Certains parcours valent parfois mieux que de longs discours. Celui de Fadi Daou s’avère par exemple riche d’enseignements pour les décideurs qui misent sur l’essor de l’économie numérique libanaise afin de colmater, voire inverser, la fuite des cerveaux qui afflige le pays. Rapatrier son savoir-faire pour en faire profiter la terre de ses pères, c’est justement le pari tenté par ce multi-entrepreneur qui, après deux décennies de “success story” américaine, a implanté sa société de fabrication de semi-conducteurs Multilane à Houmal (Aley), son village natal.
Tout commence dans les années 1980, lorsque, peinant à trouver des perspectives au Liban, ce diplômé de La Sagesse entame un cursus d’ingénierie électrique à la North Eastern University de Boston. Après quinze ans de salariat chez un fabricant d’équipement électronique, il décide, en 2000, de cofonder Telephotonics, une société d’instruments de communication optique. « On a levé 18 millions de dollars : un record pour cette activité à l’époque ! Malheureusement, deux ans plus tard, l’éclatement de la bulle Internet m’a contraint de vendre la société à Dupont pour une somme bien inférieure », raconte cet entrepreneur aussi prodigue d’anecdotes que discret sur ses résultats financiers. Il décide de consacrer ce premier pécule et l’expérience emmagasinée pour créer une autre société spécialisée dans le matériel de télécommunication : Fibergrade. Là encore, la start-up est cédée deux ans plus tard à l’un de ses clients, Pxit, que Fadi Daou intègre comme directeur technique. « Je commençais à mûrir le projet de rentrer à Houmal pour y perpétuer l’héritage familial et réussir à exporter depuis le Liban des produits technologiques dans le monde entier. » Une ambition qui se concrétise paradoxalement au lendemain de la guerre de 2006 : « Mon choix était avant tout sentimental et patriotique : si je l’avais basé sur un bilan coûts-avantages, je ne me serais jamais lancé… », sourit-il.
Très vite, l’entrepreneur prend néanmoins la mesure des défis à relever. Outre l’absence d’infrastructures viables et la gabegie administrative – « j’attends une ligne téléphonique depuis 2009 ! » –, il doit en particulier composer avec la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. « La formation académique est beaucoup trop théorique et obsolète. Sans tissu industriel permettant l’acquisition de compétences techniques dans l’entreprise, il m’était impossible de trouver des ingénieurs libanais opérationnels. J’en ai donc embauché quatre et les ai payés pendant deux ans à se former avant le lancement effectif de l’activité. » Autre obstacle de taille : « Un environnement politique et réglementaire déficient qui, conjugué à des tarifs douaniers prohibitifs pour l’importation régulière de composants, décourage la production de matériel. D’ailleurs, le boom technologique actuel tourne surtout autour du logiciel. » Résultat, s’il peut désormais s’enorgueillir du fait que, « de Google à Fujitsu en passant par Cisco, tous nos clients reçoivent des composants avec la mention “Conçu au Liban” » ; la fabrication et la livraison de ses semi-conducteurs sont assurées depuis ses usines de Taïwan…
Reste que sur le seul plan industriel, le pari s’avère largement réussi : « Notre chiffre d’affaires (NDLR : lui aussi non communiqué) double chaque année depuis trois ans et nous espérons une hausse de 60 % en 2015 », projette-il. Quant à sa fibre patriotique, elle pourrait trouver un nouvel exutoire dans la création à ses frais d’un pôle de formation technologique à Houmel. « À condition que les autorités prennent les mesures nécessaires pour soutenir le secteur, en commençant par créer une zone de libre-échange !