Les dernières semaines ont été difficiles pour l’économie syrienne, les déficits publics se creusant et la monnaie chutant à nouveau. Cette dégradation a entraîné des réponses inédites du gouvernement de Damas, notamment une forte hausse du prix du pain.

Trois ans et demi après le début du conflit, l’État syrien semble pour la première fois rencontrer des difficultés sérieuses pour financer ses dépenses. Depuis le début de l’été, plusieurs signes témoignent d’une certaine nervosité des autorités.

Réduire le coût des subventions

En juillet, le gouvernement a augmenté de manière spectaculaire le prix de nombreuses denrées et de plusieurs services dans le but d’alléger le poids de ses subventions. Un objectif avoué qui contredit la position officielle du gouvernement qui se targuait jusque-là de fournir un certain nombre de produits et de services de base quel qu’en soit leur coût.
C’est le prix du pain qui a été relevé le premier. Le paquet de huit pains a renchéri de 67 %, passant de 9 à 15 livres syriennes – soit de 0,05 à 0,08 dollar.
L’augmentation du prix du pain est particulièrement symbolique au vu de son importance pour la population. D’autant que le gouvernement avait déclaré dans le passé que la hausse de son prix était pour lui une ligne rouge. Le prix du paquet de pain n’avait pas augmenté depuis au moins une décennie, même si le nombre de pains par paquet était passé de 9 à 8 il y a quelques années, représentant une hausse de 12,5 %.
Le gouvernement a justifié sa décision par la hausse du coût de production qui a entraîné une hausse spectaculaire du montant que le gouvernement consacre à subventionner le pain, c’est-à-dire la différence entre le coût et le prix de vente. Selon le ministre du Commerce intérieur et de la Consommation, Samir Qadi Amin, ce montant était de 67 milliards de livres l’année dernière et serait passé à 178 milliards cette année si le prix de vente n’avait pas été augmenté. Cette hausse est principalement la conséquence de la forte chute de la récolte qui a poussé le gouvernement à importer une grande partie du blé et de la farine consommés, payés au prix fort en devises.
La même semaine de juillet, le gouvernement a relevé de 100 % le prix du sucre et du riz, deux autres aliments de base pour la population. Ces deux denrées ont la particularité d’être distribuées à la population grâce à des bons, chaque famille syrienne ayant droit chaque mois à un kilo de sucre et à 500 grammes de riz. Le prix de chacun de ces produits passe de 25 à 50 livres le kilo. Pour acheter des quantités supplémentaires, les consommateurs peuvent se replier sur le marché où ces denrées se vendent à des prix bien plus élevés. D’après le ministre, ces hausses vont permettre au gouvernement d’économiser 10 milliards de livres par an, soit environ 60 millions de dollars.
Là encore le riz et le sucre sont presque entièrement importés et leur coût subit le contrecoup de la baisse de la livre syrienne par rapport au dollar. La deuxième semaine de juillet, le gouvernement a annoncé la hausse des prix de l’eau et de l’électricité. L’ampleur de la hausse varie selon la tranche de consommation, mais pour certains consommateurs les tarifs de ces deux services ont augmenté de plus de 100 %.

L’Iran appelé à nouveau à l’aide

Autre signe de la gêne financière du gouvernement : l’annonce que le Premier ministre, Waël al-Halqi, s’apprête à adresser une nouvelle demande d’aide financière à l’Iran. Cette démarche fait suite à une demande du ministère de l’Économie qui a besoin de devises pour importer divers produits alimentaires dont du riz et du sucre.
Cette aide potentielle, dont le montant n’a pas encore été dévoilé, fait suite à une facilité de paiement d’un milliard de dollars accordée l’année dernière par Téhéran pour financer l’importation de divers produits alimentaires et médicaux, ainsi que la fourniture d’équipements électriques. Cette facilité avait été entièrement consommée à la fin du mois de juin. Ce nouveau prêt ferait aussi suite à un don de 327 millions de dollars accordé au gouvernement par Moscou en mai dernier.

Bachar menace les fraudeurs du fisc

Par ailleurs, plusieurs responsables gouvernementaux, y compris le directeur de la commission du Plan, se sont plaints ces dernières semaines que les taxes et les impôts rentraient difficilement dans les caisses de l’État. C’est Bachar el-Assad lui-même qui a fait la déclaration la plus spectaculaire en la matière lors de son discours prononcé à l’occasion de sa réélection. Le président syrien a comparé les contribuables fuyant le fisc à des voleurs dépouillant 23 millions de leurs concitoyens. L’avertissement du président syrien était clair – payer vos impôts ou vous serez traités comme des criminels – tout comme l’objectif – collecter des recettes publiques. Que le président syrien se soit senti obligé de proférer des menaces contre des contribuables réfractaires, alors qu’elles visent habituellement ses opposants politiques et militaires, semble témoigner de contrariétés sérieuses.

Les symptômes de difficultés réelles

Depuis bien longtemps, il est clair que le gouvernement syrien n’a plus les moyens de dépenser au-delà du strict minimum. Les dépenses d’investissements sont presque entièrement à l’arrêt depuis près de trois ans alors que les dépenses courantes se réduisent aux salaires et aux produits et services essentiels. Malgré cela, les autorités ont réussi jusque-là à préserver un certain sens de la normalité en payant régulièrement les fonctionnaires et en continuant de fournir des services de base.

Un équilibre qui semble menacé

Selon Techrine, l’un des trois quotidiens gouvernementaux, le ministère des Finances semble avoir des problèmes pour payer le salaire des employés de certaines des entreprises du secteur public. Ces derniers sont généralement rémunérés par l’organisme qui les emploie, le ministère des Finances étant appelé à la rescousse lorsqu’il se trouve à cours de liquidités. Selon Techrine, même si c’est actuellement le cas de plusieurs entreprises manufacturières, le ministère des Finances ne semble pas pressé de régler la facture.
Par ailleurs, Siraj Press, un média en ligne affilié à l’opposition, affirme qu’à Alep, les salaires de certains fonctionnaires n’ont pas été payés en juillet et en août, le gouverneur se justifiant par la pénurie de liquidités dans les banques et les difficultés pour transporter du cash de Damas. Les salaires des fonctionnaires de Raqqa et Deir ez-Zor avaient continué d’être payés bien après la chute de ces provinces de l’Est aux mains de l’opposition. Les versements ont tout de même été arrêtés il y a plusieurs mois, précise Siraj Press.

La livre perd du terrain

La chute de la livre syrienne par rapport au dollar est une autre source d’inquiétude pour Damas. Alors que la valeur de la monnaie nationale était restée stable à environ 165 livres pour un dollar depuis le mois d’avril, début août elle a recommencé à perdre pied.
Le dollar a ainsi d’abord dépassé le seuil de 170 livres, puis à la fin août celui de 175 livres pour passer au-dessus de 180 livres durant la première semaine de septembre et flirter avec les 190 livres le 12 septembre.
Il est difficile d’attribuer à une cause en particulier la chute de la livre ; par le passé celle-ci a été très sensible aux développements politiques, mais les problèmes budgétaires du gouvernement n’y sont certainement pas étrangers.
Les hausses de prix annoncées en juillet entraînent déjà une hausse du taux global de l’inflation et donc des pressions sur la monnaie. Par ailleurs, de nombreux analystes à Damas craignent que le déficit budgétaire pousse le gouvernement à utiliser la planche à billets, entraînant à la fois une hausse de l’inflation et une chute de la livre. L’émission par la Banque centrale d’un nouveau billet de 500 livres en juillet et celle attendue d’un billet de 1 000 ont d’ailleurs renforcé les spéculations sur une fuite en avant de la Banque centrale.
Ce n’est pas la première fois, depuis le début de l’insurrection en 2011 contre Bachar el-Assad, que l’économie syrienne a des accès de faiblesse, entraînant des pressions sur la livre et des rumeurs sur la capacité du gouvernement à couvrir ses dépenses. Il est donc encore tôt pour en tirer des conclusions même s’il semble qu’une nouvelle étape a été franchie ces dernières semaines.