Le conflit syrien, entré dans sa quatrième année en mars dernier, continue de peser lourdement sur le Liban, où le nombre de réfugiés a franchi le seuil d’un million, selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR), soit plus du quart de la population locale. La crise voisine aurait en outre occasionné des pertes de 7,5 milliards de dollars entre 2012 et 2014, selon la Banque mondiale, alors que le déficit public a atteint un plus haut en 2013, à 4,2 milliards de dollars, contre un déficit de 3,9 milliards en 2012 et 2,3 milliards en 2011. Ce dérapage, le plus dangereux depuis la fin de la guerre civile, s’est répercuté sur la dette de l’État qui culmine désormais à plus de 65 milliards de dollars, contre moins de 55 milliards il y a trois ans. Le conflit en Syrie a entraîné, par ailleurs, un recul des capitaux en provenance de l’étranger qui s’est répercuté négativement sur la croissance. Celle-ci ne devrait pas dépasser 1 % en 2014, selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI), et 2,5 % en 2015, contre une moyenne régionale de 3,2 % et 4,5 %, respectivement. Mais le recul des tensions sécuritaires et la formation d’un nouveau cabinet ont réduit, dans une certaine mesure, les craintes d’un plus grand dérapage, même si l’élection d’un nouveau président reste la principale étape à franchir vers une plus grande normalisation.
Signe d’un soulagement relatif, l’agence de notation Standard and Poor’s (S&P) a amélioré en avril la perspective sur la dette souveraine de “négative” à “stable”. Quant aux investisseurs, ils ont retrouvé un certain appétit pour les marchés locaux. L’élan observé sur certains segments découle également de « l’existence d’une communauté expatriée qui continue d’investir dans le pays », souligne Tarek el-Ahdab, de l’Arab Finance Corporation (AFC). « Le Liban sera aux avant-postes s’il y a une moindre bonne nouvelle en Syrie », ajoute-t-il.

Les taux bancaires continuent de séduire

En attendant, les investisseurs continuent de placer au moins une partie de leur portefeuille au Liban. Les dépôts bancaires sont toujours privilégiés, étant donné la rémunération relativement élevée qu’ils offrent. « La qualité des résultats et des ratios financiers des banques, qu’il s’agisse de liquidité, de capitalisation ou de couverture des créances douteuses, continue d’entretenir l’appétit des investisseurs pour ce genre de placement », souligne Toufic Aouad, directeur de la banque privée Audi-Saradar.
Preuve d’une résilience à toute épreuve, les actifs bancaires ont encore augmenté en 2013 (+8,5 %), en dépit d’une mauvaise conjoncture, pour atteindre 165 milliards de dollars, soit près de 3,8 fois la taille du PIB libanais. Moteur de cette croissance, la hausse de 9 % des dépôts bancaires qui ont culminé à plus de 139 milliards de dollars fin décembre. Les rendements devraient augmenter l’an prochain, avec la hausse prévue du taux directeur de la Fed. « Mais la hausse ne devrait pas affecter l’appétit pour les dépôts au Liban, étant donné qu’il maintiendra sa marge par rapport aux autres pays », souligne Nelly Ghazal, responsable au sein de la banque privée du groupe Saradar. La moyenne pondérée des taux sur les dépôts en dollars avait déjà augmenté de 10 points de base, entre juin 2013 et février 2014, à 2,96 %, et de 12 points de base pour les dépôts en livres sur la même période, à 5,51 %. Si cette légère hausse est le reflet d’un risque politique plus élevé durant cette période, elle a sans doute permis d’attirer davantage de déposants.

Marché obligataire : les spreads à un plus bas depuis trois ans

L’appétit pour l’obligataire résiste aussi à la crise. Le segment des obligations a assaini sa position au cours des premiers mois de 2014, grâce à une légère amélioration de la conjoncture locale et de la perspective sur la note souveraine. Un autre facteur, de moindre influence, aurait également pesé dans la balance. « Il s’agit de l’appétit croissant à l’échelle mondiale pour la catégorie, à laquelle appartient le Liban, d’obligations classées “High Yield”, dont les rendements sont plus élevés et dont l’évolution des prix est moins sensible aux fluctuations des taux d’intérêt », explique Nelly Ghazal. « Les prix de certaines obligations, qui avaient reculé en 2013, ont ainsi renoué avec leur niveau précédent, alors que l’écart de rendement avec les bons du Trésor américain a continué de se rétrécir », ajoute-t-elle. Les spreads sur les certificats de dépôts libanais à cinq ans, mesure de perception du risque du marché, s’étaient en effet contractés de 57 points de base en 2013, à 393 points fin décembre, avant d’atteindre début mai un plus bas depuis trois ans, à 350 points. « La force principale du marché obligataire libanais réside dans le fait qu’il soit essentiellement financé de l’intérieur, par des banques qui regorgent de liquidités, ce qui lui confère une forme de stabilité », souligne Albert Letayf, associé-gérant du courtier Optimum Invest. « Aujourd’hui, l’investissement dans le monde est de plus en plus local, ce qui profite de manière générale aux marchés financiers propres à chaque pays, dont l’obligataire », ajoute-t-il. Selon Toufic Aouad, « les Libanais étant à l’aise avec leur risque-pays, le marché fonctionne avec ses propres lois d’offre et de demande, soutenu par les capitaux en provenance de l’étranger ». C’est ce qui explique le fait que les « rendements obligataires aient été faiblement impactés par les sell-off d’obligations de pays émergents en 2013 », ajoute-t-il.
Preuve de cette résilience, le Blom Bond Index (Total Return) a progressé de 3,46 % en 2013, en dépit des nombreux incidents ayant marqué l’année et devrait afficher une meilleure performance cette année, estiment les analystes.

L’activité boursière en hausse

Un regain de dynamisme a également été noté au niveau de l’activité boursière, les investisseurs ayant opéré un léger come-back. Ces derniers avaient déserté le marché local l’an dernier, provoquant une baisse de 15 % de la valeur totale des échanges et une forte contraction des valeurs des titres immobiliers. Les actions Solidere “A”, “B” ainsi que les certificats “GDR” de la compagnie la plus capitalisée de la Bourse avaient respectivement reculé de 15 %, 14,77 % et 16,15 % en 2013, tandis que le Blom Stock Index, principal indice boursier, s’était rétracté de 1,63 %, contre une hausse de 24,1 % de l’indice mondial, MSCI World Index, et de 25,61 % de l’indice du Golfe, MSCI CCG Index. « Les développements politiques en Syrie ainsi que l’absence de gouvernement au Liban pendant une bonne partie de l’année 2013 ont négativement impacté la performance des actions libanaises », souligne Toufic Aouad. « Toutefois, il est important de distinguer performance de marché et résultats financiers des sociétés. Ces derniers ont été très satisfaisants, notamment ceux des grandes banques libanaises », tempère-t-il.
Une légère amélioration s’est produite durant les premiers mois de 2014, le Blom Stock Index progressant de plus de 4,4 % jusqu’à fin avril, porté notamment par les actions Solidere qui ont compensé leurs pertes, avec une hausse de 17 % des titres “A” et de près de 15 % des actions “B”. La performance de l’indice local a ainsi dépassé la moyenne mondiale (+2,33 %) et celle des pays émergents (+1,33 %). Ce progrès s’est également manifesté au niveau du volume des échanges, qui a bondi de 41 % sur les quatre premiers mois de l’année, à 19,2 millions d’actions, tandis que la valeur des titres échangés s’est élevée à 137 millions de dollars fin avril, en hausse de 55 % par rapport à la même période de l’an dernier.

Immobilier : les investisseurs moins frileux ?

En parallèle, le secteur immobilier a repris quelques couleurs début 2014, après trois années de baisse consécutive, dénotant un regain d’intérêt de la part des investisseurs pour l’un des types de placement les plus prisés au Liban. Signe d’une reprise des investissements dans le secteur, les ventes immobilières ont augmenté de 16,3 % sur les trois premiers mois de l’année, à 15 834 transactions, selon le registre foncier. Celles-ci avaient reculé de 18,9 % au premier trimestre de 2013 et de 3,4 % durant la même période de 2012.
La valeur des transactions a, quant à elle, augmenté de 51,1 % sur un an fin mars, à 1,4 milliard de dollars. En parallèle, les permis de construire accordés au premier trimestre ont porté sur une surface de 3,4 millions de mètres carrés, en hausse de 18 % sur un an. Mais la reprise n’est toujours pas acquise, tandis que la confiance des investisseurs est encore fragile.

La BLF mise sur les fonds de placement à l’étranger
Dans un contexte d’incertitude sur le marché local, la Banque libano-francaise (BLF) a lancé son premier fonds d’obligations à l’international en septembre 2012. Le “LF Total Return Fund” est enregistré au Luxembourg et géré par l’Unité de gestion des obligations de la banque qui compte rééditer l’expérience dans les mois à venir, à travers le lancement d’un nouveau fonds. « Notre objectif est de proposer à nos clients la possibilité d’investir dans les marchés obligataires étrangers, d’autant que certains investisseurs cherchent à diversifier leur portefeuille et à placer une partie de leur patrimoine en dehors du Liban », souligne Georges Khoury, directeur de la banque privée à la BLF. « Nous ciblons également tous les expatriés, dont 700 000 travaillent aujourd’hui entre la région du Golfe et l’Afrique », ajoute-t-il. Le fonds d’un montant actuel de 38 millions de dollars, a enregistré un rendement net de 6,17 % en 2013, et devrait afficher une performance similaire cette année, selon Jamil Koudim, gérant de portefeuille à la banque. Le fonds maintient au moins 80 % des actifs dans des obligations de cote d’investissement (Investment Grade).
En termes de répartition sectorielle, 44 % du fonds est investi dans le secteur financier (banques, etc.), 11 % dans le service public (compagnies d’électricité, d’eau, etc.), 10 % dans les télécoms et 9 % dans le secteur de l’assurance. Sur le plan géographique, l’Europe arrive en tête, avec 44 % des actifs (dont 15 % d’obligations en provenance des pays périphériques), contre 8 % pour le Moyen-Orient et 5 % pour les États-Unis. « Il s’agit d’un fonds ouvert, permettant l’achat ou la vente de parts à tout moment. L’investissement minimal est de 100 000 dollars », précise Jamil Koudim.  Au cours des dernières années, plusieurs banques libanaises ont développé en interne des fonds de placement, dans une optique de diversification de l’offre financière. Certains de ces fonds portent sur le marché local, d’autres sur des produits à l’étranger. Parmi ces banques, figurent notamment la Bank of Beirut (BoB), la Blom Bank et la FFA Private Bank.