« L’histoire officielle de l’art au Liban est jeune et difficile à raconter, car tous nos grands artistes sont des artistes de l’émigration, ils ont été formés à l’étranger et ont subi diverses influences, européennes ou américaines », dit Nour Abillama, éditrice d’un livre sur les artistes modernes du Liban qui paraît en octobre.
Cette histoire commence avec Daoud Corm (1852-1930), explique Joseph Tarrab, ancien critique d’art. Avec Habib Srour, puis Khalil Saliby, ils forment la première vague de peintres à avoir étudié à l’étranger. À l’époque très peu de maisons ornaient leurs murs d’œuvres picturales, les portraits constituaient souvent le seul gagne-pain de ces artistes. Avec l’apparition de la nouvelle génération : Ounsi, Farroukh, Douaihy, la peinture commence à doucement entrer dans les mœurs, mais pas suffisamment pour que ces peintres puissent en vivre exclusivement, ils exercent tous un autre métier.
En 1946, César Gemayel fonde l’Académie libanaise des beaux-arts (ALBA) : une nouvelle génération de peintres, plus nécessairement issus de la bourgeoisie, émerge. « La montée en puissance de cette nouvelle génération a coïncidé avec un afflux de capitaux et de personnes, en raison de la situation régionale : coups d’État en Syrie, révolution égyptienne, nationalisations, répression politique des pays arabes et manne pétrolière », argumente Joseph Tarrab. En parallèle, les gens commencent à recourir aux services de décorateurs/architectes d’intérieur, qui les convainquent peu à peu d’orner les murs de leurs maisons.
Dans les années 1960, le marché commence à réellement se dynamiser : les galeries se multiplient, les expositions aussi, les ventes suivent, les visites d’ateliers entrent dans les mœurs… Le pouvoir d’achat s’est renforcé grâce au développement économique général. « Dans les années 1970, on a commencé à voir des niveaux de ventes prouvant l’existence d’un marché de l’art au Liban », commente le critique.
La guerre de 1975-1991 chamboule ce marché naissant : beaucoup de galeries ferment, des peintres perdent leurs ateliers et leurs œuvres ou partent, etc. Mais par patriotisme et nostalgie, les Libanais continuent à acheter de l’art : ils redécouvrent les charmes des paysages d’Ounsi et de ses collègues, qui leur rappellent les jours heureux d’avant-guerre ; et beaucoup de jeunes peintres surfent sur cette vague pour survivre, voire en vivre. Par ailleurs, le mouvement de déplacement des populations s’est accompagné d’un mouvement de construction, et donc d’une nouvelle vague d’achats de peintures et de sculptures.
Après la fin de la guerre, l’activité reprend son cours normal : les galeries reviennent, le musée Sursock reprend ses expositions annuelles, de nouvelles galeries ouvrent, de nouveaux peintres font leur apparition, les prix montent régulièrement. « Jusqu’à l’arrivée des acteurs du Golfe dans les années 2000, qui a affolé le marché », analyse Joseph Tarrab.
 

Existe-t-il un art libanais ?

« Les artistes libanais traitent souvent de la guerre, de la mémoire et de l’émigration, en raison de leur histoire », explique Khaled Samawi, fondateur de la galerie Ayyam. Mais il n’y a pas à proprement parler de style libanais : la majorité des grands artistes ont été formés et éduqués à l’étranger, absorbant diverses influences et références culturelles. Sans compter que « le pays a subi nombre d’influences diverses et a un passé très riche », souligne la galeriste Nadine Begdache.
Cette “non-identité” est à double tranchant : d’un côté, elle a défavorisé les artistes locaux lorsque les musées étrangers (du Golfe ou d’ailleurs) sont venus à la recherche d’œuvres libanaises “typiques” ; d’un autre, elle leur donne le potentiel d’être de grands artistes internationaux, ce qui est « le but ultime de tout artiste », souligne Hala Khayat de Christie’s.