Selon une étude du ministère des Finances et du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud), les revenus des 2 % les plus riches au Liban équivalent à ceux des 60 % les moins nantis. En parallèle, 57 % des personnes actives dans le secteur privé gagnent moins de 10 000 dollars par an, révèle le rapport.

La répartition des revenus au Liban est très inégale, selon une étude réalisée par le ministère des Finances et le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud)* basée sur les données fiscales d’un demi-million de salariés et de travailleurs indépendants dans le secteur privé, soit 31 % de la main-d’œuvre libanaise. Elle révèle que les 2 % les plus riches représentent un niveau de revenu comparable à celui des 60 % les moins nantis. En effet, le premier groupe pèse à hauteur de 17 % du revenu cumulé, estimé à 6,8 milliards de dollars, des 457 319 personnes incluses dans l’étude, contre 22 % pour le second. Il en résulte un coefficient Gini de 50,7, classant le pays au 129e rang sur 141 pays en termes de répartition égalitaire du revenu.
Par ailleurs, l’étude révèle que 57 % des Libanais ont un revenu annuel inférieur à 10 000 dollars, soit 833 dollars par mois, dont 10,6 % perçoivent moins de 4 000 dollars par an ou 333 dollars par mois. Ces deux catégories représentent moins du quart de l’ensemble des revenus déclarés (22,4 %). À l’autre extrémité de la fourchette, les deux segments les plus aisés – au revenu supérieur à 40 000 et 80 000 dollars par an, respectivement – représentent ensemble 6,3 % des employés et travailleurs indépendants du secteur privé, tandis que leurs revenus cumulés pèsent à hauteur de 31,7 % du montant global des rémunérations. La catégorie la plus riche parmi ces derniers, au revenu supérieur à 6 666,7 dollars par mois, représente 1,4 % des personnes actives et compte à elle seule pour 14 % du total des rétributions déclarées.
Ces chiffres témoignent également de l’ampleur des inégalités. En effet, avec un salaire moyen de 22,4 millions de livres par an (14 846 dollars), la tranche de revenu la plus basse représente en moyenne 0,1 fois le salaire moyen national, tandis que le segment le plus aisé gagne 9,9 fois ce salaire.
Autre indicateur des inégalités : le fossé entre les salaires moyens au sein de chacune des tranches extrêmes. Au bas de l’échelle, celui-ci s’élève à près de 2 000 dollars par an, contre un revenu annuel moyen de 147 000 dollars pour la catégorie la plus riche, soit 77 fois le revenu le plus faible.

Inégalité des revenus après impôt

Si les inégalités sont largement marquées au niveau du revenu primaire, la correction reste très faible après déduction des impôts, révélant l’absence ou la faiblesse du rôle redistributeur de l’État libanais. L’impôt sur le revenu des particuliers est pourtant, noir sur blanc, de nature progressive au Liban, note l’étude ; il est ainsi proche de zéro pour les revenus annuels inférieurs à 10 000 dollars et d’environ 15,4 % pour les revenus supérieurs à 80 000 dollars. Mais en dépit de son caractère progressif, celui-ci ne contribue que légèrement à réduire l’écart entre les revenus. Cela est essentiellement dû, d’après le document du ministère des Finances et du Pnud, à la taille de l’économie informelle, le niveau des sous-déclarations et les nombreuses exemptions ou abattements définis par la fiscalité libanaise, notamment ceux qui sont propres aux impôts directs. Preuve du poids de ces facteurs sous-jacents, les recettes totales provenant de l’impôt sur le revenu des particuliers ne représentaient que 0,8 % du PIB en 2014, soit moins que la plupart des pays de la région Mena sélectionnés par l’étude. Celui-ci s’élève, à titre comparatif, à 4,6 % en Tunisie, 3,8 % au Maroc et 1,6 % en Égypte.

Qualité de gouvernance et inégalités

Par ailleurs, l’étude met l’accent sur la corrélation entre la qualité institutionnelle ou la bonne gouvernance et l’égalité des revenus. Elle rappelle à cet effet que dans les pays à revenu élevé, les coefficients de corrélation sont largement positifs entre le coefficient Gini d’une part, et certains paramètres tels que le temps nécessaire pour démarrer une entreprise (coefficient de corrélation de 0,51), le classement général des entreprises (0,47) et le score pour une exécution adéquate des contrats (0,43). La corrélation est également robuste entre le coefficient Gini et la taille de l’économie souterraine (0,55), ce qui indique que l’emploi informel élevé exacerbe les inégalités de revenu.
Appliquée au Liban, cette corrélation expliquerait dans une assez large mesure le niveau élevé des disparités, souligne le rapport. En effet, le pays du Cèdre occupait en 2014 le 111e rang parmi 189 pays en termes de facilité des affaires (“Ease of doing business”), un indice élaboré par la Banque mondiale, alors que l’emploi informel était estimé à 50 %. Quant à l’indice de perception de la corruption, le pays arrivait au 136e rang parmi 174 pays.

Niveau d’éducation et disparités régionales

Autre variable à l’influence non négligeable sur la divergence des revenus au sein d’une société : le niveau de productivité et de compétence de la main-d’œuvre, lesquelles dépendent du niveau d’éducation et de formation professionnelle. L’étude rappelle que les pays dont la main-d’œuvre est qualifiée et le taux de scolarisation élevé ont tendance à enregistrer un plus faible niveau d’inégalité en termes de revenu. Or au Liban, le taux d’enrôlement dans l’enseignement secondaire s’élevait à 68 % en 2014, comparé à une moyenne de 75 % pour l’ensemble des pays inclus dans l’étude. Ce résultat est d’autant plus atypique dans le cas libanais, soulignent les auteurs de l’étude, que le produit intérieur brut (PIB) par habitant s’élevait en 2014 à 11 067 dollars, contre une valeur médiane de 3 670 dollars parmi les 76 pays examinés dans le rapport. Or, le taux de scolarisation dans le cycle secondaire s’élève à 95 % pour les pays où le PIB/habitant est supérieur à cette moyenne référentielle et à 55 % pour les pays en dessous…
Par ailleurs, les disparités régionales – urbain/rural mais aussi urbain/urbain et rural/rural – au sein d’un pays sont également responsables des inégalités de revenus, souligne le rapport, qui fait référence à la littérature économétrique établissant une relation directe et positive entre le taux d’urbanisation et les inégalités. Faute de statistiques récentes sur la répartition régionale des revenus au Liban, l’étude a eu recours aux données d’une enquête de 2008 se basant sur “l’enquête nationale sur les ménages” élaborée en 2004 par le ministère des Affaires sociales et le Pnud, et révélant l’existence d’importantes disparités régionales en termes de pauvreté. Bien que les conclusions de cette étude soient désormais périmées, « il est juste de supposer qu’à l’ombre de l’absence de politiques de développement spécifiques à chaque région, les inégalités régionales soient demeurées pratiquement inchangées avec même une probabilité de creusement depuis 2011, en raison de l’effet du conflit syrien et la concentration des réfugiés dans les zones les plus pauvres ».
L’étude s’attaque enfin à un dernier paramètre justifiant la faible équité sociale au Liban en termes de revenus : la parité de genre. Elle rappelle à cet égard l’existence d’une corrélation négative entre l’égalité des revenus et la participation de la main-d’œuvre féminine à la population active (-0,31). Dans le cas spécifique du Liban, le taux de participation des femmes s’élevait à 24 % en 2014, contre 44 % à l’échelle mondiale, selon le rapport qui indique, en parallèle, que le ratio du taux de scolarisation filles/garçons dans les cycles primaire et secondaire s’élevait à 0,9546 il y a trois ans, comparé à une médiane mondiale de 0,99, plaçant ainsi le Liban à la 142e place sur 177 pays.

*Assessing Labor Income Inequality in Lebanon’s Private Sector.