Un article du Dossier

La création libanaise accède au podium mondial

Il est l’un des représentants de la nouvelle génération. Celle de ces designers portés par les réussites de leurs aînés, d’Élie Saab à Zuhair Murad en passant par Georges Chakra ou Basil Soda. À trente ans, dont sept en activité, Krikor Jabotian s’est déjà fait un nom. Avec ses robes de mariées et ses tenues de soirées, le Libanais d’origine arménienne a réussi à imprimer son style au-delà du pays. Son ascension s’est faite dans un écosystème naissant, un milieu propice à l’émergence de nouveaux talents. Après son diplôme de l’École supérieure des arts et techniques de la mode (Esmod) de Beyrouth, Krikor Jabotian entre au département créatif de la Maison Élie Saab. « J’ai démissionné parce que je ne voulais pas être un employé », raconte-t-il depuis son atelier de Tabaris, où il gère aujourd’hui quarante-cinq salariés, confectionne ses modèles sur mesure et fournit en moyenne deux collections par an. En 2008, Rabih Kayrouz, de treize ans son aîné, entreprend d’accompagner les jeunes designers. Avec Tala Hajjar, il lance la fondation Starch. Krikor Jabotian intègre la première promotion et présente ses créations dans la boutique de Saifi Village. Une exposition inespérée. « C’était un démarrage idéal », se souvient-il. Mais Starch est un collectif et, au bout de dix mois, le Libanais doit exister seul. Pour lancer sa marque, il investit 30 000 dollars et recourt à des investisseurs privés pour lever la même somme. La maison s’installe à Achrafié et honore ses premières commandes. Derrière sa casquette de couturier, Krikor Jabotian doit aussi, à 23 ans, gérer une entreprise. « Au bout d’un an, je me suis rendu compte que je m’étais associé avec les mauvaises personnes, dit-il, j’avais signé un tas de documents et je n’avais pas d’expérience pour le business. » Le prix de l’indépendance – dont il préfère taire le montant – passe par le rachat de son nom. Krikor Jabotian restructure alors sa société et s’entoure de proches. « Je n’ai plus jamais eu recours à un prêt ou un investisseur quelconque, sourit-il, assurant avoir beaucoup appris de (s)es erreurs. » Car la suite semble n’être jalonnée que de succès bâtis sur un modèle autosuffisant. Les commandes affluent, d’abord du Liban, puis des pays du Golfe. Quant à partir de 2012, les secousses de la crise se font sentir, Krikor Jabotian est conscient qu’il doit choyer la péninsule. Les clientes du Golfe désertent le pays du Cèdre ? Qu’importe, la société ira chez elles. Aujourd’hui encore, ces femmes représentent plus de la moitié de ses adeptes. Les autres se partagent entre le Liban – surtout en ce qui concerne les mariages en été – les pays du Levant et le reste du monde. Chaque année, la Maison Krikor Jabotian dit produire en moyenne deux cent cinquante robes. Aucune tenue de soirée ne se vend en dessous de 18 000 dollars. Aucune robe de mariage ne descend sous la barre des 30 000 dollars. Pour exister, le couturier refuse de recourir à la publicité – « ce n’est pas en adéquation avec l’identité de ma marque », mais se répand dans la presse spécialisée et, bénéfice de l’âge oblige, communique via son compte Instagram à destination de son demi-million d’abonnés.
« Je n’arrêterai jamais la couture, c’est comme un rêve, je me donne à fond pour mes robes, je m’amuse. » Mais l’appétit du créateur laisse présager de nouveaux défis. « Pour grandir à l’international, il faut passer par le prêt-à-porter, produire en grande quantité et vendre sa marque à travers le monde », explique-t-il. Peut-être s’est-il assagi avec l’âge, ou bien est-il devenu plus prudent, car aujourd’hui Krikor Jabotian semble soucieux de ne plus brûler les étapes. « Mon ambition est d’aller sur le prêt-à-porter, mais avant je veux consolider mon nom. »
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