Un article du Dossier

Éducation : profs au bord de la crise de nerfs

Greg Demarque
En pénétrant dans le bureau d’Antoine Hayek, le visiteur est d’emblée saisi par la décoration de son secrétaire : à côté d’un ourson estampillé “Best Dad” – un cadeau d’anciens élèves – trône ostensiblement une citation de Moravia : « Apollon punit Œdipe pour s’être laissé aller à l’inattention »… Une ornementation qui synthétise à merveille la méthode d’un directeur doté d’une main de fer dans un gant de velours et se voyant comme le chef d’une grande famille de 990 élèves et 145 agents. « Un proviseur, c’est un père qui doit savoir écouter tout le monde tout en étant juste et crédible dans ses décisions », dit-il avant d’être interrompu par un écolier profitant de la récréation pour entrer par la porte de derrière et lui dire bonjour.
Un exemple des liens privilégiés patiemment tissés durant ses trente-sept années de présence dans un établissement – dont 31 à sa tête – qu’il a intégré par hasard. Titulaire d’une maîtrise de sociologie et d’anthropologie, il débute une carrière d’enseignant avant que la guerre civile ne le reconvertisse brièvement en secouriste à la Croix-Rouge. C’est en l’observant se démener nuit et jour que la direction de l’établissement, située alors en face de chez lui, l’embauche comme enseignant-encadreur. « Le fait d’avoir exercé toute la palette des responsabilités pédagogiques s’est avérée très utile dans l’exercice de mes fonctions », observe celui qui continue de donner huit heures de cours par semaine pour garder le contact avec les élèves. Une expérience qui lui a permis d’observer la mutation d’un secteur confronté à l’émergence « d’enfants-rois voulant la satisfaction immédiate de leur désir » compliquant une mission nécessairement fondée sur la durée. « Mandaté implicitement par les parents pour assurer la continuité de leur socialisation », Antoine Hayek leur promet en retour une formation inscrite dans le cadre d’un double cursus libano-français et devant permettre la transmission simultanée : « D’un savoir académique, d’un savoir-faire, d’un savoir-être et d’un savoir devenir. »
Vaste programme ! Qui a un coût : l’année scolaire est facturée entre 4 000 et 6 000 dollars et le système de bourse interne, permettant une ristourne de près de la moitié des frais, ne concerne qu’une petite minorité (environ 8 % des élèves pour cette année scolaire). Des tarifs qui devront en outre certainement être réévalués avec l’adoption de la nouvelle grille des salaires, ceux de ses employés représentant environ 72 % du budget de l’école : « Mais comme tous les autres chefs d’établissement, je suis incapable d’estimer quelles vont être ces augmentations puisqu’on ne sait toujours pas sur combien d’échelons supplémentaires portera précisément cette nouvelle grille. Tous les mois, ce sont des chiffres différents qui circulent ! » déplore-t-il.
En attendant, pas question pour ce perpétuel insatisfait de se reposer sur ses lauriers, ou plutôt ses palmes académiques (décoration distinguant notamment ceux qui contribuent à l’expansion de la culture française) : « On travaille sur l’humain, le plus fragile des matériaux …»
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