Jean-Luc Etiévent dirige avec d’autres passionnés Wine Mosaïc, une association française qui milite pour la préservation et la promotion des cépages locaux dans le monde. De passage au Liban, il livre ses premières impressions sur les vins et les défis auxquels la viniculture libanaise fait face aujourd’hui.

D.R.
Vous effectuez une mission d’une quinzaine de jours dans le vignoble libanais. Que pensez-vous des vins du Liban ?
D’une façon générale, les vins libanais ont acquis une qualité, qui leur permet de se mesurer à la concurrence internationale. Mais pour aller plus loin et figurer parmi les grands vins du monde, il leur faut se singulariser. Comment ? L’un des moyens repose sur la valorisation du patrimoine local. Cela passe d’abord par l’identification des cépages autochtones. Ensuite, sans doute, par la mise en place d’indications géographiques ou d’appellations contrôlées.

Le marché mondial ne cherche-t-il pas des vins standardisés, moins originaux que ceux réalisés à partir de cépages locaux ?
Non, bien au contraire : le marché réclame des vins qui expriment leur terroir, qui se distingue les uns des autres. Certains grands importateurs, comme l’américain Paul Wasserman, se concentrent même sur les seuls vins fabriqués à partir de cépages locaux ou de variétés rares. D’autres pays de la région ont déjà compris l’importance de cette différenciation : en Grèce, les cépages autochtones représentent environ 80 % des volumes. En Turquie, ce mouvement démarre et plusieurs propriétés misent déjà sur les cépages indigènes pour mieux marketer leurs vins. Et cela marche !

Vous avez aidé Château Saint-Thomas à réaliser une première analyse du cépage emblématique du Liban, l’obeidi, qui sert à la fabrication de l’Arak et que certains domaines proposent aussi dans l’assemblage de leurs vins. Quelles en sont les premières conclusions ?
Cette première analyse laisse penser qu’il ne s’agit ni d’un parent du chardonnay ni d’un cousin du chasselas, comme il a pu être dit parfois, du fait des similitudes morphologiques entre ces variétés. Il n'est pas non plus le résultat d'un croisement ou d'une altération d'un cépage connu, comme on a aussi pu le dire. On parle, en fait, d’un « cépage orphelin », sans lien a priori avec d’autres raisins. Il faut maintenant procéder à une analyse plus poussée pour déterminer sa carte génétique d’autant qu’il existe plusieurs sous-variétés d’obeidi. Il faudrait assez vite menés ces mêmes recherches sur trois ou quatre variétés locales comme le merwah ou le cebari, un raisin rouge qui teinte fortement le vin. On devrait également mener différentes expérimentations pour déterminer quelles cultures peuvent le mieux leur convenir, quelles vinifications peuvent le mieux s’adapter... Cela ne viendra pas du jour au lendemain. Il faut compter peut-être dix ans pour apprendre connaître leur fonctionnement… Mais c’est un début nécessaire.

Certains affirment que les résultats de l’obeidi dans le vin s’avèrent décevants. Quelle est votre opinion ?
Certes, l’obeidi ne se distinguent pas par la puissance aromatique de son nez. Mais nous n’en sommes qu’au début et notre goût est encore peu habitué à cette discrétion. C’est peut-être un vin qui in fine convaincra son public davantage par l’histoire qu'il évoque, que par sa dégustation à proprement parler. Mais cela reste un vin singulier et délicat. La mode des vins lourds et alcooliques est en train de passer. On recherche de plus en plus de la fraîcheur, de la légèreté lorsqu'on déguste un vin. Dans ce cadre là, l’obeidi peut avoir une carte à jouer. Il semble, qui plus est, qu’on soit en présence d’une variété qui se prête à différents usages. Comme dans le cas du chenin blanc, on peut envisager une vinification en blanc sec, ou l’imaginer en vin moelleux. Je songe ici à une expérimentation, menée par Saïd Touma : en 1957, le futur fondateur de Château Saint-Thomas a fait face à vendanges tardives, qui ont rendu impossible la distillation de l’obeidi pour l’arak. Saïd Touma a alors eu l’idée de produire un vin doux, que j’ai goûté, et qui s’avère extraordinaire. Cela pourrait être aussi une piste.

On connaît très mal le patrimoine local, faute d’aucune recension. Dans ce cas, comment démarrer une vraie cartographie ?
On pourrait déjà s’appuyer sur les variétés qui ont été sauvegardées en France au Domaine de Vassal, l’un des sites de l’INRA-Montpellier. Au Domaine de Vassal, on compte 22 cépages en provenance du Liban, 26 de Syrie, et une quinzaine d’Israël. L’Etat libanais, ou l’Institut de la vigne et du vin, quand il sera doté de moyens, pourraient parfaitement demander à ce que la France leur envoie des échantillons de ces cépages pour les étudier.

Vous évoquez aussi la possibilité de s’appuyer sur des Appellations contrôlées ou des Indications géographiques. Croyez-vous que cela soit adapté au Liban ?
Pour moi, le Liban est parvenu à un seuil qualitatif qui lui sera difficile de surpasser. Chaque propriété peut acheter du matériel de pointe, faire appel à de grands experts… mais les progrès réalisés resteront infinitésimaux, à l’aune des enjeux de la filière. Ce qui, en revanche, favoriserait un saut qualitatif est une démarche collective, visant à instaurer des Indications géographiques. C’est toujours la même logique : « je qualifie mon terroir, je le singularise et donc je le vends mieux ». Bien sûr, une appellation géographique relève de contraintes : définir les rendements à l’hectare, la conduite de la vigne, ou les cépages à employer… Les Libanais sont ils prêts à accepter ce cadre alors que, pour être crédible, cette démarche doit s’accompagner de contrôles sérieux ? Je n’ai pas de réponse à cela.