L’année 2015 a-t-elle été bonne pour les artistes libanais ?
La cote des artistes libanais se porte bien : selon le dernier classement du top 500 d’Artprice, une société spécialisée dans le recensement des cotes lors des ventes aux enchères, Ayman Baalbaki figure en 231e position (sur 500) avec un montant total de 919 966 dollars pour huit ventes, réalisées entre juin 2014 et juin 2015. Nabil Nahas le suit en 368e position, avec 465 000 dollars et quatre ventes. Par comparaison, la France ne compte que quatre artistes dans ce classement : Robert Combas (en 164e position avec un peu plus de 1,5 million de dollars et 121 œuvres vendues) suivi d’Invader (en 272e place). Deux autres Français sont présents à la toute fin du classement. Le succès des artistes libanais est d’autant plus remarquable qu’il n’existe pas à Beyrouth de véritables ventes aux enchères tournées vers l’international, en mesure de leur servir de relais.

Ayman Baalbaki ou Nabil Nahas sont-ils les deux seuls artistes à tirer leur épingle du jeu ?
L’année a été aussi excellente pour Paul Guiragossian : “Automne” a été adjugée 293 000 dollars ; “Femmes en conversation” 161 000 dollars. En tout, quatorze de ses œuvres ont été dispersées en 2014 entre les Émirats arabes unis et le Royaume-Uni dans des enchères internationales. D’autres artistes se sont fait de même remarquer : une toile d’Huguette Caland est partie à 149 000 dollars alors que son estimation haute l’appréciait à 80 000 dollars. Côté plasticiens, Walid Raad a obtenu 87 550 dollars pour un ensemble de quatre photos lors d’une vente Sotheby’s à Doha.

Tous ces artistes sont des “valeurs sûres”. D’autres noms ont-ils émergé récemment ?
Certains artistes montent : la cote de Aref el-Rayess ne cesse d’augmenter. Il a obtenu à Dubaï son premier record – 137 000 dollars – pour sa toile “Djeddah – The Calm Shore”. Mais la véritable surprise, on la doit à Farid Aouad, artiste libanais qui a passé une grande partie de sa vie en France. Son tableau “Homo Flux” s’est vendu 149 000 dollars lors de la même vente aux enchères alors que l’estimation haute le positionnait à seulement 70 000 dollars ! Jusqu’à présent, les œuvres de cet artiste se vendaient plutôt en France avec un record à Paris en 2012 à 26 000 euros. Enfin, il faut mentionner la dispersion de cinq œuvres de Bibi Zogbé à Dubaï récemment avec une première enchère record à 52 500 dollars pour sa toile “Crisantemos”.

Ces enchères restent régionales, les artistes libanais trouvent-ils preneurs ailleurs ?
Il leur est toujours difficile de pénétrer d’autres régions du monde, en particulier l’Occident. Ceci est dû essentiellement au choix immense dont bénéficient les acheteurs européens ou américains. Pour susciter leur intérêt, il faudrait que se développent des expositions collectives ou des rétrospectives d’artistes libanais en Europe, en Asie ou aux États-Unis. Pour l’heure, seule une minorité y a droit : récemment, Mona Hatoum au Centre Georges Pompidou à Paris ; Walid Raad au Moma de New York.

Quelles sont les perspectives du marché mondial ?
Entre 2014 et 2015, le marché montre une légère décélération. Mais sur la décennie, les prix de l’art contemporain ont augmenté de 30 %, un taux de rentabilité intéressant à long terme, bien que le secteur soit soumis à une forte volatilité : l’indice des prix de l’art contemporain a ainsi chuté de 20 % en 2008, une année qui représente son acmé, et de 16 % par rapport à juillet 2014. Basquiat, Wool, Koons, Doig, Kippenberger, Zeng, Prince, Haring et Hirst forment le peloton de tête des artistes les mieux cotés, avec pour Basquiat un montant cumulé de 125,8 millions de dollars sur 79 ventes. Si l’on s’attarde un peu plus sur les chiffres d’Artprice, on voit un clair effet “pyramide” : 68 % des recettes globales de l’art contemporain (1,2 milliard de dollars) reposent en fait sur seulement 100 artistes et 35 % des revenus sont le fait des dix premiers. Un temps dépassés par la Chine, les États-Unis ont repris la tête, mais l’écart entre le trio de tête (États-Unis, Chine, Royaume-Uni) et les autres pays se creuse. Pour notre région par exemple, si on cumule Qatar et Émirats arabes unis, on obtient un montant de ventes de 13,1 millions de dollars, soit moins de 0,8 % du montant global.

L’art est-il désormais une “commodité”, c’est-à-dire un “produit” que le marché apprécie au même titre que les matières premières, l’or, ou les actions ?
Considérer l’art comme un “produit comme un autre” pour placer et rentabiliser son argent n’est pas un phénomène récent – on le voit émerger à partir des années 1950 –, mais il a eu tendance à s’accentuer ces dernières années. Aujourd’hui, il semble très difficile pour un artiste “d’exister” en dehors du marché, spécialement en Occident où la pression est énorme. Le Liban est encore relativement épargné, mais ses principaux artistes, dont les noms sont évoqués ici, pourront difficilement s’en tenir à l’écart.

67 000 dollars pour un Paul Guiragossian

Quelque 140 œuvres d’artistes modernes et contemporains, libanais ou syriens, ont été mises aux enchères fin novembre à Sin el-Fil. Armand et Valérie Arcache y proposaient une sélection de peintures (ainsi que quelques sculptures) à des prix accessibles : beaucoup d’entre elles ayant été adjugées à moins de 1 000 dollars. La moyenne des ventes se situait toutefois autour de 4 000-5 000 dollars par lot. Peu de grosses enchères lors de cette soirée : une toile de Paul Guiragossian (1926-1993), “Femme à l’enfant” (non datée), vendue 67 000 dollars au marteau, en phase avec son estimation, remporte la palme de la vente. Parmi les lots intéressants, on pouvait également noter la présence d’une toile d’Yvette Achkar (1928) “Abstraction” (non datée), adjugée 14 000 dollars.