Un article du Dossier

Éducation : profs au bord de la crise de nerfs

Greg Demarque
Comment bien transmettre un savoir qu’on a eu soi-même toutes les peines du monde à assimiler ? Faute de recette miracle, Mariam Habchi a tout misé sur quelques ingrédients de base : passion, patience et persévérance.
La passion, elle l’a connue sur les bancs scolaires. Son objet ? La langue française et ses ambassadeurs qui sont parvenus à nourrir un imaginaire avide d’évasion et de romantisme. Mais dans son école de Deir el-Qamar, dans le Chouf, apprendre le français n’était pas chose aisée : « Les professeurs censés nous l’enseigner ne maîtrisaient que l’arabe, heureusement qu’il y avait les livres ! » se souvient-elle. Il lui a fallu s’accrocher et consacrer une bonne part de sa vie d’adolescente à fréquenter Victor Hugo ou Simone de Beauvoir pour percer les mystères d’un sabir qui paraissait avoir tant de perspectives à offrir. Dont un avenir : « Seule diplômée de lettres du village, je savais que j’aurais eu une place de prof assurée en fin d’études », glisse-t-elle avec malice.
Une carotte qui l’a aidée à persévérer envers et contre tout. Comme lorsque, une fois le baccalauréat en poche, elle est confrontée au fossé qui la sépare des autres étudiants de la faculté de lettres et comprend qu’il lui faudra mettre les bouchées doubles (et la main à la poche) pour obtenir sa licence et combler en partie son handicap grâce aux formations de l’Institut français. De la persévérance, il lui en faudra aussi pour garder intact un enthousiasme rapidement écorné par plus de dix années d’enseignement passées à tenter de trouver des outils susceptibles d’intéresser des élèves n’hésitant pas à lui demander : « À quoi ça sert d’apprendre le français ? » Patience aussi, pour faire face au sarcasme de collègues trouvant superflu de visionner des films français en classe plutôt que de rester rivée sur le manuel.
Le métier conserve tout de même des avantages : relations privilégiées avec des élèves considérées comme des “petites sœurs”, liberté pédagogique lui permettant de mêler cours de langue vivante et leçons improvisées d’instruction civique sur la place des femmes ou la coexistence confessionnelle, de longues vacances et un emploi du temps plutôt raisonnable : « Presque tous mes collègues font des vacations dans le privé, mais vingt heures hebdomadaires, sans les corrections et la préparation des cours, ça me suffit. » Quitte à se contenter, après une dizaine d’années d’expérience, de 1 300 dollars mensuels. C’est toujours mieux que les 23 000 livres horaires qu’elle touchait à ses débuts de contractuelle, certes complétés par les revenus plus confortables de son époux professeur d’université. Reste que Mariam est bien décidée à se battre avec ses collègues pour voir la nouvelle échelle de salaire adoptée et obtenir ainsi les 600 à 700 dollars d’augmentation espérés. La passion n’a peut-être pas de prix, sa fonction si…
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