… Ou plutôt 1,2 million, soit le double des effectifs actuels : c’est l’objectif du plan quinquennal du gouvernement (voir plus loin). Des réactions, propositions, revendications et nouvelles idées mises en avant par les professionnels du secteur.

Une destination touristique de prédilection : le Liban l’était “spontanément” jusqu’avant la guerre de 1975. Les temps ont changé depuis, les besoins aussi.
Seuls les acteurs les plus rapides à agir au niveau de l’innovation et de la promotion sont susceptibles de gagner leur place sur l’échiquier du tourisme mondial. Et il est largement dominé par la “gouvernance” des tours opérateurs, viseurs inconditionnels de marchés obéissant au meilleur rapport qualité/prix.
Face aux impératifs de la concurrence, d’autant plus amplifiés que l’ère est à la mondialisation, l’approche stratégique s’impose. Elle doit néanmoins être commandée par une vision commune à tous les acteurs concernés par le développement de ce secteur, autrement dit tant l’État que le privé.
S’il est un peu difficile de parler de stratégie au Liban actuellement, le gouvernement vient de proposer un plan quinquennal pour le développement du tourisme (voir p. 50).

Comment le secteur privé se positionne-t-il par rapport à la vision du plan quinquennal ? Quelles doivent être les initiatives privées ?
Ne faut-il pas engager une solidarité intra et intersectorielle touristique qui se traduirait par un lobbying dans le but de dynamiser le tourisme ?
Toutes ces questions et bien d’autres ont été passées au crible au cours de la table ronde organisée par Le Commerce du Levant.
Elle a ainsi réuni Néna Khoury, directrice des relations publiques, et Rupert Haarhoff, directeur général de l’hôtel Al-Bustan, Zéna Élias, copropriétaire et directeur général de Wild Discovery, et Nadine Kurban Boutros, directeur général de Kurban Tours, toutes 2 agences de voyages, François Chopinet, directeur général du Phoenicia Inter-Continental Hotels & Resorts Liban (avec une intervention séparée), Christian Ibrahimcha, propriétaire et directeur général de l’hôtel Alexandre, la MEA s’étant abstenue d’envoyer un représentant.
La spontanéité des propos, qui va de la raison d’être d’une table ronde, a été volontairement sauvegardée.
Mais engageons le débat : quel doit être le rôle de l’État dans le marketing du pays surtout si on le compare par exemple à la politique touristique menée par le gouvernement égyptien qui a conduit à une croissance record du secteur ; 10 millions de visiteurs sont prévus d’ici à 2005, les revenus totaux du tourisme devant s’élever à 10 milliards $ durant cette même période ?

R. Haarhoff :
Les packages compétitifs

On ne peut malheureusement pas se comparer à l’Égypte qui propose des packages très compétitifs relevant souvent d’une initiative gouvernementale dans le sens qu’ils sont largement soutenus par les institutions et offices du tourisme. Ce support gouvernemental s’est également traduit par une exemption des droits de douane à l’importation des produits alimentaires et boissons ainsi que des équipements relatifs. Cette exemption accordée aux hôtels et restaurants identifiés comme servant l’industrie touristique leur permet de maintenir des prix à un niveau raisonnable et donc touristiquement attractifs.
Aussi, pour contrecarrer l’impact négatif qu’auraient pu entraîner les attaques terroristes survenues ces 2 dernières années, l’action gouvernementale a été très dynamique en direction des médias et des télévisions internationaux.
Il est à déplorer l’absence de telles initiatives de la part du gouvernement libanais.
Non loin de nous, la Jordanie et Israël unissent leurs efforts et proposent un paquet extrêmement compétitif quant aux prix des billets d’avion et des séjours dans des hôtels 5 étoiles, autour du thème du tourisme religieux : les 2 000 ans du christianisme.
Le rôle de l’État se situe surtout à ces niveaux de l’image du pays, du support à des offres promotionnelles et aussi du parrainage de partenariats entre tours opérateurs favorisant le pays comme destination principale ou complémentaire.
Concernant les catégories touristiques, je pense que le Liban doit continuer à cibler en premier les ressortissants des pays du Golfe.

F. Chopinet :
Les Japonais aussi

Le plan propose de s’adresser en priorité aux ressortissants des pays du Golfe, aux Libanais émigrés, aux touristes choisissant le Liban comme destination complémentaire dans le cadre d’une tournée régionale et aux ressortissants occidentaux résidant dans la région. Mais il ne faudrait pas sous-estimer les touristes japonais, à pouvoir d’achat élevé et toujours en quête de nouvelles destinations.
Concernant les mesures à court terme, il est nécessaire de souligner l’importance de la protection de l’environnement. Pour les touristes, en provenance notamment des pays nordiques, c’est là un point capital.

C. Ibrahimcha :
L’ennemi administratif

Avant la guerre, le tourisme y compris la restauration représentait 25 % du PIB. On en est aujourd’hui à 6,5 %. Déjà au niveau budgétaire, j’estime qu’il faut allouer au tourisme 20 % du budget de l’État parce qu’il a la potentialité de faire le quart du PIB.
Bien sûr, tout ne dépend pas de l’État. Là où il doit intervenir, c’est notamment au niveau de l’infrastructure, l’environnement, le trafic routier et surtout les diverses formalités administratives. Je n’exagère pas si je dis que l’ennemi numéro 1 de l’investissement dans ce pays est l’administration. L’hôtellerie étant un business, pourquoi un investisseur dans ce domaine va-t-il privilégier ce pays alors qu’il peut profiter de tant de facilités et de motivations fiscales sous d’autres cieux ?
Il est urgent de réformer l’administration, mais je ne pense pas que le gouvernement pourra le faire. Je ne vois pas comment il le pourrait, étant donné le clientélisme politique qui ronge presque tout le service public.

Z. Élias :
Congrès-clés en main

Je crains que le plan quinquennal ne reste lettre morte. La réalité est qu’il n’y a aucun suivi de la part du ministère du Tourisme. M. Nazarian avait pris l’initiative, au tout début de son mandat, de réunir chez lui, à 3 ou 4 reprises, les représentants des agences de voyages et puis d’un coup, cela s’est arrêté sans explication. Alors qu’il nous avait promis de nous soutenir, au moins au niveau de la promotion du pays. En fait, même le plus élémentaire ne nous est pas assuré : nous ne sommes tenus au courant, que de manière très sporadique, des manifestations organisées par le ministère. Pourtant la promotion n’exige pas toujours des moyens financiers considérables. Juste des idées et quelques efforts. Qu’est-ce qui empêche par exemple de mobiliser une personne, hôtesse d’accueil ou autre, à l’aéroport pour distribuer aux touristes, dès leur arrivée, la carte du Liban ? Pourquoi ne pas activer un service d’accueil VIP d’une manière plus professionnelle et adaptée ?
Toute action promotionnelle est bienvenue surtout que l’image du Liban pays en guerre est constamment véhiculée par la presse étrangère et que rien n’est fait pour rectifier le tir. Même le tourisme d’affaires en pâtit, alors que c’est une niche à potentiel élevé pour le pays et où nous pouvons être leaders dans la région. Je le dis en connaissance de cause, puisque l’agence que je représente est spécialisée dans l’organisation des congrès.

N. Kurban Boutros :
Peu d’interlocuteurs

Le tourisme n’est pas la priorité du gouvernement. Et le problème ne provient pas seulement du manque de moyens financiers, mais aussi de l’absence de toute coordination entre les différentes administrations. Si on ne s’adresse pas au ministre ou au directeur général, on n’a pas d’interlocuteur. Il n’y a pas de décideur. Si on envoie une lettre, elle se “perd” 10 fois. Nous ne sommes jamais informés des changements d’horaires des visites des sites, le Musée de Beyrouth est fermé les jours de fête et, dans les foires, le stand libanais est toujours le plus dégarni en brochures et dépliants ! De plus, l’État a fermé les bureaux du tourisme à l’étranger, excepté celui de Paris.
Or, le minimum qu’il est censé entreprendre c’est d’agir au niveau des médias internationaux pour promouvoir une image de marque du pays. Pourquoi ne prend-il pas l’initiative de faire sponsoriser des séjours de journalistes pour promouvoir l’image d’un pays en paix ? Le pays est très mal connu, les tours opérateurs qui le découvrent pour la première fois sont enchantés de la qualité de vie qu’il est à même d’offrir. Et qui plus est, le Liban, absent de la carte touristique pendant les 20 ans de guerre, est une nouvelle destination attractive comme destination principale et non seulement complémentaire aux yeux des nouvelles générations notamment.
On le constate sur le terrain. Ainsi, à travers l’expérience de l’agence que je représente, offrant entre autres services le leasing auto et les autotours, on peut dire qu’il y a, professionnellement parlant, un grand potentiel à exploiter dans le tourisme d’affaires et le tourisme individuel.

N. Khoury :
Efforts individuels

L’hôtellerie, comme le reste du secteur touristique, est en train de se battre toute seule. De plus, elle est tributaire de la situation sécuritaire dans la région.
C’est l’initiative privée et la créativité de son peuple qui ont toujours fait la force de ce pays. Ainsi, chaque hôtel a ses caractéristiques. Notre spécificité à nous tient à un ensemble d’éléments dont l’emplacement de l’hôtel, un cachet personnalisé qui y fait régner une ambiance particulière, bref une classe qui a fait sa réputation. Elle tient également à une modernisation de l’exploitation et beaucoup d’innovation : nous offrons toute l’année une animation variée (salons et expositions) et proposons un package en février-mars à l’occasion du Festival du Bustan.

F. Chopinet :
Multiplier les activités

Le Liban, en voie de recouvrer sa place régionale et internationale, a besoin de “locomotives”, et la chaîne internationale opère comme telle. Plus il y aura de chaînes internationales dans le pays et plus il sera marketé à l’étranger.
Nous autres, en tant qu’hôtel Inter-Continental Liban, sommes toujours, dans les foires internationales, présents aux côtés du ministère libanais du Tourisme, au lieu d’être sur le stand Inter-Continental Hotels & Resorts pour le monde.
Au plan interne, nous travaillons surtout sur 2 axes principaux : les ressources humaines et les opportunités de développement.
Concernant le volet promotionnel, il me semble que l’on doit multiplier les événements sportifs et spectacles de tout genre ainsi que les festivals tels que Baalbeck et Beiteddine qui conduisent à positionner le Liban comme capitale culturelle du Moyen-Orient.

C. Ibrahimcha :
Pour l’autorégulation

La compétition qui existe actuellement sur le marché, du fait de l’empressement des chaînes internationales à s’installer dans le pays, pousse tous les hôtels à se mettre à niveau. Par ailleurs, la compétition agit beaucoup au niveau des prix, surtout dans la restauration, exceptés bien entendu certains établissements qui ont toujours pratiqué des prix élevés. L’offre est multiple actuellement et notre marché, libéral qu’il est, est en train de s’autoréguler. L’État ne doit pas intervenir à ce niveau ; laissons l’offre et la demande conditionner le marché.
Le “ratio” qualité/prix doit guider la compétition et déterminera la survie ou la disparition de l’établissement en question.
Mais de toute façon, contrairement à beaucoup de Libanais qui rêvent d’un tourisme à la monégasque, je ne pense pas qu’il nous faut miser sur le tourisme haut de gamme – il est en Sardaigne et en Corse –, mais plutôt sur un tourisme moyen, de qualité.

N. Kurban Boutros : L’handicap du vol

En effet, au niveau de l’hôtellerie et de la restauration, l’offre existe actuellement et elle est très large. En tant qu’agence de voyages, je peux imposer mon prix.
Mais la destination Liban est au départ, au niveau du billet d’avion, “handicapante”. Un aller-retour Paris-New York est vendu à 300 $ alors qu’un aller-retour Paris-Beyrouth est à 600 $ (et 800 $ en haute saison). La raison, comme tout le monde le sait, tient au fait que la MEA et Air France ont un monopole sur le trajet Paris-Beyrouth.
Par ailleurs, on ne peut que déplorer les difficultés que nous rencontrons à chaque fois que nous voulons amener un vol charter et si nous décidons nous-mêmes de louer un avion, on nous refuse parfois l’autorisation. Comment espérer, dans ces conditions, développer le tourisme de masse ?
Z. Élias :
Autres formes d’hébergement

Si l’on veut cibler le tourisme moyen et notamment le tourisme des jeunes, il faut réviser nos prix à la baisse. J’entends non seulement les tarifs d’avion, mais aussi l’hôtellerie et la restauration. Dans le passé, les restaurants orientaux proposaient des formules de menus à 15 $, la moyenne est aujourd’hui de 30 $ : c’est cher pour un touriste moyen, de l’avis de tours opérateurs, qui ont visité ces derniers temps le Liban.
Il nous faut également dans ce sens développer la “parahôtellerie” et autres formes d’hébergement dont les appartements meublés, les auberges… de qualité.

R. Haarhoff :
Pour une “Task Force”

Quand les choses vont mal, il nous faut redoubler d’efforts pour promouvoir la destination Liban. D’autant plus que les tarifs aériens appliqués sont loin d’être compétitifs. Nous avions convenu, en tant qu’hôtel Al-Bustan, avec 14 agents de voyages autrichiens d’un package sur le Liban à des conditions et des prix très alléchants. Aucun de ces agents n’a réussi à le vendre : même pas un seul package dans toute l’Autriche ! Sans doute à cause du prix du billet d’avion.
Il faut nous préparer vite et convenablement pour l’après-paix, parce que la compétition régionale n’est pas à sous-estimer. Les efforts d’un pays comme la Tunisie, qui en outre tire avantage du coût non élevé de la main-d’œuvre et des produits à la consommation, sont exemplaires. Les besoins touristiques sont aujourd’hui mille fois plus sophistiqués qu’il y a 20 ans. Et on ne peut être compétitif que si l’on fait le pari de l’innovation et de l’originalité, si l’on joue sur des particularités, par exemple l’image de marque.
Somme toute, pour relever le secteur touristique dans ce pays, il faut activer une “Task Force” réunissant les acteurs concernés désireux d’entreprendre une action sérieuse et surtout de faire preuve d’un suivi dans l’effort.

Z. Élias :
Éthique professionnelle

L’après-paix c’est l’avenir et la place qu’on doit accorder aux générations futures. À ce propos, je souligne, une nouvelle fois, l’intérêt qu’on doit accorder au développement du tourisme des jeunes, en leur proposant des offres réellement à leur portée, en mettant à leur disposition des “éductours”, de sorte à encourager les échanges entre jeunes libanais et étrangers.
Concernant l’évolution de la profession de l’agent de voyages, l’un des principaux piliers du tourisme, il est important de joindre nos efforts à l’effet d’asseoir un minimum d’éthique et de régulation sur le marché local, pour combattre la concurrence déloyale qui finit souvent par nuire à l’image du pays. Sur un autre plan, il est inconcevable d’accepter le fait que les compagnies d’aviation et les hôtels accordent aux individuels le même traitement, voire les mêmes prix que ceux qu’ils donnent à l’agent.

N. Kurban Boutros :
Inviter les médias

C’est à l’initiative privée d’élaborer une stratégie de promotion touristique pour pouvoir relever les défis de la paix. Nous sommes en train de le faire, en tant qu’agence de voyages, chacune à titre privé. L’idéal serait de pouvoir impliquer le ministère du Tourisme de manière concrète comme, par exemple, l’entraîner à inviter des médias étrangers et des tours opérateurs pour un séjour au Liban et les amener visiter le Sud du pays.

C. Ibrahimcha :
Police écologique

Réussir notre avenir touristique dépend d’abord de la consolidation de la stabilité, voire de la confiance dans le pays, ensuite d’un travail concentré sur une image de marque à racheter. Il nous faut donc, pour être compétitifs, doublement séduire et partant doublement offrir.
Cela va de la facilitation des droits d’entrée au pays au développement de notre réseau routier, signalisations, pancartes… de manière à permettre au touriste désireux de circuler seul dans le pays de pouvoir le faire.
Il nous est surtout indispensable d’enclencher une restauration de notre tissu environnemental, en mettant sur pied une police des mers, une police écologique.

F. Chopinet :
Formation continue

Le potentiel humain c’est cela le potentiel du Liban et il est énorme. Mais ce potentiel a besoin d’être formé et “reformé” sans cesse. Il est évident que les hôtels qui ont un problème de taux d’occupation ont par conséquent des difficultés à financer la formation. Dans une perspective de paix, l’axe des ressources humaines est un axe majeur. Cela, d’autant plus que la valeur ajoutée de ce pays est et doit être dans un service qui vient du cœur.