Un décret du 3 février des ministères de l'Économie et du Commerce, et de la Santé interdit au Liban l’importation, la fabrication et la commercialisation de boissons contenant des matières excitantes comme la taurine et la caféine, mélangées à de l’alcool. Le décret n°1/1/AT ne prend effet qu’à partir du 1er juin 2014 afin de laisser aux fournisseurs et distributeurs le temps d’écouler leur marchandise.

Selon les estimations de Nayef Kassatly, directeur de Kassatly Chtaura, seul producteur d’une marque locale de boissons énergisantes alcoolisées, Buzz Energy Drinks, le marché local (importation et fabrication libanaise confondus) tourne autour de 20 à 25 millions de dollars, ce qui représente environ 30 à 32 millions de canettes de 250 ml. « La consommation est d’environ deux litres par an et par habitant contre une moyenne de cinq litres pour la bière », précise-t-il. Ces chiffres doivent cependant être nuancés par le fait qu’une bonne partie des boissons énergisantes alcoolisées sont acheminées en Syrie. « Le volume de ce commerce représente 10 à 25 % du total suivant les périodes et l’état d’alerte des douaniers. »

L’interdiction de ces boissons énergisantes alcoolisées fait suite à deux ans de négociations entre les acteurs de ce marché au Liban et les deux ministères. Le 19 janvier 2012 le conseil national de protection des consommateurs a d’abord interdit leur importation au Liban. Puis, en juin 2012, l’importation est autorisée à condition que les doses des ingrédients énergisants ne dépassent pas une certaine concentration : la quantité d’alcool dans les prémixes ne doit pas dépasser les 10,2%, tandis que la quantité de caféine ne doit pas dépasser 0,01%.

Nayef Kassatly explique que le Liban suivait avant la décision de juin 2012 la loi européenne autorisant une dose de 12,5 mg de composant énergisant comme la taurine ou la caféine pour 100 ml de prémixe avec un pourcentage d’alcool allant de 10 à 12%. Une dose moins nocive pour la santé en alcool et en ingrédients énergisants que lorsque les consommateurs font leur propre mélange en mixant directement de la vodka avec des cannettes de boissons énergisantes non alcoolisées comme Red Bull, affirme-t-il.

L’interdiction annoncée début février est donc une véritable « surprise », dit-il. Elle répond à des inquiétudes croissantes des associations de protection des consommateurs quant aux effets nocifs de ces boissons, surtout lorsqu’elles sont consommées sans modération par des jeunes.

L’inquiétude s’est manifestée à la suite de la publication d’études et de recherches scientifiques effectuées par la US Food and Drug Administration qui ont prouvé le danger de mélanger des boissons stimulantes avec de l’alcool. Ces études mettent notamment en garde contre le fait que la perception du taux d’alcoolémie est atténuée par la présence d’ingrédients excitants et de sucre.

«Tant qu’il ne sera pas possible de réguler la distribution d’alcool pour éviter que les jeunes en consomment, le gouvernement est dans l’obligation d’interdire ces boissons à la source en ciblant les producteurs et les distributeurs », commente Nayef Kassatly.

Un rapport publié sur le site du ministère de l’Economie et du Commerce précise que la décision d’interdiction est aussi une réaction aux publicités mensongères de certaines grandes marques de boissons énergisantes alcoolisées qui relativisent les risques liés à la consommation de leur produit et qui « font l’apologie de l’ivresse.»

Selon des sources officielles ne souhaitant pas être citées, le Conseil de protection des consommateurs s’est aussi basé sur les décisions prises dans d’autres pays pour interdire les boissons énergisantes mélangées à de l’alcool tels que le Canada, la France, l’Australie, le Danemark, la Norvège, la Malaisie, la Thaïlande et plus de la moitié des Etats des Etats-Unis.

Cette interdiction aura des répercussions importantes pour les importateurs, comme la compagnie Abi Ramia Brother qui importe la marque XXL au Liban, et pour le fabricant Kassatly Chtaura. Ils n’ont cependant pas souhaité divulguer leurs chiffres d’affaires respectifs.

Nayef Kassatly explique que sa compagnie a importé son stock en cannettes vides pour l’année avant l’annonce de l’interdiction. Elles sont déjà imprimées avec la liste des ingrédients dont ceux maintenant placés sur la liste noire. Selon lui, même s’il inondait le marché libanais pendant quatre mois, l’intégralité du stock ne pourra pas être écoulée. Le groupe va donc se tourner vers l’exportation à destination de marchés moins regardants comme l’Afrique ou la Russie.
La marque survivra cependant sur le marché libanais : « l’interdiction ne touchant que les prémixes alcoolisés et des ingrédients excitants, il est possible de garder la marque et d’offrir aux consommateurs une formule ayant le même goût, mais sans les effets à risques. »