Dans toute mutuelle, on dit qu’il y a un assureur – non taxé – qui sommeille. Voilà schématiquement l’origine de la controverse. Mais l’affaire est beaucoup plus complexe.

La mutualité est en principe une association de personnes, organisée sur une base solidaire et dont le but est de permettre à ses membres d’avoir accès à des soins médicaux. Société à but non lucratif, elle doit néanmoins avoir une situation financière saine pour pouvoir mener à bien sa mission. La solidarité, qui est à sa base, s’exprime par le paiement d’une cotisation indépendamment de l’âge, de l’état de santé ou du nombre de personnes à charge.
Pour le Dr Hikmat Husseini, membre du conseil d’administration de la Caisse mutuelle médecin, «deux conditions sont nécessaires pour créer une mutuelle : un minimum de 50 personnes et un lien commun, géographique, professionnel, religieux ou autre…».
Actuellement, la plupart des mutuelles représentent les secteurs professionnels, notamment les professions libérales. Le Dr Husseini ajoute : «Le groupement de personnes présente une demande auprès du ministère des Coopératives. Le décret ministériel émis crée et approuve la mutuelle. Des élections sont organisées alors pour choisir un conseil d’administration compétent». Ainsi, par exemple, la mutuelle connue sous le nom de Al-Riaya a été fondée en 1992 par l’assemblée des supérieures majeures des instituts religieux féminins, à savoir 50 religieuses. Le lien dans ce cas est ecclésiastique.
Par contre, les mutuelles d’État comme la mutuelle de l’armée ou celle des professeurs de l’Université libanaise sont créées par un décret-loi promulgué par le Conseil des ministres après vote de la Chambre. Elles constituent alors un office autonome subventionné par l’État et relèvent d’une législation spécifique.

Un vaste champ d’action

Le Dr Husseini précise : «Les mutualistes décident chaque année du programme à suivre en fonction du budget. Ils établissent différents plans (médical, social, logement, achat d’une clinique…) et une prime est attribuée pour chaque plan. L’adhérent devra payer la prime correspondante pour bénéficier de telle aide ou telle autre».
Pour Émile Saliba, directeur à l’Ordre des ingénieurs, «en raison de l’absence d’aide de l’État pour les professions libérales, la présence des mutuelles assure une mission à la fois professionnelle et sociale. C’est même devenu une nécessité». Et une obligation comme c’est le cas justement pour les membres de l’Ordre.
Le Dr Nabih Atallah, directeur de la mutuelle des professeurs de l’UL, explique son fonctionnement : «La mutuelle englobe tous les professeurs cadrés ou à plein temps et les retraités de l’UL ayant assuré au moins 20 ans de service dans l’université ou dans les administrations. La mutuelle couvre l’enseignement, l’hospitalisation, les indemnités de décès, subventions pour les enfants, etc.».
Pour sa part, Al-Riaya a élargi ses services aux parents d’élèves des écoles dirigées par une congrégation religieuse affiliée à Al-Riaya. D’après Ibrahim Melhem, directeur général de la Caisse, «Al-Riaya assure à toute la famille la prise en charge des coûts d’hospitalisation et des soins externes à 100 %. Outre les conjoints, les cotisations couvrent les enfants étudiants jusqu’à l’âge de 25 ans ainsi que les parents des adhérents».

Des gestions différentes

La gestion de la mutuelle assurée par le conseil d’administration organise la distribution de l’argent. D’après le Dr Husseini, «il n’y a aucune discrimination dans les dépenses. Après avoir collecté toutes les cotisations, la mutuelle assure la couverture médicale à 100 % par un relais direct avec les institutions de santé. Pour garantir la pérennité de la Caisse, le plan est réassuré auprès d’une compagnie d’assurances. Celle-ci opère une vérification des tarifs et une surveillance permanente».
La Caisse mutuelle médecin se suffit, quant à elle, des cotisations annuelles des 3 500 médecins qui y sont affiliés avec leurs familles. Elle ne reçoit aucune subvention de l’État ou aides d’organismes de santé. Mais le Dr Husseini affirme «qu’à cause de la relation privilégiée des adhérents avec les organismes de santé, la Caisse bénéficie d’une réduction. Au départ, les médecins étaient soignés gratuitement et les frais étaient entièrement à la charge de l’hôpital. Aujourd’hui, les organismes de santé cherchent à collaborer avec la mutuelle pour offrir aux médecins les meilleurs soins à des tarifs réduits». Le cas de la mutuelle des professeurs de l’UL est différent. D’après M. Atallah, «étant une mutuelle d’État, elle connaît un régime particulier. Le budget est voté par le Parlement et nécessite le contreseing des ministres de l’Enseignement supérieur et des Finances. Aucun virement ne peut être effectué en dehors de cette procédure».
L’avantage majeur des mutuelles publiques demeure le prix compétitif. En effet, la cotisation des professeurs de l’UL s’élève à 30 000 LL par mois pour une couverture de toute la famille. De plus, l’adhérent n’est pas soumis aux exclusions. Le seul inconvénient serait qu’une mutuelle mal gérée peut être déficitaire. «En cas de perte, on fait appel à une participation plus élevée ou on réduit les dépenses», indique M. Atallah.

La mutuelle
face à la critique…

L’intervention des mutuelles dans la protection sociale se heurte à la critique des assureurs qui se plaignent de cette concurrence “déloyale”. En effet, du point de vue fiscal, les compagnies d’assurances paient des impôts relativement élevés ainsi qu’une taxe de 11 % pour chaque police d’assurance contractée, alors que les mutuelles ne paient ni taxes ni impôts. Ce qui leur permet d’assurer les mêmes services, mais à des prix nécessairement compétitifs.
La réponse des mutuelles semble unanime. «Avant de parler de concurrence déloyale, il s’agit de préciser qu’il n’y a pas de concurrence du tout, affirme le Dr Husseini. Dans les mutuelles, les adhérents mettent en commun de l’argent, pour le redistribuer entre eux en fonction des besoins. Tout l’argent mis est réutilisé pour les différents plans décidés. L’excès d’argent demeure dans la Caisse pour couvrir des frais éventuels des adhérents et ne constitue pas un bénéfice. Le but principal est l’entraide». M. Atallah considère également «qu’il n’y a pas de concurrence entre la mutuelle à but non lucratif et les sociétés d’assurances qui cherchent le gain. Notre budget provient à plus de 80 % de l’État et une petite partie relève de la taxe des professeurs, ce qui permet de destiner ces sommes à une couverture sociale maximale». M. Melhem enchérit : «Al-Riaya est la seule mutuelle au Liban à ne pas avoir de système de réassurance. Elle adopte entièrement le principe de mutualité et ne collabore pas avec des sociétés à but lucratif. Il y a autogestion sans réassurance». D’ailleurs, certains mutualistes accusent à leur tour les compagnies d’assurances qui, sous prétexte de couvrir les éventuelles pertes d’une Caisse mutuelle, cherchent à ne pas payer les taxes… Elles se servent ainsi de la mutuelle pour faire des bénéfices supplémentaires. En réalité, la coopération entre les mutuelles et les assureurs classiques prend plusieurs formes : gestion de portefeuille, études actuarielles (de risque) et parfois même affiliation.
Mais qu’en pensent les assureurs ? D’après certaines sources, le mouvement mutualiste au Liban encourage indirectement l’État à se décharger de sa tâche sociale. «L’affaire n’est pas jouée loyalement», affirme le responsable d’une compagnie d’assurances, qui explique : «En principe, une fois formée et organisée en respectant les conditions légales, la mutuelle s’adresse à l’État pour avoir son agrément. Le ministère concerné vérifie la légalité de la Caisse et donne son accord par décret. Ainsi, les mutuelles de la santé doivent être motivées et légalisées par le ministère de la Santé. Or, ce ministère n’a aucune expérience dans le domaine des assurances. D’ailleurs, ce n’est pas sa fonction. Comme si on cherchait délibérément à encourager la multiplication des mutuelles, les laissant encore une fois s’occuper de la tâche sociale qui incombe à l’État».

Inconvénients contre
garantie certaine

Contracter avec une compagnie d’assurances peut donc comporter quelques inconvénients par rapport aux mutuelles. Les primes sont plus chères que les cotisations des mutuelles. La justification réside dans deux facteurs : les taxes et impôts versés par l’assurance et l’obligation pour celle-ci de constituer des réserves. Chaque compagnie d’assurances doit bloquer au profit du ministère de l’Économie à la fin de l’année 40 % de son budget. Tout son travail s’effectue sur les 60 % du montant, ce qui paralyse son action. La situation financière confortable de la mutuelle lui permet ainsi d’offrir quelques largesses : des exclusions médicales moins strictes, une période d’attente moins longue pour couvrir certaines maladies…
En contrepartie, les assureurs soulignent à l’unanimité que les assurés demeurent plus sécurisés dans le secteur privé. La majorité des mutuelles sont d’ailleurs réassurées par une assurance privée qui couvre les déficits d’exploitation : après l’encaissement des cotisations et la constitution du “panier”, la compagnie effectue une étude de “stop-loss” pour déterminer la marge à couvrir en cas de perte en fin d’exercice.
Mais la garantie majeure pour l’assuré auprès d’une assurance consiste, en cas de conflit avec sa compagnie, à revendiquer son droit auprès du ministère de l’Économie, qui bloquera les réserves pour exercer une pression. En cas de litige avec la mutuelle, rien n’est garanti.