On se demande parfois comment une entreprise qui vend pour des millions
ou des milliards de dollars accumule des pertes à répétition. En voilà une des réponses.
La répartition des frais indirects sur les produits pose souvent un problème aux entreprises et les méthodes traditionnelles n’offrent pas forcément la réponse idéale au traitement de ces charges. Elles sont bien souvent allouées aux produits de façon plus ou moins arbitraire, ce qui fausse les calculs de coûts de revient. Aujourd’hui, l’heure est à la gestion par activité, plus communément appelée ABC (Activity Based Costing).
Frais généraux :
60 % des coûts
Nous le savons, les entreprises doivent désormais intervenir sur des marchés globaux de plus en plus concurrentiels, ce qui suppose une gestion de coûts de plus en plus rigoureuse. La connaissance précise du coût de ses produits n’est plus seulement un facteur-clé de succès, mais une question de survie. Or, la structure des coûts elle-même s’est profondément modifiée.
En effet, au début du siècle, la main-d’œuvre directe représentait 50 % des coûts de production totale, les matériaux 35 % et les frais généraux 15 %. Les frais généraux peuvent atteindre aujourd’hui environ 60 % des coûts de production totaux avec les matériaux à 30 % et la main-d’œuvre directe à 10 %. L’exercice devient donc plus périlleux lorsque les frais généraux représentent plus de la moitié des coûts totaux.
Systèmes traditionnels
mal adaptés
Dans les systèmes traditionnels de calcul des coûts, le traitement des charges se concentre essentiellement sur l’affectation des frais directs sur les produits. Les charges indirectes sont, quant à elles, reliées aux produits sur la base de “clés volumétriques” telles que le nombre d’heures machines ou de main-d’œuvre, ou encore le volume total des charges directes.
Pour cela, les entreprises identifient les coûts de chaque département, qu’il soit opérationnel ou fonctionnel. Les frais sont alors regroupés par centre de responsabilité (production, contrôle de la qualité, administration). Ensuite, elles affectent le coût de chaque département aux produits. Les départements tels que la production par exemple n’ont généralement pas de difficulté à affecter leurs coûts aux produits, car il s’agit principalement de coûts directs. En revanche, lorsqu’il s’agit de départements de support, certaines entreprises utilisent toujours les heures de main-d’œuvre directe comme base d’affectation.
C’est le cas par exemple des frais de conception. Les systèmes traditionnels les considèrent comme des charges indirectes et les affectent souvent aux produits en fonction du nombre d’heures de main-d’œuvre. Pourtant, un produit conçu depuis un certain temps sera moins consommateur de ce type de ressources et, par conséquent, lui allouer les frais de conception sur la base du nombre d’heures de main-d’œuvre sera une démarche erronée. De ce fait, les entreprises commercialisant plusieurs produits sont amenées à déterminer des prix de vente sur la base de calculs inexacts ou peu appropriés.
C’est pourquoi, vers le milieu des années 80, deux professeurs de l’université de Harvard, Robin Cooper et Robert Kaplan, mettent en place une nouvelle méthode de calcul de coûts. L’Activity Based Costing cherche ainsi à répondre aux faiblesses des systèmes traditionnels qui ne prennent pas suffisamment en compte le fait que certaines activités de l’entreprise ne sont pas directement reliées aux volumes de production.
Au-delà du produit :
le coût d’un client
La logique de l’ABC est relativement simple. Elle part du principe que l’entreprise se découpe en activités (voir tableau), chacune étant plus ou moins consommatrice des différentes ressources humaines ou matérielles. Pour mesurer le coût de chaque activité, on allouera par exemple une partie des salaires en demandant à chaque employé concerné d’indiquer périodiquement le temps passé sur chacune des activités. Les coûts sont ensuite affectés des activités vers les produits en mesurant précisément la part d’activité consommée par chaque produit.
Pourquoi est-ce plus précis ? Parce qu’en passant par les activités, l’entreprise s’oblige à définir des unités de mesure beaucoup plus justes que les traditionnelles heures de main-d’œuvre.
Par ailleurs, tandis que les méthodes classiques se focalisent essentiellement sur la répartition des charges sur les produits, la méthode ABC étend la notion de coût à d’autres éléments susceptibles de l’intéresser, comme par exemple le coût d’un type de client. Certaines entreprises se sont ainsi aperçues que 15 % de leurs clients leur coûtaient plus cher qu’ils ne leur rapportaient et qu’en arrêtant de travailler avec eux, elles augmentaient considérablement leurs bénéfices.
La démarche ABC est intéressante parce qu’elle ne cherche pas uniquement à estimer le coût des produits finis. Ainsi, une entreprise utilisant l’ABC mesurera par exemple le coût d’émission d’une facture ou le coût de livraison d’un produit. Ce sont là autant d’éléments susceptibles d’intéresser la direction dans ses prises de décision, par exemple dans le choix de sous-traiter des services donnés.
Vision améliorée
de la rentabilité
Pour mettre en place l’ABC, il est donc nécessaire de découper l’entreprise en activités puis de déterminer les “inducteurs de coûts” (l’équivalent des clés de répartition dans les méthodes traditionnelles) qui représentent les unités de mesure permettant de savoir exactement combien chaque produit ou service consomme d’activité (voir schéma). Par exemple, pour France Télécom Mobile Liban, qui a fait le choix de l’ABC, le projet s’est étalé sur 6 mois. Pour Mitri Bekhazi, chef du département contrôle de gestion, l’ABC a permis une meilleure approche des coûts et donc une vision améliorée de la rentabilité des produits. «C’est aussi un très bon outil de pilotage pour les dirigeants».
La première étape, qui consiste à identifier les activités, est assez rapide. Elle se fonde sur une collaboration avec le personnel de chacun des services et se fait généralement sous forme d’interviews où chacun est amené à décrire ce qu’il fait.
Vient ensuite le regroupement des activités qui relèvent d’un même processus. À titre d’illustration, un des processus chez FTML pourrait être l’optimisation du réseau. Les activités composant ce processus seraient alors par exemple :
• Suivi de la qualité du réseau d’accès.
• Planification de l’architecture.
• Changement du plan de fréquence d’une région.
Pour chacune de ces activités, l’étape suivante consiste à allouer les charges de l’entreprise qui y sont rattachées.
La dernière étape est plus délicate, car il s’agit de définir les inducteurs de coûts. Il s’agit des unités d’œuvres (unité de mesure) qui permettent d’affecter à chaque objet de coûts la quantité d’activité consommée. «Dans notre entreprise, précise M. Bekhazi, les objets de coûts sont constitués de trois catégories : les produits, les canaux de distribution, les clients. Cela nous permet d’avoir une vision complète des coûts de revient par rapport à un canal de distribution particulier ou à un type de clientèle». D’où une tarification plus appropriée des produits et services vendus.
Autrefois, il aurait été certainement trop coûteux de recueillir et d’analyser les données nécessaires requises par le système ABC. Aujourd’hui, les systèmes d’information existant dans les entreprises rendent ce traitement abordable.
Quelques sources : La méthode ABC/ABM – Piloter efficacement une PME, Éditions d’Organisation, Laurent Ravignon, associé du cabinet de conseil Regec, Pierre-Laurent Bescos, Marc Joalland, Serge le Bourgeois, André Maléjac.
Merci à Carlas Mendoza, professeur à l’ESCP, professeur à l’École supérieure des affaires de Beyrouth.


