Un article du Dossier

Éducation : profs au bord de la crise de nerfs

Considérée comme une arme de lutte contre la pauvreté et sa reproduction, l’éducation reste tributaire du contexte économique et social dans lequel elle est assurée. Or au Liban, la modestie des revenus et des origines sociales des élèves coïncide souvent avec celle des moyens consacrés à leur instruction. Plongée au cœur de ce paradoxe dans l’une de ces écoles publiques laissées pour compte.

Greg Demarque
Perchée sur les hauteurs de Fnaydiq, un village de 50 000 habitants situé dans l’une de ces régions rurales du nord du Liban, gangrénées par la pauvreté, l’école primaire Gharbyé ne dévoile ses vétustes atours qu’au détour d’une route sinueuse à l’accès compliqué par le verglas du mois de février. Heureusement pour les élèves de cet établissement figurant parmi la dizaine que compte le bourg, leur transport est assuré par le ramassage scolaire municipal. Une commodité rendue possible par un partenariat conclu en 2009 avec l’Unicef et l’ambassade d’Italie prévoyant également la réfection des sites des écoles publiques.

Des moyens dérisoires…

Cette cure de jouvence ne soulage pourtant qu’en partie Khaled Issa, directeur de cet établissement fondé en 1991 dans les locaux d’une ancienne mosquée. Depuis son bureau à l’ameublement spartiate, il doit jongler avec les difficultés. D’abord les conditions de travail des 180 écoliers parfois entassés à quatre derrière des pupitres délabrés originellement conçus pour deux. « J’espère d’autres tables, mais la priorité pour l’instant c’est de réparer la toiture abîmée par la tempête », se justifie t-il. Le “luxe” – comprendre un laboratoire où enseigner les sciences, une bibliothèque ou des ordinateurs – lui n’est pas à l’ordre du jour.
De toute façon, il n’y aurait guère la place dans les 750 m2 abritant les salles desservies par un corridor dont l’un des recoins, grossièrement pourvu d’un évier et d’une petite gazinière, sert également de refuge pour les pauses des dix-huit enseignants. Tous originaires du village, ils n’ont pour la plupart pas toutes les qualifications requises pour enseigner les matières au programme. À l’instar du français que les plus initiés d’entre eux maîtrisent comme leur proviseur, c’est-à-dire à peine de quoi tenir une conversation élémentaire. « Je dois faire avec les moyens du bord : à part les salaires des professeurs et les livres, je reçois de l’État l’équivalent de 1 000 dollars par an et par élève pour payer tous les frais de fonctionnement et d’entretien, dont le mazout qui coûte toujours plus cher… », se désole-t-il.

…pour des ambitions modestes

Du fait de la rudesse de l’hiver, les poêles tournent en effet à plein régime pour réchauffer les cœurs d’élèves tentant tant bien que mal de suivre la leçon du jour. D’un sourire qui éclaire des visages sans doute burinés par un quotidien aussi rudimentaire que leurs oripeaux, ils déclarent tous dans une spontanéité de communiant aimer venir à l’école « parce que c’est important pour trouver du travail ». Et à quelle profession aspire-t-on à l’âge où tous les espoirs devraient être permis ? L’inventaire tient sur les doigts d’une main : agriculteur ou maçon – comme leurs parents, parfois militaires, pour les plus téméraires, voire « maîtresse » avance timidement une jeune écolière dont l’audace inspire ensuite deux de ses camarades.
« C’est comme si leur imaginaire était enfermé dans leur condition sociale », résume Mayssa, étudiante en sociologie donnant des cours dans l’une des écoles privées du village et dépêchée en hâte par Khaled Issa pour assurer la traduction de l’entretien. Ce dernier en profite pour s’enquérir des progrès de l’un de ses fils, qu’elle a cette année en classe. « C’est parce qu’ici on est trop loin de chez moi et que je n’ai pas de voiture », assure-t-il, comme pour évacuer toute velléité d’y voir une confiance accrue en la concurrence…
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