Un article du Dossier

Une année d’expectative sur les marchés financiers

Ne surtout pas trop se réjouir. C’est l’attitude choisie par le Fonds monétaire international (FMI) quant aux prévisions de croissance cette année. Dans ses “Perspectives de l’économie mondiale” du mois d’avril, l’institution montre bien qu’elle ne souhaite pas crier victoire trop vite après ces dernières années de disette économique et financière. « Après s’être fortement assombries en 2011, les perspectives de l’économie mondiale s’améliorent de nouveau progressivement, mais les risques de dégradation restent élevés. » Du côté des bons points se trouvent la hausse de l’activité aux États-Unis depuis le second semestre de 2011, l’amélioration des politiques économiques dans la zone euro et la bonne santé des pays émergents. Et du côté des mauvais points, la crise des dettes souveraines et du secteur bancaire dans la zone euro et le ralentissement de la croissance chinoise. Bilan : une faible reprise dans les principaux pays avancés, et une activité plus vigoureuse dans la plupart des pays émergents et des pays en développement.
Ce contexte incertain est néanmoins favorable à une chose : la crainte de l’inflation, qui s’éloigne avec la baisse des prix des matières premières, et de la stagnation relative du cours du pétrole. « Il n’y a pas non plus d’inflation par la demande, du fait du taux de chômage encore élevé. Cette absence d’inflation est rassurante pour les banques centrales, car cela leur permet de faire tourner les planches à billets pour soutenir la croissance sans trop de craintes », note Paul Douaihy, directeur du centre de recherche en économie et sur les marchés financiers de l’Université de Balamand. En Europe, l’inflation exprimée en glissement annuel était pourtant estimée à 2,4 % en mai, au-dessus du plafond de 2 % fixé par la BCE. Mais sa tendance est baissière.
Les analystes du FMI annonçaient ainsi en avril des projections de croissance à 3,5 %, contre   4 % l’an dernier, et un retour à 4 % en 2013. Mais ils n’excluent pas de revoir ces chiffres à la baisse en cas de ralentissement économique, scénario qui paraît se concrétiser depuis la publication du rapport. « La croissance n’est pas formidable, mais elle ne devrait pas tomber au palier de 1,5 %, qui caractérise les périodes de récession », tempère Paul Donovan, économiste pour la banque suisse UBS.

La zone euro embourbée dans ses dettes souveraines

En Europe, la situation n’est pas reluisante. « Il reste prévu que la zone euro connaîtra une légère récession en 2012 en raison de la crise de la dette souveraine et d’une perte de confiance générale, des effets du désendettement bancaire sur l’économie réelle et des répercussions du rééquilibrage budgétaire qui fait suite aux pressions du marché », annonce le rapport du FMI. Les difficultés rencontrées par l’Espagne et l’Italie ces dernières semaines – dégradation de la notation, tensions dans le secteur bancaire et large émission de dette – ne font que confirmer cette analyse. Le FMI table donc sur une croissance de 1,5 % cette année et de 2 % l’an prochain. « Les institutions de la zone euro n’arrivent pas à gérer le resserrement fiscal, ce qui affecte la croissance », analyse Paul Donovan.
Le principal défi est au niveau du système bancaire, sous pression pour se désendetter et se recapitaliser. La première conséquence est le resserrement de l’activité de crédit, ce qui porte un coup à la croissance. Les craintes des marchés concernant la viabilité des finances publiques en Italie et en Espagne ont en outre entraîné une forte hausse des rendements souverains. Pour les plus optimistes, l’élection d’un gouvernement en faveur des mesures d’austérité en Grèce et les dernières mesures de rigueur budgétaire mises en place dans la zone euro sont pourtant des nouvelles rassurantes. « Bien que peu appréciées des marchés, les décisions prises par l’Union européenne favorisant une meilleure intégration sont en fait de très bonnes nouvelles », remarque Christina Azouri, Senior Investment Advisor pour l’antenne beyrouthine du Crédit agricole suisse. Elle note également que le déficit budgétaire européen reste inférieur à la moitié du déficit américain. « Les États-Unis bénéficient de ce qui est perçu “flight to quality”, mais qui n’est en réalité qu’un “flight to liquidity”. Bien que vitale en temps de crise, la liquidité seule ne fait pas d’une économie un “safe haven”. »

États-Unis : une reprise contrariée

Les États-Unis justement sont encore loin de leurs objectifs économiques et monétaires. Fin juin, la Réserve fédérale (Fed) annonçait pour cette année une hausse du produit intérieur brut (PIB), comprise entre 1,9 % et 2,4 %, et un taux de chômage à la hausse entre 8 et 8,2 %. Pour faire oublier ces chiffres assez décevants, elle a décidé de prolonger jusqu’à la fin de l’année son programme “Twist”, qui vise à maintenir les taux à long terme au plus bas niveau possible pour soutenir l’activité en arbitrant des titres courts contre des titres longs. Comme anticipé, les taux d’intérêt vont également rester inchangés à un niveau très bas jusqu’à fin 2014. Ces mesures tentent d’éviter à tout prix l’affaiblissement de l’activité. « La croissance de la consommation sera difficile à maintenir avec un faible taux d’épargne, un endettement des ménages et un chômage toujours élevés, ainsi qu’une modeste augmentation des revenus. La crise immobilière pèse aussi toujours sur l’économie », analyse Christina Azouri. Elle précise que près de 12 millions de ménages américains affichent encore un patrimoine négatif (la valeur de leur hypothèque dépasse celle de leur maison) et un grand nombre de saisies immobilières est encore prévu. « Aujourd’hui le moindre choc, intérieur ou extérieur, peut faire basculer cet équilibre fragile », confirme Paul Douaihy.
Le Japon de son côté commence à peine à se redresser du drame de l’an dernier et se bat contre la déflation, handicapé par la dégradation de sa note par Fitch compte tenu de l’ampleur de sa dette publique.

Les pays émergents comme planche de salut ?

Les pays émergents et en développement sont les mieux lotis cette année, bien que leur PIB réel se rétracte légèrement depuis l’an dernier. Ce sont les victimes collatérales des tensions sur les marchés développés, dont la croissance des exportations ralentit. « Par ailleurs, du fait de l’incertitude financière, conjuguée à des variations brutales de l’appétit pour le risque, les flux de capitaux sont volatils », notent les experts du FMI. Les perspectives devraient toutefois être bonnes pour 2013, avec une prévision de croissance à 6 %, «portée par l’assouplissement des politiques macroéconomiques et la hausse de la demande étrangère ». Mais tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne. Certains sont sujets à la surchauffe, d’autres à l’inverse affichent encore un écart de production négatif. Ils peuvent utiliser leur politique économique pour soutenir la croissance.
Le principal enjeu à court terme pour les pays émergents et les pays en développement est de bien calibrer leurs politiques macroéconomiques pour faire face aux risques de dégradation considérables liés à la conjoncture dans les pays avancés tout en maîtrisant les risques de surchauffe liés à la vigueur de l’activité, à la croissance élevée du crédit, à la volatilité des flux de capitaux et à la persistance des cours élevés des produits de base, ainsi que les risques que représentent de nouveau les prix de l’énergie pour l’inflation et les positions budgétaires.
Le rôle des économies émergentes devrait s’affirmer davantage sur la scène internationale dans les mois à venir. En effet ces pays, avec le Japon, contribuent à hauteur de 189 milliards de dollars aux 456 milliards de “pare-feu” du FMI en faveur de l’Europe, soit 40 % de la somme. Mais cette aide n’est pas désintéressée : ils veulent des droits de vote supplémentaires au sein du FMI. Si la réforme passe, la Chine deviendrait le troisième pouvoir décisionnaire après les USA et le Japon.
Pékin est d’ailleurs actuellement au centre de tous les regards. Le ralentissement de sa croissance et le spectre d’une bulle immobilière sont sujets de quelques inquiétudes. Selon l’indice PMI “Flash”, publié chaque mois par la banque HSBC, l’activité manufacturière s’est contractée au mois de juin pour le huitième mois consécutif et les commandes à l’exportation sont tombées au plus bas depuis 2009, notamment du fait de la crise européenne. Ces facteurs devraient vraisemblablement augmenter le chômage dans les mois à venir. Pékin n’a pas tardé à réagir en réduisant les taux directeurs, une première depuis 2008. Toutefois l’objectif de croissance cette année de 7,5 % rappelle que le pays reste un des plus prospères de la planète.
L’Inde, poids lourd des pays émergents, traverse cette année une relativement mauvaise passe. Début 2012, elle affichait 6,5 % de croissance en glissement annuel, contre 9,4 % début 2010. L’inflation a dépassé en avril 2012 les 10 %. La Banque centrale a donc décidé de baisser son taux directeur mi-avril pour soutenir la croissance. Le secteur bancaire est également en situation de faiblesse. Même tendance au Brésil, où le taux directeur a aussi été abaissé et le PIB s’est fortement contracté. « Outre les BRIC, qui tireront globalement l’activité vers le haut, les pays couplant croissance élevée et solde courant positif devraient également retenir notre attention : on pense ici à l’Indonésie, à la Malaisie, à la Thaïlande et à la Corée du Sud », conclut Christina Azouri.
Alors dans les mois à venir quels maux faut-il craindre ? Pour le FMI, une nouvelle escalade de la crise dans la zone euro provoquerait une fuite bien plus généralisée devant le risque. La production mondiale et celle de la zone euro pourraient reculer. Autre danger, l’incertitude géopolitique pourrait entraîner une forte hausse des cours du pétrole, les effets sur la production seraient bien plus marqués si les tensions s’accompagnaient d’une forte volatilité sur les marchés financiers et d’une perte de confiance. La déstabilisation des marchés obligataires et des changes par l’explosion de la dette est également à craindre. Pour l’économiste Paul Douaihy, les crises sociale et politique sont par ailleurs un vrai risque pour l’investissement.

Des marchés financiers influençables

Ces évolutions ont un profond impact sur les marchés financiers. Dans la zone euro, cela se traduit par la reprise relative des marchés de financement bancaire et des cours des marchés boursiers. Le cadre réglementaire de la finance mondiale est par ailleurs en train d’être progressivement renforcé. En termes de dette, la crise souveraine européenne change la donne des marchés : le nombre d’États dont la dette est considérée sûre diminue et le marché pourrait perdre quelque 9 000 milliards de dollars d’actifs sûrs d’ici à 2016 (soit approximativement 16 % du total projeté). Cela aurait pour effet d’accentuer les tensions haussières sur les prix des actifs qui continueraient d’être considérés sûrs, notent les experts du FMI dans le “Rapport sur la stabilité financière dans le monde” d’avril 2012. Autre conséquence, mais cette fois sur la stratégie d’investissement : le découpage géographique n’est plus fiable, il n’y a plus de dynamique commune au sein des zones, ni de jeu sectoriel. « Les investisseurs sont attentistes, observe Toufic Aouad, directeur général de la banque privée Audi-Saradar. La seule certitude c’est qu’il n’y a plus rien de sûr. » Il note que de plus en plus de gestionnaires de portefeuilles font du sur-mesure, car il n’y a plus de logique de placement en termes géographiques ou de classes d’actifs. Pour optimiser leurs gains, les clients doivent identifier clairement leur profil de risque.
Hormis l’économie, les événements politiques inquiètent également les marchés. Pour Albert Letayf, président d’Optimum Invest, les dirigeants européens sont davantage préoccupés par leurs électeurs que par les décisions rationnelles requises pour sauver l’euro et l’Europe. « Cette incertitude et ces crises politiques poussent les gens à investir chez eux, car ce sont les marchés qu’ils connaissent et maîtrisent. Ce repli rend l’investissement sur les marchés mondiaux plus complexe et stressant, remarque Paul Donovan. Ils vont diminuer la diversité de leurs portefeuilles par soucis de préservation, ce qui est une mauvaise idée, car la diversification est une bonne arme contre l’incertitude politique. » Pour Nadim Kabbara, responsable du département recherche de la FFA Private Bank, ces aléas favorisent le phénomène du “risk on” et “risk off”, représenté par les phases de vente massive après 2008 et de rachat général en mars 2009 à l’effondrement des marchés d’actions.
Dans ce contexte, qui rappelle aux investisseurs qu’aucun actif ne peut être considéré comme véritablement dénué de risques, comment aborder les marchés ? « Le caractère plus tactique de l’investissement sur l’année 2012 nous amène ponctuellement à conserver une part significative de liquidités », observe Christina Azouri. Paul Donovan ajoute aux liquidités des placements à long terme, comme des obligations d’entreprise jusqu’à leur maturité et du private equity sur dix ans. « Il faut se concentrer sur la qualité des actifs et non sur les rumeurs », prévient Kabbara. Pour lui, les entreprises ou secteurs qui font du buzz ne sont pas forcément les meilleures affaires. Tarek el-Ahdab, vice-président de l’Arab Finance Corporation (AFC), résume les choses ainsi : « Les marchés tentent de digérer leur gueule de bois de ces cinq dernières années. Les investisseurs doivent rester sur leurs gardes. »

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