Un article du Dossier

Éducation : profs au bord de la crise de nerfs

Greg Demarque

« Un bon proviseur, c’est d’abord un pédagogue avant d’être un gestionnaire, sinon le risque de dérive bureaucratique est manifeste », annonce Mohammad Taha. Pourtant, à en juger par les allers-retours incessants de documents à parapher, la dizaine d’écrans de contrôle qui jouxtent son bureau, les 1 700 élèves et la centaine d’employés sous sa direction, les problèmes à gérer ne manquent pas. A fortiori dans le contexte de revendication salariale actuel : ayant déjà accordé, après des négociations internes, une réévaluation d’environ 25 % des rémunérations de ses enseignants – qui représentent plus des deux tiers du budget – contre leur présence en classe, il a dû procéder à une augmentation de l’ordre de 15 % des frais de scolarité pour cette année scolaire. « J’attends de voir la nouvelle grille pour déterminer comment on va pouvoir répercuter les augmentations sans que cela ne provoque une baisse des inscriptions. » D’autant qu’à l’instar des autres écoles de l’association chiite, la clientèle n’est pas particulièrement fortunée – les frais de scolarité oscillent entre 1 900 et 2 400 dollars par an et un quart des élèves sont boursiers – et il faut trouver le moyen d’équilibrer le budget malgré les nombreux impayés.
Pour remplir sa mission, Mohammad Taha peut notamment s’appuyer sur une capacité d’adaptation forgée le long d’un cheminement professionnel cahoteux. Titulaire d’un CAPES1 de chimie, ce fils d’institutrice originaire de Nabatiyé débute dans l’enseignement au sein de l’association sunnite Makassed avant de s’installer avec sa famille à Paris à la fin des années 1980. Ils y vivront une dizaine d’années pendant lesquelles il multiplie les emplois – de vendeur de chaussures à conservateur de bibliothèque – avant de retourner au pays en 1998. Il accepte un poste de proviseur au sein d’un lycée géré par l’association chiite al-Amlié et s’y forge une solide réputation. À l’occasion d’une rencontre avec des représentants de Mabarrat, il est séduit par le mode de fonctionnement de l’organisation qu’il rejoint.
Ayant carte blanche pour réformer le Lycée Imam al-Hassan, il se heurte initialement à une forte résistance interne au changement avant d’obtenir l’adhésion générale autour du nouveau projet. « J’essaie de procéder par petites touches en valorisant les compétences de chacun avant d’insister sur ce qu’ils doivent améliorer », explique t-il, tout en soulignant l’intérêt de la réglementation libanaise conditionnant le poste de proviseur à une expérience préalable d’au moins deux ans dans l’enseignement : « On est mieux armés pour expliquer aux professeurs la bonne méthode pour tenir leur classe ou de récupérer un élève qui décroche. » Tel un « un sculpteur devant choisir la bonne roche pour son ouvrage », il redistribue les rôles et multiplie les initiatives, comme la création d’un “parlement des élèves” qui peuvent ainsi expérimenter la prise de décision démocratique sur des sujets mineurs. Avec toujours un objectif en tête : « Contribuer à forger une génération de citoyens qui sera meilleure que moi… »


(1) Diplôme professionnel délivré après cinq années d’études par le ministère de l’Éducation nationale français à ses futurs professeurs certifiés.

dans ce Dossier