Avocat d’affaires
48 ans
Collection : débutée en 2004
Première œuvre acquise : une photo noir et blanc de Marilyn Monroe, de la série “The last sitting”, couverture de Vogue, signée Peter Beard
Dernière œuvre acquise : un cliché du photographe et sculpteur brésilien Vic Muniz

Dans le salon de Tarek Nahas trône une photo noir et blanc, un paysage entre le ciel et la mer. Lorsque Tarek Nahas, un avocat d’affaires, explique à l’un de ses visiteurs, qu’il s’agit d’une composition du photographe japonais, Hiroshi Sugimoto, rares sont ceux qui reconnaissent l’un des plus grands photographes contemporains, adepte d’un questionnement sur le temps qui passe et de ce qui reste des paysages familiers. Pour beaucoup encore, la photographie n’est pas en effet un art qu’on collectionne : éditions illimitées, tirages fragiles, réputation de média (trop) accessible… Pourtant, ce marché s’est professionnalisé : certains clichés se vendent même en tirage unique aujourd’hui. « Une sculpture de Giacometti pose tout autant qu’une photo le problème de l’œuvre multiple », explique Tarek Nahas.
Pas de quoi donc décourager ce collectionneur qui s’est intronisé “chasseur d’images” en 2002. « C’était à New York. Ma femme et moi sommes tombés en arrêt devant une photographie de Marilyn Monroe, signée de Peter Beard. » Ce cliché, acheté 5 000 dollars, figure encore parmi les pièces qu’il affectionne particulièrement. « J’achète entre quatre et six œuvres par an pour un budget unitaire qui varie de 10 000 à 50 000 dollars. Cela n’a rien d’un passe-temps. Je consacre l’essentiel de mes loisirs dans les galeries ou les foires. 90 % de mes lectures sont dédiées à l’art et à la photographie contemporaine en particulier. »
Passionnés assurément, obsessifs peut-être, mais pas fous : Tarek Nahas et sa femme n’achètent jamais au hasard. Ils font d’abord confiance aux galeries. « C’est une relation de confiance capitale. Ils nous font découvrir des artistes, connaissent nos goûts… » Tarek Nahas aime prendre son temps : collectionner est aussi une affaire de quête… Presque de chasse, où le temps perdu à débusquer la “perle rare” compte autant, davantage peut-être, que l’acquisition elle-même. « Les artistes que je sélectionne, même les plus novices, ont été repérés par les grandes galeries, exposés dans les endroits qui comptent. Une cote se construit. Ceux qui grimpent en flèche redescendent souvent aussi rapidement. » Le couple également a appris à reconnaître ses inclinations.
« La photographie que nous aimons, ce sont des “instants pensés et voulus” : nous nous intéressons davantage à l’art conceptuel ou construit qu’à l’image documentaire. » Dans ce registre, l’œuvre emblématique de sa collection est celle de Gregory Crewdson, dont les scènes font toujours l’objet d’une élaboration minutieuse, au point qu’on a souvent l’impression d’une photographie de cinéma : un côté “surjoué”, qui traduit l’envers du rêve américain. Les choix de Tarek Nahas se veulent presque toujours contemporains. « Un collectionneur, c’est quelqu’un qui respire son temps, selon moi. » Ce n’est pas un hasard si on retrouve plusieurs images de Nan Goldin ou de Larry Clark, deux photographes emblématiques des années 1970 et de l’Amérique disjonctée : tous deux incarnent un moment précis dans l’histoire du XXe siècle. « Leurs photos parlent de déchéance et de liberté. »
L’argent ? Pour ce couple, la valeur financière reste secondaire. « Quand j’achète, je dois comprendre la démarche de l’artiste, être sensible à son univers. Je ne suis pas dans la spéculation financière. C’est d’ailleurs sans doute aussi pourquoi j’accompagne souvent un artiste au long de sa carrière et achète plusieurs de ses pièces. » Cela ne signifie pas que Tarek Nahas se moque du marché. « On est toujours heureux quand le marché reconnaît notre intuition. Quand je vois une œuvre, achetée dix ans auparavant, et qui aujourd’hui atteint des sommets… Forcément, j’y vois une forme de reconnaissance. » Tarek Nahas n’a encore rien revendu. Une raison à cela ? Sa collection, il la voit comme un ensemble, encore en constitution. Dans ce cadre-là, il s’autorise même le droit à l’erreur. Et de raconter une anecdote : « Un collectionneur montrait à des amateurs les œuvres qu’il avait accrochées à ses murs. Ils n’en revenaient pas de l’œil de celui qui avait glané le meilleur de son siècle. L’un d’entre eux lui demanda alors : « Mais comment avez-vous fait pour comprendre si précisément ce qui ferait les chefs-d’œuvre de votre temps ? » À ce moment-là, le collectionneur ouvrit une porte, où s’entassait tout ce qu’il avait acheté, mais n’avait pas été retenu in fine dans sa collection. La pièce contenait peut-être les trois quarts de sa collection. » C’est cela aussi un collectionneur.