge (0,07 dollar).