Le rapport “Dreams for Sale” publié en septembre par l’association Kafa dénonce le marché en plein essor des travailleurs immigrés au Liban.

Arrivés sur le marché du travail libanais dans les années 1970, les travailleurs domestiques migrants (TDM) font l’objet d’un marché florissant au bénéfice d’agences de recrutement et de placement peu scrupuleuses. C’est ce qui ressort du rapport “Dreams for Sale” de l’association Kafa (“assez”), qui lutte contre leur exploitation. Ces travailleurs seraient un peu plus de 158 000 selon les chiffres de 2012 de la Sûreté générale, qui délivre aux migrants leur permis de travail annuel. Mais leur nombre réel se situerait plutôt, selon Kafa, entre 200 000 et 250 000, car il faut compter les domestiques sans permis. « Ce marché ne peut pas être estimé en valeur, explique Bernadette Daou, coordinatrice des projets “TDM” chez Kafa, car le gouvernement ne publie pas de données chiffrées, tandis que les associations se concentrent sur la défense des droits humains de ces migrants. »
Les agences qui jouent les intermédiaires entre les recruteurs locaux et les employeurs seraient plusieurs centaines au Liban, selon le rapport de Kafa rédigé à partir d’une enquête auprès de 1 000 migrantes népalaises et bengalaises. Pour chaque migrante embauchée, leur bénéfice minimum serait de 650 dollars, mais il peut atteindre plus de 2 000 dollars. Par extrapolation, on peut estimer les profits de l’ensemble des agences à au moins 100 millions de dollars.
En effet les frais des agences de placement n’excèdent pas 650 dollars au total, qui correspondent au trajet et à quelques formalités administratives, selon Bernadette Daou. « Le vol coûte environ 370 dollars depuis le Bangladesh et 270 depuis le Népal. Le permis du ministère du Travail coûte 26 dollars et les frais demandés par certaines ambassades, comme celle du Bangladesh, tournent autour de 15 dollars. » Ces dépenses sont vite remboursées par les 1 300 à 3 000 dollars que les futurs employeurs acceptent de payer pour l’arrivée de leur domestique. Le bénéfice tiré d’un placement varie en fonction des préférences du client, bien souvent irrationnelles, voire racistes. « Les maîtres de maison sont prêts à payer davantage pour des nationalités considérées comme dociles, ou à la peau plus claire. »
Ces profits se font aux dépens des migrantes, dupées en amont par les centaines d’agences de recrutement locales qui les répartissent dans tout le Proche-Orient. Il en existerait, par exemple, au moins 900 au Népal et 800 au Bangladesh.
Ces marchands de rêve éthiopiens, bengalais, philippins ou encore népalais promettent aux migrantes une vie meilleure en échange de, en moyenne, 745 dollars, soit un an de salaire dans la plupart des cas. Malgré les taux d’intérêt usuraires pratiqués par ceux qui financent leur aller simple, « souvent des habitants du village », 63 % des migrantes s’endettent pour accéder à leur rêve, ce qui leur coûte 100 à 1 000 dollars. Les recruteurs locaux réalisent quant à eux des bénéfices immédiats, car les frais de transfert et de papiers sont déjà couverts par les agences de placement libanaises.
À leur arrivée sur le sol libanais, les migrantes sont déjà piégées par une dépendance économique, due à leur endettement. À celle-ci s’ajoute une dépendance légale due au système de “kafala” qui fait de l’employeur le seul garant de leur titre de séjour. Selon le rapport, aucune migrante n’en avait pris connaissance avant son départ. Sans défense, 83 % ne seraient jamais venues « si elles avaient connu leurs conditions futures de travail », mais il est trop tard pour faire demi-tour. Les menaces que subissent 46 % d’entre elles, de dénonciation à la police, d’expulsion, de violence physique, ou encore de se voir priver de droits fondamentaux, tels l’accès à la nourriture, les dissuadent d’essayer de porter plainte ou encore de travailler pour une autre famille.
En toute illégalité et impunité, les employeurs s’autoremboursent “l’acquisition” de leur domestique. Parmi les 81 % des migrantes à qui est promis un salaire spécifique, 53 % n’en reçoivent pas la totalité. 50 % seulement sont payées mensuellement et 40 % se sont vu prélever l’équivalent de trois mois de salaire. Si la plupart dotent leur employée d’une assurance, dont le coût ne dépasse pas les 150 dollars par an, celle-ci ne couvre qu’un nombre très limité de situations, ce qui constitue un prétexte de plus pour ne pas les soigner en cas de maladie. Les abus s’enchaînent et la vie d’une partie d’entre elles devient cauchemar : 10 % sont abusées sexuellement, 62 % victimes de violence verbale et 36 % de violence physique.