Un article du Dossier

Zahlé : à la recherche d'un nouveau souffle

Le marché immobilier à Zahlé est dynamique, avec plus de 60 projets en cours de construction, lancés pour la plupart suite au boom de l’année 2007-2008. Mais la hausse des prix et le conflit syrien, qui a fragilisé la situation sécuritaire dans la Békaa, ont considérablement limité l’appétit des acheteurs, en particulier ceux issus de la diaspora. Le Commerce du Levant dresse un état des lieux.

Le marché immobilier à Zahlé n’échappe pas à la morosité, comme partout ailleurs au Liban. Depuis la fin de l’année 2011, les ventes immobilières ont marqué un net ralentissement dans la ville et sa périphérie, selon l’avis de nombreux promoteurs rencontrés au cours de l’enquête menée par Le Commerce du Levant. « De 2008 à 2011, les promoteurs vendaient généralement 50 % de leurs appartements sur plan, mais aujourd’hui, ils doivent souvent attendre un an après la fin de la construction pour voir toutes les unités écoulées », estime Melhem Osta, un promoteur de Ksara. « Les projets qui se construisaient généralement en quinze mois sont parfois livrés en trois ou quatre ans en raison du ralentissement des transactions », explique Tony Moussallem, un autre promoteur de Ksara. Plus de 600 appartements sont actuellement mis en vente dans une demi-douzaine de quartiers entourant le centre-ville de Zahlé (qui ne compte pas lui-même d’offre résidentielle), un chiffre relativement important si l’on considère la superficie de Zahlé et sa population. Même à Ksara – banlieue de Zahlé la plus dynamique avec plus de 20 projets en construction – seulement 30 % des appartements qui seront livrés en 2013 ont été vendus. Zahlé subit en fait le contrecoup d’un âge d’or immobilier qu’elle a connu entre 2007 et 2010. Au cours de ces années, la demande de la diaspora était forte. Parallèlement, les prix des terrains étant sous-évalués à Zahlé, de nombreux particuliers ont décidé d’investir dans le foncier pour lancer des projets immobiliers. « Chaque Zahliote qui disposait de liquidités a préféré investir dans l’immobilier que placer son argent en banque », estime Georges Hraoui, également promoteur dans la région de Ksara. Docteurs, avocats, commerçants se sont lancés dans le business de la pierre, souvent sans réaliser d’études de marché préalables. Zahlé et sa banlieue concentrent alors environ 40 % des permis de construire du caza de Zahlé. Les prix de l’immobilier ont constamment grimpé en flèche pendant deux à trois ans. « Depuis le boom de l’année 2008, le prix des appartements a en moyenne doublé », assure Joseph Charro, propriétaire de la toute nouvelle agence immobilière Terra Casa. Au point de bloquer le marché et de faire reculer la demande. « Il y a quatre ans, il était encore possible d’acheter un 220 m² pour 150 000 dollars, ce qui ne se trouve plus aujourd’hui sur le marché », explique le promoteur Ralph Riachi. « La majorité des nouveaux acheteurs sont des jeunes couples mariés avec un budget entre 100 000 et 200 000 dollars, qui recherchent des surfaces de 120 à 160 m² avec deux ou trois chambres à coucher. Ce segment de l’offre ne représente que 50 % du marché, alors qu’il existe un stock important de produits au-delà de 200 000 dollars qui s’écoule difficilement », soutient Joseph Charro. Depuis deux ans, les promoteurs ont proposé des surfaces plus petites – parfois à partir de 100 m² – et les unités de plus de 300 m² ont quasiment disparu du marché, mais cela n’a pas pour autant suffi à débloquer les compteurs.

Domino syrien

Car un autre facteur entre nécessairement en compte dans la baisse de la demande : la guerre en Syrie. Peut-être plus qu’ailleurs au Liban, les conséquences des turbulences syriennes se sont fait sentir à Zahlé : au cours de l’année 2012, des enlèvements en pleine rue ont eu lieu, notamment sur l’autoroute, et la petite délinquance a augmenté. « Depuis un an, et l’aggravation de la crise en Syrie, la demande a baissé de moitié », affirme le promoteur de Ksara, Tony Moussallem. « Les expatriés, qui représentaient 50 à 60 % de la demande ces dernières années, ne sont presque plus présents sur le marché. Ils ne sont pas rassurés par la situation sécuritaire et préfèrent attendre de voir comment va évoluer le conflit en Syrie », explique le promoteur Ghassan Abboud. La demande syrienne n’est pas venue donner un nouveau souffle au secteur immobilier, malgré l’arrivée de dizaines de milliers de ressortissants syriens depuis un an autour de Zahlé : les différents acteurs rencontrés considèrent qu’elle ne représente pas plus de 10 à 20 % de la clientèle. Certains promoteurs ont bien vendu quelques-unes de leurs unités à des clients syriens, mais la plupart refusent de facto de leur vendre, pour des raisons idéologiques. Le budget des réfugiés syriens est par ailleurs peu compatible avec l’achat d’un appartement à Zahlé. « L’écrasante majorité des réfugiés syriens loue des appartements, et ceux qui auraient les moyens d’acheter sont allés s’installer à Beyrouth, dans le Metn ou le Kesrouan, jugées plus sûres que la Békaa », soutient le promoteur Tony Beaini. La plupart des promoteurs de Zahlé affirment également ne vouloir vendre qu’à une clientèle chrétienne, ce qui limite la demande contrairement à d’autres régions mixtes voisines comme Chtaura. « Même si un client musulman me propose 50 000 dollars de plus que le prix du marché, je n’accepterai pas de lui vendre un appartement », confie par exemple un promoteur de la région.

Révision des grilles de prix ?

Le ralentissement du marché a poussé une partie des promoteurs à réduire leurs prix, en moyenne de 10 à 20 %, mais la majorité semble encore rechigner à négocier au-delà de la marge traditionnelle de 5 %. « La plupart des promoteurs de Zahlé financent l’essentiel de leur projet par des fonds propres et n’empruntent pas plus de 30 % à la banque, ce qui les incite à ne pas être flexibles avec les prix, puisqu’ils peuvent se permettre d’attendre avant de vendre », note Joseph Charro. Les promoteurs anticipent aussi de futurs investissements dans le foncier : les prix des terrains sont stables depuis un an, mais ils ont triplé, voire quadruplé dans certaines zones de Zahlé depuis 2008 (en moyenne de 200 à 1 000 dollars le m²). À l’heure actuelle, les prix du mètre carré construit dans Zahlé et sa périphérie s’échelonnent en moyenne entre 1 000 et 1 200 dollars, avec des différences entre certaines régions plus « huppées » comme Ksara ou Haouch el-Oumara, ou d’autres plus populaires comme Maalaqa ou Aïn el-Ghossain, sur les hauteurs. Le prix de l’immobilier est globalement 20 à 30 % plus cher que dans des régions voisines comme Taalabaya ou Saadnayel. Conséquence directe de la baisse des ventes, les promoteurs sont moins enclins à lancer de nouveaux projets. La municipalité de Zahlé a délivré l’année dernière 261 permis de construire (dont 80 % dans le résidentiel), contre 316 en 2010, soit une baisse de 17 %. « Alors que dans les années précédentes, 90 % des permis débouchaient sur des constructions, le chiffre est tombé à 60 % en 2012 », estime Élie Khnaysser, ingénieur à la municipalité de Zahlé.

Forte demande pour la location

En attendant une éclaircie sur le marché, certains promoteurs ont trouvé des alternatives. « En attendant que les prix de l’immobilier repartent, certains promoteurs se sont mis à louer leurs unités achevées, car il y a une très forte demande dans ce segment de marché », explique le promoteur de Ferzol Joseph Saba. Elle est en très grande majorité syrienne, mais aussi internationale, avec différentes ONG qui sont venues se relocaliser dans la Békaa pour venir en aide aux réfugiés. Le marché locatif, presque inexistant il y a deux ans, se développe petit à petit, mais plus lentement que dans les localités voisines. L’inadéquation entre une forte demande et une offre limitée a fait monter les tarifs. « Les loyers ont doublé depuis deux ans », explique ainsi le promoteur Joseph Saba. « Les loyers des appartements de 150 m² varient maintenant de 500 à 600 dollars, et atteignent 700 à 800 dollars pour un 200 à 250 m² », explique le promoteur Tony Moussallem. Les réfugiés syriens les plus modestes louent pour la plupart des garages ou des entrepôts dans la zone industrielle de Zahlé, à partir de 200 dollars le m². La hausse de la demande en location commence aussi à donner des idées aux investisseurs. « J’ai trois clients dans mon projet de Haouch el-Omara qui ont acheté des unités pour les louer à des familles syriennes, même si c’est encore un phénomène qui reste largement minoritaire », témoigne le promoteur Milad Khoury.



Deux complexes résidentiels à prix modestes autour de Zahlé

Le complexe Wadi el-Dalim se présente comme un projet de 87 unités situé sur un terrain de 13 000 m² dans la ville de Ferzol, à 5 km de Zahlé. Il appartient à Joseph Saba, un Zahliote qui détient la franchise de Wooden Bakery dans la Békaa. « Le terrain appartient à ma famille depuis longtemps et j’ai décidé de lancer un projet pour aider les jeunes couples chrétiens à rester dans la région, en proposant un grand nombre d’unités au prix de 100 000 dollars, un tarif qu’il est impossible aujourd’hui de trouver dans la région », explique Joseph Saba. « De nombreux jeunes Zahliotes sont obligés de repousser l’âge du mariage, parce qu’ils n’ont pas de pouvoir d’achat suffisant pour s’acheter un appartement », poursuit le promoteur. Les travaux ont commencé au mois de mai 2013 et se termineront fin 2016. Mais d’ici à 14 mois, une première série de 29 appartements sera livrée. Les sept blocs comprendront tous des logements avec deux chambres à coucher d’une surface habitable de 120 m², vendus à 850 dollars le m². La construction du projet est estimée à 3 millions de dollars et sera financée en partenariat avec la Bank of Beirut. Sur les 87 unités, 27 promesses d’achat ont été effectuées, avant le lancement même du projet, selon Joseph Saba.
Au cours de l’été 2013, un autre projet immobilier de grande ampleur devrait débuter dans la région de Dhour Zahlé, près du couvent du Christ Rédempteur, en pleine nature. Le projet Samir Nader prévoit la construction de 196 appartements. Samir Nader, un Zahliote qui possède plusieurs stations d’essence dans la région de Zahlé, a décidé de lancer le projet sur un terrain de 27 000 m² lui appartenant. Avec la même philosophie que le promoteur Joseph Saba : aider les jeunes couples chrétiens à ne pas émigrer, en leur proposant des appartements à prix réduits : 830 dollars le mètre carré. Le complexe résidentiel, dont le coût est estimé à 20 millions de dollars, sera financé en partenariat avec la Fransabank. Il regroupera sept blocs d’immeubles, offrant différentes superficies (106, 110, 130, 147 et 162 m²) et un jardin commun de 20 000 m². Selon l’architecte Mounzer Boustani, le projet a été conçu de manière à respecter les normes écologiques : les unités seront équipées de panneaux solaires, le complexe possédera une petite station de traitement des eaux usées… C’est la société Sustainable Development and Technologies, qui sera chargée de la construction du bâtiment, estimée à trente mois. Signe de l’engouement que suscite le projet, une centaine de clients ont déjà effectué des préréservations, selon Mounzer Boustani.

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